Bellflower : amour, gloire et lance-flammes

par | 10 décembre 2021 | Rétroaction

Bellflower : amour, gloire et lance-flammes

Grand prix du PIFFF 2011, Bellflower est une chronique déglinguée d’une l’apocalypse se jouant dans les cœurs et les esprits. Critique.

Tout film qui débute par une citation extraite de Mad Max 2 ne peut être foncièrement mauvais. Bellflower annonce indirectement la couleur en plaçant en exergue de son premier long-métrage : « Lord Humongus ne peut être défié » – Lord Humongus. À mi-chemin entre la philosophie nietztchéenne et l’égocentrisme le plus burlesque, cette réplique du grand méchant barbare du chef d’œuvre de George Miller peut servir de note d’intention à ce Bellflower issu, de A à Z, de l’imagination d’un seul homme, Evan Glodell. Un pur Américain, trentenaire un peu rock’n’roll travaillant depuis des lustres dans le milieu du cinéma, et qui a fantasmé suite à une sale histoire d’amour cette virée désenchantée dans le quotidien de deux potes un peu paumés, obsédés par la Turbo Interceptor au point de passer tout leur temps libre à en reconstruire une pour eux.

Apocalypse intime

Bellflower : amour, gloire et lance-flammes

Woodrow (Evan Glodell lui-même) et Aiden (Tyler Dawson) tuent donc le temps dans des activités d’ados attardés, arborant une sorte de détachement nihiliste qui ne doit rien au punk, même s’il devient rapidement clair que le duo a une attirance durable pour la destruction, démonstration de lance-flammes à l’appui. Forcément, cette « bromance » un peu spéciale prend un virage dramatique à la fin du premier acte, une fois que Woodrow, moins extraverti mais plus torturé que son pote, s’amourache de Milly (Jessie Wiseman). Les deux tourtereaux vivent leur histoire sur le mode carpe diem version rock’n’roll, avec virée sur une moto (« trop post-apocalyptique », forcément) achetée sur un coup de tête, bastons, et tutti quanti. Milly prévient Woodrow qu’elle « ne pourra s’empêcher de lui faire du mal ». Woodrow ne la croit pas, et bien sûr, il a tort : cet amour qu’il veut vivre 200 à l’heure, comme ce Max qu’il adule, va l’emmener droit à la destruction, signifiant la fin d’une époque, de l’insouciance, de la confiance en l’avenir. L’apocalypse, la vraie, va se jouer à un niveau personnel, l’inévitable séparation prenant des allures de règlement de comptes.

« On pense à Gus Van Sant, forcément aussi à Gregg Arraki,
mais Bellflower cultive avec férocité sa différence. »

Pour que ce message symbolique soit limpide, Glodell a adopté en vrai touche-à-tout (il est aussi scénariste, producteur, monteur du film, a construit lui-même la voiture – surnommée Mother Medusa – et le lance-flammes, et s’est chargé des effets spéciaux avec son frère) un style bien particulier, qui donne sa vraie personnalité au film. La photographie est surexposée, la pellicule volontairement tâchée de manière aléatoire, la musique lourde et le montage syncopé. Cette mise en forme est heurtée, onirique, de plus en plus déstabilisante au fur et à mesure que Woodrow perd pied, et que ses songes, ses souvenirs, perturbent la narration jusqu’au point de non-retour. On pense à Gus Van Sant, forcément aussi à Gregg Arraki, mais Bellflower cultive avec férocité sa différence, au point d’en oublier d’être cohérent dans sa démonstration.

Les nouveaux barbares ?

Bellflower : amour, gloire et lance-flammes

À force de rêver de big bang, de bitume et d’amourettes de rock star, Glodell fonce parfois dans le mur et perd véritablement le spectateur, forcé à l’empathie pour son dynamic duo, alors que leur parcours personnel ne suit aucune logique narrative (Woodrow passe ainsi brutalement du statut de slacker souriant et décontracté à celui de lonesome cowboy défoncé et vulgaire). L’acteur-cinéaste montre un vrai talent pour dépeindre une communauté qu’il connaît visiblement sur le bout des doigts, et dont on a aucune peine à croire qu’elle soit aussi cintrée et auto-destructrice.

Ce nihilisme pathétique (il n’existe après tout aucune raison extérieure pour que Woodrow et Aiden aient l’esprit remplir de pensées aussi sombres, à part le fait qu’ils ne veuillent pas grandir) fascine durablement, pour peu que l’on s’identifie à l’imagerie déglinguée du film. Mais, pour aussi original et viscéral qu’il soit, Bellflower ne plaira certainement pas à tout le monde. C’est un film entier, imparfait, grossier dans certains aspects de sa conception (le scénario est semi improvisé, le casting inégal, et le film trop long), malgré tout traversé de vraies fulgurances. En plus, il faut le rappeler, de rendre hommage à l’un des meilleurs films du monde.