Baahubali : quand l’Inde devient épique (Étrange Festival 2015)

par | 23 septembre 2015

Le cinéma indien frappe fort avec ce blockbuster qui concurrence Hollywood sur son propre terrain !

C’est un mythe plus qu’autre chose, vu le peu d’exposition médiatique dont profite aujourd’hui le cinéma indien : celui d’une cinématographie pétillante de couleurs, pleine de fantaisie, d’actrices filmées comme des déesses et d’humour incompréhensible pour les Occidentaux. Bollywood, tout le monde connaît, mais peu y ont vraiment goûté, encore moins en salles. Le pays le plus productif du monde en terme de longs-métrages est pourtant fidèle à sa réputation, lorsqu’il arrive que certaines de ses productions les plus pétaradantes parviennent dans nos contrées : Lagaan est un lointain exemple, Queen, qui flirte avec le cinéma d’auteur et sort ce 23 septembre, un autre digne représentant. Pour une bonne part, ces films sont difficiles à exporter, mais ça ne sera sûrement pas le cas de Baahubali.

Ce blockbuster de S.S. Rajamouli, réalisateur de l’invraisemblable Eega (où un homme assassiné par des mafieux se venge… après avoir été réincarné en mouche : ça y est, vous avez envie de le voir ?), est devenu à sa sortie l’un des plus gros succès de l’histoire du cinéma indien – ce qui n’est pas peu dire. C’est une – très – grosse production en deux parties calibrée pour un public international, mais sans perdre pour autant les spécificités de son pays d’origine. Les codes narratifs y sont rapidement assimilables par les Occidentaux, et pour cause : Rajamouli ne s’est pas gêné pour reprendre à son compte les ressorts mythologiques utilisés depuis longtemps dans notre littérature et par Hollywood. Le résultat, hybride et d’une ambition visuelle monumentale, surtout lorsque le film est découvert sur grand écran, n’a pas à rougir de ces influences. Mieux, son exubérante naïveté donne une seconde jeunesse à un genre de récits épiques qui n’est désormais guère abordé au premier degré par l’industrie US. En se délestant de tout cynisme, Baahubali devient un spectacle paradoxalement très novateur dans son classicisme !

Le retour du fils du roi

Enfin… classicisme, c’est vite dit. Le ton est donné dès l’apparition, façon chantier des Pyramides, du titre sur l’écran. Baahubali : The Beginning raconte rien moins que l’histoire d’un demi-dieu à la Achille, même s’il n’est pas de descendance divine. Shivudu, incarné par un colosse nommé Prabhas, moustachu comme tous les vrais hommes, est un enfant sauvé des eaux, recueilli par une gentille communauté hindouiste, dans l’ancien royaume de Mahishmati. Alors qu’il approche l’âge adulte, bien qu’il ait l’allure d’un catcheur de quarante ans, Shivudu décide de gravir à mains nues, comme Ethan Hunt, l’imposante cascade qui surplombe le village. Son destin se jouera au-delà des cimes de cette falaise, où il poursuit l’image d’une femme qu’il n’a jamais rencontrée. Devinez quoi ? Il arrive en haut après s’être moqué plusieurs fois de la gravité, et tombe sur la guerrière Avanthika. C’est elle qu’il cherchait. La preuve : il lui dit, avant l’obligatoire chanson/séduction/leçon de machisme : « Je suis un homme. Tu es une femme. Je suis venu pour t’aimer ». Et ça marche !

« Malgré les particularismes qui peuvent faire sourire le spectateur, Baahubali ne se regarde jamais avec un œil cynique.« 

Bref. Baahubali passe ensuite aux choses sérieuses, en révélant que la vraie mère du héros, désormais surnommé Shiva – comme la déesse, oui -, est emprisonnée dans la capitale, et que Shiva, qui s’appelle en fait Amarendra Baahubali, doit la sauver pour réclamer son droit au trône ! De manière assez étonnante, le film embraie à mi-parcours sur un long flashback, où Baahubali Sr., interprété par le même acteur, rejoue Le prince d’Égypte en affrontant un demi-frère avide de pouvoir, lors d’une spectaculaire bataille contre des hordes barbares. Et pour bien situer les choses, celle-ci dure quarante minutes, et enterre bien des productions yankees récentes comme 300 ou Blanche-Neige et le chasseur !

