Pour qui s’intéresse à la représentation du New York sauvage et glauque d’avant le « grand ménage » ordonné par Rudolph Giuliani, aux films d’exploitation horrifiques des années 80, ou à la carrière de ce grand malade de Joe Spinnell, le Maniac de William Lustig est un monument incontournable. Une date, qui synthétise tous les excès d’une époque, avec ses musiques synthétiques, sa violence plein cadre rendue excessivement réaliste par les maquillages de ce prodige qu’est Tom Savini. À part Henry, peu de films ont fait ainsi rentrer une figure aussi tristement terre-à-terre de serial-killer dans l’inconscient cinéphilique.

Qu’Alexandre Aja et son compère Grégory Levasseur s’attaquent, pour un de leurs multiples projets de remakes, à ce classique, fait logiquement tiquer. La réalisation de ce Maniac 2012 a été confiée à Franck Kalfhoun, honorable artisan responsable d’une série B tout juste passable, 2e sous-sol, déjà produite par le duo français. Le film joue la carte du décalage stylistique et artistique, en choisissant, à la manière d’un autre titre culte underground centré sur un serial-killer, Schyzophrenia, de raconter son histoire en caméra subjective, et en confiant le rôle principal à Elijah Wood et ses grands yeux de chien malade. Le concept suffit à rendre cette réactualisation intrigante, mais dans les faits, elle ne transforme pas pour autant le film réussi.

I scalp people

Anna (Arnezeder), une artiste qui aurait dû regarder attentivement Sin City.

Car Maniac s’est adapté aux nouvelles définitions du film d’exploitation. Il s’agit toujours de suivre les atrocités commises par un avatar de Norman Bates adepte du scalp, cette fois dans les rues de Los Angeles. Frank a beau avoir la voix d’un hobbit, il n’en reste pas moins un dangereux maniaque, fils à maman spécialisé dans la réparation de mannequins, dont l’inexpressivité le renvoie à sa propre schyzophrénie. Ses proies : des femmes, qui ont le désavantage de ne pas être malignes, ou de ne pas assez se méfier de sa gueule d’ange implorant. L’une d’elles, Anna (la française Nora Arnezeder) est une artiste qui se prend de passion pour ses travaux. Frank espère trouver un peu de paix et lutter contre ses pulsions à ses côtés. Mais c’est, bien sûr, perdu d’avance…

Là où le Maniac original était représentatif d’une époque trouble politiquement et socialement, situant son action dans une métropole se transformant la nuit en enfer terrestre éclairé de néons, ravagée par la drogue et la pauvreté, ce remake se déroule dans un L.A. anonyme et d’une propreté clinique, où Frank évolue au son d’une musique électro à la Drive. Il pourrait être à Chicago, Tokyo ou Sydney, l’action ne varierait en rien. Que reste-t-il alors pour donner de l’épaisseur à un personnage dont les méfaits nous sont montrés, face caméra et en plan-séquence, dans toute leur horreur, grâce à des maquillages numériques objectivement bluffants ? Frank, voyez-vous, a souffert d’avoir une mère, disons, hum, un peu volage, couchant même avec plusieurs hommes à la fois. Complexe d’Œdipe, haine contre les femmes, folie latente explicitée par l’omniprésence des « regards miroir »… Maniac donne dans la psychologie de bazar, dans l’excuse paresseuse pour justifier sa litanie de scènes chocs, d’une ouverture qui laisse, dans tous les sens du terme, bouche-bée, jusqu’au massacre final, qui ne s’embarrasse plus du tout de vraisemblance tout en rejouant à l’identique le dénouement de son modèle.

À la première personne… ou presque

L’une des « œuvres » que Frank (Wood) récrée chez lui avec ses scalps…

L’implication exacerbée du spectateur dans cette descente aux enfers au travers de la vue subjective, mise en avant comme un argument marketing imparable, est en grande partie tronquée durant les 80 minutes que dure le film : les jump-cuts et raccords dans le champ sont multiples et faussent le principe d’identification. Tout comme les espèces d’expériences « extra-corporelles », comprendre des plans en vue objective montrant Elijah Wood au moment où il achève ses victimes. On a l’impression d’assister à une variation un peu malhonnête sur le principe stylistique du found footage, même si on évite heureusement les mouvements de caméra abrupts, Frank étant apparemment un gars un peu raide aux mouvements de cou très rares et très lents.

On se rend compte rapidement que cet artifice de réalisation destiné à faire causer dans les salons est finalement un cache-misère autour duquel n’a été bâti aucune réflexion thématique, aucun discours sur la représentation d’une violence misogyne qui parcourt le cinéma d’horreur américain depuis plus de quarante ans (et qui concerne généralement des top models au cerveau atrophié, ce qui en dit également long sur la vision de la gent féminine des producteurs). Même le personnage d’Anna, qui n’a finalement pour faiblesse que d’être naïve, finit par se conformer aux clichés de la blonde un peu tarte dans le dernier acte. Les acteurs ne sont ici pas en cause : on savait depuis Sin City qu’Elijah Wood pouvait volontiers corrompre son image de chérubin un peu frêle à la voix cassée avec talent. On se doutait par contre moins du talent de Nora Arnezeder, qui parvient à rendre un personnage « écrit d’avance » attachant, mirage de bonté et de charme au milieu d’une entreprise dérivative et mécanique, mise en branle pour ajouter un nouveau chapitre à la longue liste des shockers post-Saw. L’ambition d’être « plus que ça» n’empêche pas Maniac de rester à un bas niveau de série B mercantile et d’autant moins méritante qu’elle pille consciencieusement le modèle dont elle voulait tant se démarquer.


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Deuxsurcinq
Maniac
De Franck Kalfhoun
2012 / USA / 82 minutes
Avec Elijah Wood, Nora Arnezeder, America Olivo
Sortie le 26 décembre 2012
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