Pour la deuxième fois en trois ans, la rédaction de BTW a posé ses valises en Bourgogne, pour accompagner le 10e anniversaire du Festival du film policier de Beaune. Plus de vingt films, un invité d’honneur, David Cronenberg, qui n’a pas tardé à montrer le bout de ses baskets siglées « Maps to the stars » sur le tapis rouge – pour une rencontre dont on vous dira tout très bientôt – et une atmosphère de crime et de paranoïa généralisée dans les premiers films découverts, qui n’ont pas menti sur leur appartenance au genre. Du Japon à l’Allemagne en passant par Israël (et la Corée du Sud, pour une Mémoire Assassine sur laquelle nous reviendrons aussi en détails), la première partie du voyage dans la sélection 2018 commence maintenant !

The Third Murder : justice et relativisme

D’un auteur dans le sens le plus pur du terme comme HirokazuKore-Eda, on ne pouvait s’attendre avec The Third Murder à un procedural lambda. Bien qu’il s’ouvre avec une scène factuelle de meurtre nocturne, le nouveau long-métrage du réalisateur de Tel père, tel fils et Après la tempête s’intéresse moins aux codes d’un genre qu’il aborde pour la première fois, qu’aux questionnements que ce type d’intrigue soulève. Acteur fétiche de Kiyoshi Kurosawa, Yakushi Koji interprète ici un meurtrier récidiviste, en passe d’être jugé pour un crime qui pourrait l’envoyer à l’échafaud (au Japon, la peine de mort est toujours d’actualité). Bien qu’il ait confessé son acte, sa version des faits change constamment, poussant son avocat (Fukuyama Masaharu), un pro de la « stratégie judiciaire », à se lancer dans une investigation insoluble. Quand il ne tacle pas au détour de ses dialogues le cynisme du système judiciaire de son pays, Kore-Eda interroge dans The Third Murder la notion de vérité, qui se dérobe sous les pieds de son héros. Qui sommes-nous pour juger notre prochain ? Qui mérite d’être puni ou d’être pardonné ? Suffit-il d’établir « sa » vérité pour avoir le sentiment du devoir accompli ? Ces discussions philosophiques, les protagonistes de ce film bavard et impressionniste les ont à haute voix, dans une série de face-à-face de plus en plus opaques et visuellement inventifs, le film préférant s’interroger sur les failles de notre humanité que de suivre les rails d’une enquête balisée.


Une part d’ombre : coupable, mais pas trop

L’intérêt de ce premier film de Samuel Tilman ne réside pas dans sa mise en scène, somme toute plutôt plate et surchargée de gros plans. Mais Une part d’ombre captive par son scénario et la manière dont ses acteurs exposent cette réflexion pertinente sur le crime et qui en profite. Le long-métrage présente tout d’abord David, dont l’existence baigne dans le bonheur : entouré de son épouse aimante, de ses adorables enfants et sa bande de potes, il achève un weekend sportif en France. De retour en Belgique, sa vie bascule lorsqu’il est accusé d’avoir tué une femme lors de son séjour dans l’hexagone. La descente aux enfers qui s’ensuit reste particulièrement bien orchestrée autour du protagoniste principal, quarantenaire énigmatique et sûr de lui, énervant au point qu’il est agréable de voir souffrir (si, si), son épouse, Natacha Régnier et leurs amis qui se divisent autour de son cas, sondant les secrets incroyables de l’âme humaine. Que feriez-vous si vous étiez accusé ? Si votre mari ou votre meilleur ami se retrouvait dans cette situation ? Et finalement, existe-il de crime plus grave que le meurtre ?


À quatre mains : tour de passe-passe made in Germany

Probablement le meilleur film de cette première journée de festival, À quatre mains, deuxième long-métrage d’Oliver Kienle est un thriller pétri de mystères. Si vous aimez les énigmes, les scénarios hors normes et hors genres, laissez-vous bercer par la mélodie mortelle des sœurs pianistes Sophie et Jessica. Lorsqu’elles étaient petites, un couple de cambrioleurs a assassiné leurs parents sous leurs yeux. Trente ans plus tard, lorsque Jessica décède de manière accidentelle, Sophie fait face à d’étranges visions. Le grain de sa peau, l’éclat de ses cheveux, son attitude et d’autres détails corporels trahissent bientôt un dédoublement de personnalité : Jessica est toujours en elle, et elle est en quête de vengeance… Sous ses allures de film à suspense esthétisant (mention spéciale à la maison d’enfance, tendance gothique urbain, particulièrement cinégénique), ménageant un twist intelligent même si relativement prévisible, À quatre mains construit autour de son personnage de pianiste piégée par son propre cerveau un labyrinthe mental aux recoins et aux impasses particulièrement captivants à visiter.


Le dossier Mona Lina : duo d’espionnes à Hambourg

Présenté dans la sélection Sang Neuf, Le dossier Mona Lina (traduction un poil fantaisiste du plus efficace Shelter) est pourtant loin d’être le premier film d’Eran Riklis, vétéran du cinéma israélien à qui l’on doit des œuvres comme Zaytoun ou Une fiancée syrienne. Adaptant le roman The Link de Shulamit Hareven, le cinéaste nous plonge dans un film d’espionnage au féminin, qui tient tout autant du drame en chambre que du thriller à suspense mené sans temps mort. Naomi (Neta Riskin) est un agent du Mossad qui reprend du service en acceptant de « babysitter » une source libanaise des services secrets, Mona (Golshifteh Farahani, que l’on a revu récemment dans La nuit a dévoré le monde et Santa et Cie), pendant son séjour à Hambourg où elle subit un changement radical d’identité. Bien entendu, la planque va tôt ou tard être compromise, et le lien qui se crée entre les deux femmes être mis à rude épreuve… Le dossier Mona Lina tire ainsi sa richesse de ce beau double portrait de femmes, contrariées dans leurs désirs de liberté, de nouvelle identité et de maternité. Côté suspense, par contre, ça ronronne un peu plus, malgré un dernier acte risqué qui tente un changement de registre trop confus pour être vraiment convaincant.