Après le relatif coup d’éclat représenté par Borgman, l’un des premiers longs-métrages d’Alex Van Warmerdam à connaître une véritable carrière internationale depuis Les Habitants, qui l’avait révélé en 1992, le réalisateur hollandais n’a pas tardé à se remettre à l’ouvrage, en officiant cette fois à nouveau devant, et derrière la caméra. La peau de Bax, dont il est comme souvent le scénariste, s’avère être malgré son postulat tout aussi minimaliste (l’action se déroule, comme dans Borgman, autour d’une seule maison qui est une fois encore un personnage à part entière), une proposition bien plus directe et « légère » que son prédécesseur.
Un tueur chasse l’autre
Car, comme l’indique sans ambages le titre original Schneider vs Bax, le film s’articule essentiellement autour d’un duel entre deux hommes. Deux tueurs à gages, qui ne paient pas de mine vue de l’extérieur, mais sont en fait des professionnels plus contrariés par les aléas du quotidien et leurs obligations familiales, que par le fait d’assassiner les cibles que leurs clients leur désignent. La peau de Bax s’intéresse dans un premier temps à Schneider (Tom Dewispelaere, Left Bank, Borgman), paisible père de deux petites filles et mari aimant, que le devoir appelle le matin de son anniversaire. Prétextant un imprévu au travail, l’assassin s’éclipse en maugréant et part donc trouver sa cible : le dénommé Bax (Van Warmerdam lui-même), qui vit comme un retraité dans une maison blanche sur pilotis au nord d’Amsterdam, au cœur d’épais marais protégés. Bax est en apparence un écrivain, qui fréquente une femme bien plus jeune que lui, et doit se débarrasser d’elle pour accueillir Francisca, sa fille dépressive. Schneider arrive pour exécuter le contrat, mais déjà, les embrouilles s’annoncent : Bax n’est pas seul, et on l’a repéré. Le jeu du chat et de la souris commence, comme une comédie de boulevard dont la seule issue possible serait le meurtre…
[quote_center] »La peau de Bax se suit comme une sorte de thriller absurde rappelant inévitablement l’esprit des frères Coen. »[/quote_center]
Alors que Borgman évoquait tantôt les thèmes de la lutte des classes, tantôt celui de l’hypocrisie bourgeoise, cédant plus d’une fois la place à l’étrangeté et au surréalisme, La peau de Bax, lui, se suit plus simplement comme une sorte de thriller absurde rappelant inévitablement l’esprit des frères Coen. Avec l’humour sec et froid qui le caractérise, Van Warmerdam orchestre une ronde de personnages secondaires qui viennent à chaque fois perturber les plans déjà pas très bien huilés de ses deux adversaires, rajoutant à chaque fois une couche de décalage amusé l’une par-dessus l’autre. La rigide Francisca, qui n’a de cesse de blâmer son père pour tout ce qui lui arrive, lui reprochant entre autres son addiction aux drogues douces (« Toi tu aimes bien le Muesli, ce n’est pas pour ça que je m’en prends à toi ! » lui rétorque Bax sans se démonter), s’avère ainsi être un grain de sable imprévisible, tout comme Gina, la prostituée apeurée qui croise le chemin de Schneider.
Hommes-mystères
Van Warmerdam est toutefois trop subtil pour laisser l’exercice de style scénaristique prendre le pas sur l’atmosphère du film. La peau de Bax, bien que pouvant s’apprécier comme un divertissement parfaitement rythmé et parfois hilarant (le commanditaire de Schneider en particulier, Mertens, cumule les gaffes aux conséquences fâcheuses), baigne dans un pessimisme palpable et penche plus d’une fois vers un onirisme plus cryptique : Bax par exemple est victimes d’hallucinations – trop d’acide, sûrement – qui font remonter à la surface ses traumatismes d’enfance, tandis que Schneider a une épouse compréhensive au-delà du raisonnable. Les motivations qui agitent les deux personnages ne sont jamais véritablement explicitées, ce qui rend leur affrontement d’autant plus désarçonnant et indécis.
Mais comme le concède Alex Van Warmerdam lui-même en interview, une chose est sûre : il ne faut pas chercher de grande théorie cachée derrière ce drôle de film noir dans lequel chaque personnage, à un moment ou un autre, doit s’enfoncer jusqu’à la tête dans une forêt de roseaux, comme un enfant perdu dans la nuit. Ce que cachent ces marais, pour les uns comme pour les autres, est rarement synonyme de bonne nouvelle, mais ils n’ont d’autre choix que parcourir ce chemin pour accomplir leur destin, quitte à patauger jusqu’au genou dans l’eau. Une vision de la vie à l’image du cinéma de l’iconoclaste batave : misanthropique, sûrement, mais indéniablement lucide.
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La Peau de Bax (Schneider vs Bax)
D’Alex Van Warmerdam
2015 / Pays-Bas / 96 minutes
Avec Alex Van Warmerdam, Tow Dewispelaere, Maria Kraakman
Sortie le 18 novembre 2015
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