Histoire épique et fantasy désarmante

Un héros à la puissance colossale partant à l’aventure pour accomplir son destin, affrontant les puissances en place pour rétablir la justice et sauver l’honneur de sa famille : Baahubali n’a pas peur de s’attaquer à des thèmes rebattus et des figures de style emphatiques, comme Rajamouli nous le rappelle dès les premières minutes. On y voit la reine mère, poursuivie par des soldats, sauver le bébé qu’elle a kidnappé de la noyade en le portant à bout de bras hors de l’eau, au mépris de sa vie. Un plan biblique qui rappelle Moïse, iconique au possible, et place d’emblée le film dans l’imagerie de la fantasy, même si le scénario se retient par la suite de présenter un bestiaire fantastique ou des cités surréalistes. Baahubali tient également et surtout du péplum, par ses inspirations narratives d’une part, mais aussi par son décorum antique (temples aux perspectives infinies, statues monumentales, chars dorés tirés par des chevaux – l’un d’eux possède même, par pur sadisme, des pales circulaires mortelles pour ses ennemis).

Tout comme les productions chinoises ou japonaises, Baahubali investit donc un champ culturel historique par le biais d’un récit aux allures de légende orale, fait de traîtrises, d’actes de bravoure insensés, de romances impossibles et de vengeances s’étendant sur plusieurs décennies. Par deux fois, le scénario fait ainsi de larges bonds dans le temps, et dédie par exemple vingt bonnes minutes à la séance d’escalade de son héros, qui ressemble à l’un des douze travaux d’Hercule, avant d’embrayer sur la suite de l’histoire. Rajamouli n’a, c’est un fait, peur de rien, et il est important de souligner que malgré les particularismes et les énormes invraisemblances qui peuvent faire sourire les spectateurs français, Baahubali ne se regarde jamais avec un œil cynique. Plus que le premier degré désarmant, c’est l’efficacité avec laquelle le film nous emporte dans son tourbillon d’aventures qui empêche tout regard condescendant. Certains personnages, comme le garde royal Kattappa, grand guerrier mais esclave malgré tout, la reine mère Sivagami, ou tout simplement ce grand gaillard bourrin de Shiva/Amarendra, au brushing aussi puissant que son inamovible moustache, sont même inoubliables, et ont la trempe d’un Maximus ou d’un Judas Ben-Hur.

L’aventure ne fait que commencer

Oui, Baahubali a, malgré son titre aux consonances étranges, l’étoffe des classiques du film épique, grâce à son rythme, son abondance de décors incroyables – numériques ou non -, ses effets spéciaux (pas toujours parfaits, surtout dans quelques plans aux incrustations risibles, mais dans l’ensemble impressionnants), et le côté à la fois familier et excitant de son scénario à rebondissements. Les deux parties du film ont été tournées sur l’ensemble d’une année, simultanément en deux langues (Baahubali vient en effet non pas de Bollywood, mais de Tollywood, industrie basée à Hyderabad), avec un luxe de moyens qui n’avait pas encore d’équivalent en Inde.

Le film est plus qu’un succès dans son pays : c’est un phénomène, qui risque de trouver son apothéose avec Baahubali : The Conclusion, désormais prévu pour avril 2017. Une sortie française est envisagée suite à la présentation du film en clôture de l’Étrange Festival, dans ce montage pensé pour le marché international – comprendre : avec moins de chansons -, mais malgré tout respectueux du récit original. Ce ne serait que justice tant le résultat du labeur de Rajamouli et son équipe dépasse le cadre des frontières culturelles  propres au cinéma indien.