La bataille dure depuis plus d’une décennie. Depuis la sortie triomphale d’Armageddon, pour être précis. Après les succès de Bad Boys et The Rock, Michael Bay imprimait en 1998 sa marque sur le box-office en imposant un cinéma de divertissement particulièrement agressif. Oublions par exemple Paul Greengrass : la shakycam abusive permettant de « créer » l’urgence à l’écran sans se fouler, c’est en grande partie au réalisateur américain qu’on la doit. Et ne parlons pas des filtres colorés, des rasades d’humour beauf calibrées pour le public redneck qui croient que la France roule encore en 2CV, des relents patriotes et des ralentis héroïques tellement soulignés qu’ils induiraient presque une forme d’ironie (alors qu’en fait… non). Depuis plus d’une décennie donc, la bataille fait rage entre une grande partie de la critique US et européenne, qui voit en Bay l’apôtre du blockbuster dégénéré… et l’égo, monstrueux, du cinéaste.

[quote_right] »No pain no gain consiste en une éloge de la stupidité, vue sous le prisme déformant de crétins congénitaux persuadés d’être des génies du crime. » [/quote_right]Ainsi, malgré le fait qu’il ait transformé une marque de jouets désuète en franchise multi-milliardaire illisible et puérile (forcément) avec les Transformers, Bay est toujours vu comme un tâcheron aux mains grasses, en plus de récolter une réputation de connard d’élite sur les plateaux après « l’affaire » Megan Fox. Le réalisateur, peut-être touché dans son orgueil, a donc mis à exécution son plan longuement annoncé : abandonner, entre deux épisodes de sa « saga » robotique, les gros budgets et faire son « petit film à lui ». Un film d’auteur, forcément, avec un budget réduit (autour des 26 millions de dollars) et l’ambition de raconter une histoire vraie où tout ne se résout pas à coups de punchlines et d’explosions. Le résultat, c’est No pain no gain (ou Pain & Gain si vous n’aimez pas les fausses traductions), adaptation d’un fait divers incroyable situé dans le milieu hautement symbolique pour Bay du body-building. Un film sur le rêve américain vu par ses plus stupides représentants. Vous avez dit mise en abyme ?

Un plan simple… sauf pour eux

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Le héros malheureux de No Pain no gain, c’est Daniel Lugo (Mark Wahlberg, toujours convaincant quand il joue les ahuris hébétés et naïfs), coach sportif qui se vante d’avoir « Scarface et Le Parrain comme modèles de vie », et qui entend bien avoir sa part du gâteau promise à chacun dans l’American way of life. Alors, quand l’un de ses clients, le très riche Victor Kershaw (Tony Shalhoub), vient prendre des leçons de culturisme dans son club à Miami, Lugo se dit lui volerait bien tout ce qu’il a pour avoir une vie meilleure. Tony Montana style. Il s’adjoint alors les services de deux compères tout aussi amoureux de leur corps et de leur pays, Adrian (Anthony Mackie) et Paul (Dwayne Johnson, assez stupéfiant tout de même) et kidnappe le millionnaire. Mais ce qui devait être au départ un plan simple dérape fatalement, principalement à cause de l’imbécillité prononcée de ces apprentis malfaiteurs…

Dans une autre vie, le script de No Pain no gain aurait pu attirer l’attention des frères Coen ou même d’Oliver Stone. Voilà une histoire qui mélange sur le papier critique acide de l’Americana, enfantant des petits ambitieux à la vue étroite et à la culture complètement mono-centrée, et comédie criminelle absurde à la Fargo, le tout inspiré de faits réels, relatés dans une série d’articles du Times à la fin des années 2000. Plusieurs protagonistes dans le film s’amusent eux-mêmes de l’existence de « kidnappeurs bodybuildés », comme si l’expression était en soi antinomique et grotesque. La matière est là, la façon dont Michael Bay l’exploite à l’écran en fait un tout autre film.

Dès les premières minutes, le parti-pris du cinéaste saute aux yeux et aux oreilles : No pain no gain consiste en une éloge de la stupidité, détournant les clichés des chroniques mafieuses pour les passer sous le prisme déformant de crétins congénitaux persuadés d’être eux-mêmes des génies du crime. « Je regarde beaucoup de films, Paul, je sais ce que je fais ! », clame ainsi Lugo pour justifier son ascendant sur ses deux acolytes, plus obsédés par leurs performances sexuelles et leurs croyances religieuses que par les implications de leur crime. Bay utilise systématiquement la voix off pour nous faire rentrer dans l’esprit de chacun des personnages, tous désignés comme des produits d’une société capitaliste détraquée par la drogue, l’inculture et l’argent, à la manière d’un GTA (l’épisode IV contenait d’ailleurs un personnage de mafieux culturiste aussi bête qu’inculte). Le décalage s’effectue, et c’est bien là la seule qualité réjouissante du film, car on comprend vite que nos trois pieds nickelés et ceux qui les entourent agissent comme s’ils étaient les héros d’un film de Michael Bay, alors que le monde autour d’eux se charge de leur rappeler le contraire.

Bay fidèle à lui-même

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Au-delà de ce jeu sur le double sens de ses images (voir cette contre-plongée finale sur un Mark Wahlberg désormais emprisonné, au centre d’un travelling circulaire qui n’aurait pas démérité dans Pearl Harbor, et qui nous explique en voix off qu’il est « prêt pour un nouveau défi » – alors qu’il a été condamné à mort), No pain no gain reste envers et contre tout un film typique de Michael Bay – lequel a, il faut en convenir, une « patte » plus reconnaissable que, au hasard, Rob Cohen. Misogyne jusqu’à l’écœurement (les femmes chez Bay sont soit des obsédées sexuelles, soit des écervelées, soit enfin des objets d’affection à exhiber comme une voiture de sport), farci de dutch angles, de fish eye et de filtres agressifs, noyé dans une bande-son r’n’b/rock vite insupportable… On pourrait arguer que la mise en forme d’un univers par définition excessif et artificiel se doit d’être aussi outrée, voire qu’elle exhibe fièrement son mauvais goût. Seulement, cette frénésie hallucinée ne fait que renforcer le côté antipathique de zozos n’ayant pas vraiment de circonstances atténuantes pour excuser leur criminelle débilité et leur QI non dopé aux hormones.

Daniel, Paul et Adrian sont des bras cassés, certes, mais ils n’en deviennent pas pour autant attachants, car ce qui les motive n’est pas la poursuite d’un rêve, mais une coupable avidité, qui leur permet d’acquérir un hors-bord, de se poudrer à la coke ou de se faire opérer le pénis. « Naïce », comme dirait Borat. On pourra louer la performance de Dwayne Johnson, qui hérite clairement du rôle le mieux développé de l’histoire, et sourire face à la maladresse de ses héros et le côté « foutoir total » du film, qui se permet toutes les incartades gonzo possibles avec un tel sujet, impossible de tomber sous son charme. Michael Bay a beau détruire avec une rage teintée de condescendance les images et les valeurs qu’il s’est auparavant appliqué à glorifier, il reste à la fin ce même sale garnement cherchant toujours à prouver qu’il a, quoiqu’il arrive, la plus grosse.


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Deuxsurcinq


No Pain, No Gain (Pain & Gain), de Michael Bay
USA / 2013 / 130 minutes
Avec Mark Wahlberg, Dwayne Johnson, Ed Harris
Sorti le 11 septembre
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