The Turning : fantômes en berne
Nouvelle adaptation du roman Le Tour d’écrou, The Turning s’enlise malgré sa belle direction artistique dans un défilé de jump scares incohérent.
Tout comme le Hantise de Shirley Jackson, Le Tour d’écrou de Henry James, écrit lui au XIXe siècle, est l’un des romans fondateurs de ce sous-genre tant aimé des amateurs de fantastique qu’est le film de maison hantée. Pas un hasard d’ailleurs si ces deux classiques ayant posé puis modernisé les principes de la fiction fantastique gothique sont la base de l’anthologie Netflix The Haunting of Hill House / The Haunting of Bly Manor (en cours de post-production). En choisissant non pas de rendre un hommage détourné au monument littéraire de James (comme Amenabar avec Les Autres), mais de le réadapter à sa sauce, Floria Sigismondi, réalisatrice de clips et du biopic musical Les Runaways, doit se mesurer directement à la meilleure adaptation du livre jamais réalisée, Les Innocents de Jack Clayton. Handicapé par des problèmes de production importants (on n’est pas passé loin d’un double tournage façon L’exorciste : le commencement) et un scénario manifestement réécrit et déstructuré jusqu’à la nausée, The Turning est, comme on pouvait le craindre, loin de pouvoir se mesurer aux chefs d’œuvre qui l’ont précédé.
Kate, une jeune nounou, incarnée par la grande tige aux yeux de jade Mackenzie Davis (Terminator : Dark Fate), entre au service d’une riche famille pour s’occuper de deux enfants orphelins, Miles (Finn Wolfhard, Stranger Things) et Flora (Brookynn Prince, The Florida Project). Les enfants habitent seuls avec la gouvernante dans un immense château entouré d’un domaine princier, et la cohabitation avec le trio s’avère vite difficile pour Kate. Ayant elle-même grandi sans parents (son père est parti très tôt, sa mère est placée depuis des années dans une institution), la jeune femme veut nouer des liens avec Flora, mais l’attitude bravache et hautaine de Miles l’en empêche. Plus grave, Kate finit par voir que quelque chose ne tourne pas rond au manoir : apparitions, murmures au fond des couloirs… Qu’est-il arrivé à la nounou qui la précédait et à l’ancien maître d’équitation des lieux, Quint ? Le manoir serait-il (envoyez les violons)… hanté ?
Bâillements dans la nuit
L’histoire de The Turning, dans ses grandes lignes, suit à la lettre le récit imaginé en 1898 par Henry James. Bien que le scénario écrit par les frères Chad et Carey Hayes (on leur doit les deux Conjuring) modernise le propos en situant l’action dans les années 90 – peut-être pour éviter d’avoir à justifier l’absence d’Internet ? -, le film fait tout pour nous replonger, via une direction artistique évocatrice et un rythme patient, dans l’ambiance des films de fantômes à l’ancienne. Sigismondi fait objectivement du bon boulot pour donner du corps et de l’allant à ce décor pourtant mille fois vu de manoir lugubre, en travaillant l’alliance des couleurs, l’élégance de ses mouvements d’appareil et même la pertinence de ses choix musicaux, jusque dans son générique de fin. Bien qu’entièrement remanié suite au départ du projet de Steven Spielberg lui-même, qui devait en être le producteur, le casting est aussi digne d’intérêt, la jeune Brooklynn Prince dévoilant une présence naturelle rafraîchissante, face à un Finn Wolfhard bien moins avenant que dans le show Netflix qui l’a fait connaître.
« À cette paresse scénaristique visible s’ajoutent des problèmes de dialogue qui sonnent faux et une fin précipitée et nonsensique. »
Ces qualités techniques et artistiques ne peuvent toutefois faire oublier l’impression de naufrage qui se dégage de l’ensemble, manifestement remonté en dépit du bon sens (comme en témoignent plusieurs plans de la bande-annonce absents du montage final). Oubliant le pouvoir de la suggestion et de la manipulation psychologique du spectateur, The Turning se résume vite à un empilement mortellement redondant de scènes d’exploration / trouille / fake scare dont Mackenzie Davis est l’unique victime, sans que jamais l’intrigue n’évolue significativement dans le bon sens. On peut faire sursauter mille personnes une fois, mais pas mille fois une personne, comme qui dirait. À cette paresse scénaristique visible s’ajoute des problèmes de dialogue qui en général sonnent faux, et surtout, surtout, une fin précipitée et nonsensique qui renvoie aux oubliettes toute notre bonne volonté pour suivre ce lancinant jeu de cache-cache old school. Sigismondi explique avoir voulu provoquer le débat et refuser la facilité d’un dénouement classique, en jouant sur l’habituelle dialectique fantastique / psychologique, sous-jacente dans le roman de James. Mais The Turning donne surtout l’impression de jouer au malin deux minutes avant la sonnerie finale, sans que rien dans ce qui précède ne justifie ou n’excuse ce retournement de situation. Plus que la déception, c’est la sensation d’énorme gâchis qui nous reste alors en travers de la gorge.