L’origine purement ludique d’À la poursuite de demain (qu’on appellera plus simplement Tomorrowland) saute moins aux yeux que Pirates des Caraïbes, mais elle est essentielle. Tout comme la saga aquatique de Johnny Depp, le nouveau film de Brad Bird (auteur, du Géant de Fer à Mission Impossible : Protocole fantôme en passant par ses Pixar, d’un parcours sans faute) est tiré d’une attraction des parcs Disney. Comme son nom l’indique, celle-ci était, dès les années 50, dédiée aux inventeurs, architectes, scientifiques, et imaginait à quoi ressemblerait notre futur, avec plus ou moins de réalisme. L’attraction figure au premier plan du prologue du film, et a également servi de base à la création de la fameuse cité au cœur de tout le projet, dont la skyline évoque ingénieusement le traditionnel parc Disneyland (ça n’est pas un hasard si le logo du studio est modifié en ce sens). Tomorrowland, c’est une vision du monde tel qu’il pourrait être, une idée du progrès envisagé comme une condition nécessaire au bonheur de chacun. Bref, une utopie.

Brad Bird, qui a déjà montré dans ses films d’animation, son amour pour la SF rétro et les héros optimistes confrontés à une société désabusée et obsédée par la norme, a donc refusé de s’atteler à la réalisation du nouveau Star Wars pour entretenir à nouveau ces obsessions, cette fois sous l’angle du cinéma live. Et tout comme dans Les indestructibles, il a choisi de mettre en scène une famille de héros pas comme les autres, arrachés à leur quotidien pour contrer une menace planétaire, ourdie par un solitaire mégalomane. Le propos de Bird et de son scénariste Damon Lindelof (Lost, Prometheus), passé ces similitudes, va toutefois plus loin : s’il a tout en surface d’un grand spectacle généreux, invraisemblable par bien des aspects, Tomorrowland se révèle également comme un conte moraliste très engagé, qui tacle au passage avec une réelle férocité les dérives mercantiles de son propre studio. Pas étonnant dans ces conditions que le projet soit d’ores et déjà catalogué comme « un nouveau John Carter », une sorte de canard boiteux un peu honteux dont les studios ne savent que faire.

L’élue et le bougon

À la poursuite de demain : le monde d’après

Le film suit déjà une logique un peu folle en prenant pour héroïne une post-ado revêche, obstinée et un peu délinquante, Casey Newton (la méconnue Britt Robertson, vue dans Under the Dome et Scream 4), décidée à saboter le chantier de destruction d’une base de la Nasa pour éviter que son ingénieur de père ne se retrouve au chômage. Surdouée mais déçue par l’apathie d’une société qui ne partage pas ses aspirations, Casey découvre bientôt un nouveau monde, secret et visiblement fabuleux, où les jetpacks, voyages orbitaux et piscines anti-gravité son monnaie courante. Casey a été choisie par une mystérieuse petite fille, Athena (l’incroyable Raffey Cassidy, vue dans Dark Shadows) pour rejoindre ce monde parallèle, et va bientôt rencontrer Frank Walker (mister Clooney), un ermite bourru qui était comme elle étant enfant. Surdoué, plein d’imagination, et « refusant de laisser tomber »…

Malgré quelques spectaculaires séquences parsemant l’histoire, tels une bataille rangée dans une boutique de geeks (qui rappelle étrangement beaucoup les Men in Black), l’invasion de la maison de Frank ou le décollage complètement absurde… de la Tour Eiffel, les grandes qualités de Tomorrowland n’ont que peu à voir avec l’étalage de moyens dignes de n’importe quel blockbuster actuel. Bird a déjà prouvé avec son Mission : Impossible qu’il maîtrisait l’action, les effets numériques et les micro-enjeux nécessaires à la réussite d’un bon morceau de bravoure. Et sa dernière réalisation prouve à tous les niveaux que sa méticulosité et son goût du détail visuel qui tue sont toujours bien présents, et suffisent à faire du film un divertissement trépidant. La force de Tomorrowland se situe plutôt dans ses personnages, dont les traits de personnalité servent de véritable force motrice au récit et, au bout du compte, en sont la raison d’être première.

Casey, par exemple, a tous les atours de la traditionnelle « élue », innocente appelée à un grand destin, mais il apparaît en fait que la raison de sa présence a plus à voir avec son caractère décidé et sa vision positive des choses. Que dire également du gouverneur Nix (Hugh « Docteur House » Laurie), grand manitou du « monde de demain » et figure allégorique de créateur omnipotent, dont la perte de croyance en l’espèce humaine engendre la pire des décisions ? Le mystère de Tomorrowland prend certes son temps pour être révélé – trop, aux yeux de beaucoup de spectateurs -, mais sa simplicité est trompeuse : Brad Bird veut avant tout faire vivre des personnages travaillés par le doute et l’indécision. Le plus fort, c’est que dans ce monde alternatif, même les robots sont plus enclins à des exercices de rhétorique qu’à la destruction tous azimuts.

« Tu veux pas plutôt être émerveillée, comme tout le monde ? »

À la poursuite de demain : le monde d’après

S’il n’est pas très heureux phonétiquement, le titre français À la poursuite de demain a au moins ceci d’évocateur qu’il souligne bien l’enjeu souterrain du film, qui ne se révèle que dans son dernier acte. Le futur est ici moins un horizon à sauver (pour résumer, la menace est assez vague, très arbitraire et évitée sans que l’on sache vraiment si elle a été si inévitable que cela) qu’une idée à chérir et à modeler. Derrière leurs tentatives d’Histoire revisitée, dignes d’un Benjamin Gates, et de fantaisie steampunk, Bird et Lindelof veulent avant tout provoquer une réaction viscérale du spectateur, comme ils projettent littéralement leurs héros dans tous les coins du cadre à la moindre opportunité.

Bird est manifestement nostalgique de l’esprit pionnier du véritable Walt Disney, qui rêvait lui aussi du monde de demain en donnant corps à ses idées. Si le film manifeste une certaine nostalgie à travers son esthétique chamarrée, solaire et ses visibles références geeks, c’est pour mieux en souligner par la suite le caractère vain et futile. L’ère du déclinisme ambiant, du cynisme commercial (la vague des blockbusters de « destruction massive » en prend pour son grade) et des renoncements technologiques est selon Tomorrowland une impasse qui nous mène droit à notre fin. Le seul moyen pour s’en sortir… est de faire bosser les rêveurs, les « créatifs » ! Une morale illustrée au moyen d’une dernière séquence problématique, que beaucoup de critiques ont qualifié de « pub Benetton », mais qui, au-delà de ses aspects assez naïfs, pêche surtout par son absolue simplification d’un vaste problème de société. L’avenir appartient-il aux rêveurs ? Oui, sans doute, mais, s’il doit être dessiné par une élite supposément « supérieure » (et les critères de cette supériorité sont pour le moins évasifs), il est fort probable que ce monde de demain, tout comme sa version idéale transformée en cité délabrée, finisse par reproduire les défauts de celui d’aujourd’hui.


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Trois sur cinq
À la poursuite de demain (Tomorrowland)
De Brad Bird
2015 / USA – Espagne / 129 minutes
Avec George Clooney, Britt Robertson, Raffey Cassidy
Sortie le 20 mai 2015
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