Red Notice : rien de notable à voir ici
Pur produit de masse mangeant à tous les râteliers, Red Notice peine à remplir sa mission première de divertissement.
À peine quinze jours après la sortie de Red Notice, les chiffres sont tombés, comme une évidence, comme le résultat d’une équation déjà précalculée un an à l’avance : le film de Rawson Marshall Thurber est devenu le film le plus « lancé » de l’histoire de Netflix. Environ 164 millions de spectateurs dans le monde auraient regardé, et pas seulement deux minutes, le blockbuster automnal de la plateforme. C’est évidemment énorme, et c’est une sorte de retour sur investissement attendu pour cette production au budget murmuré de 200 millions de dollars, rassemblant trois vedettes qui ont plus l’habitude de remplir des salles que des canapés. Des chiffres, encore des chiffres, c’est un peu froid pour commencer une critique, mais de toute manière, il n’y a pas d’angle beaucoup plus intéressant pour parler de Red Notice que celui des chiffres. Tout dans ce long-métrage est affaire de calcul et d’additions, et pas d’élan artistique ou d’inspiration créatrice.
L’addition, déjà. Elle est plutôt simple : le mastodonte Dwayne Johnson en premier lieu, habitué des films de Thurber (Central Intelligence, Skyscraper, c’était lui) s’ajoute au playboy idiot Ryan Reynolds, déjà passé par la case streaming en 2020 avec un très similaire – mais beaucoup plus épileptique – Six Underground, et à la super-dame Gal Gadot, qui avant les Wonder Woman avait, rappelez-vous, tâté de la saga Fast & Furious. Un brelan de membres consacrés de la « A list », dont le salaire combiné explique à lui seul le budget affolant de Red Notice, à la fois un film d’action, d’espionnage et d’aventure, qui voyage un peu partout en Europe, en Russie et en Amérique pour tenter de nous dépayser. Johnson y incarne un profiler d’Interpol (rôle à plusieurs faces où il est malgré tout aussi crédible que Fabrice Luchini dans la peau d’un serial killer) sur la trace des voleurs d’arts concurrents joués par Reynolds et Gadot. Ces trois-là vont se poursuivre, se chamailler, s’entraider, se trahir tout au long d’une chasse à l’œuf (non mais littéralement, hein) où toute logique et toute vraisemblance vont être peu à peu sacrifiées sur l’autel du Divertissement.
Bons calculs, mauvais résultats
Le calcul, ensuite. En exploitant le potentiel de ses acteurs et l’exotisme de ses décors (d’un musée romain à une jungle sud-américaine en passant par des arènes espagnoles), Thurber compte bien séduire les amateurs de machinations rocambolesques à la Mission : Impossible, de buddy movie viril sur fond de cambriolages à la Fast And Furious, de second degré constant à la Deadpool, de chasse au trésor à la Indiana Jones, de comédies glamour sans ambition comme il s’en déverse des tonnes chaque année à Hollywood. Un package tout-en-un, lissé pour plaire à et être oublié par tout le monde, où chacun des trois as serait avant tout utilisé pour ce qu’il sait faire et ce qu’il représente. C’est bien simple : jamais dans Red Notice les acteurs incarnent des personnages, contribuer à créer un univers. Johnson reste Johnson, force de la nature au physique aussi spectaculaire qu’encombrant, jamais vraiment convaincant quand il doit faire autre chose qu’arracher des portes à mains nues. Reynolds, lui, est Reynolds, réservoir de blagues à 90 % inefficaces qui tente vaillamment de devenir le pire ressort comique de l’histoire du 7e art avec la bénédiction de ses scénaristes – y a-t-il une seule séquence de ce film qui ne soit pas ruinée par une de ses punchlines méta/référentielles/ironiques ratées ? Gadot, enfin, demeure Gadot, archétype de femme fatale sexy qui sait se battre comme les mecs, mais dont le potentiel dramatique est surtout résumé à ses changements de tenues – au final, elle ne réussira même pas à rester cette voleuse indépendante qui dame le pion à ses virils poursuivants.
« Excepté quelques cascades et combats réussis, Red Notice désole. »
Toutefois, vous l’aurez sans doute déjà compris, addition de stars et multiplication de genres et de décors n’aboutissent pas forcément à une solution magique. Désincarné au possible, transpirant le spectacle pré-marketé à plein nez, Red Notice ne propose rien de neuf (on n’attendait rien de ce côté de toute manière) mais pire, réussit plus d’une fois à ennuyer et à consterner. Par ses invraisemblances aveuglantes, par sa gaudriole permanente qui bride l’aventure pour mieux cultiver la farce, par ses coups de coude au spectateur sommé d’oublier cinquante ans de blockbusters américains plus sincères et plus modestes. Excepté quelques cascades et combats réussis, Red Notice désole, en fait, parce que la somme de ses parties est inférieure à tout ce qu’on était en droit d’attendre. Parce qu’il est clair qu’un truc aussi paresseux et sans vie aurait tout autant cartonné sur grand écran. Parce qu’il est tentant de penser, enfin, qu’une grande majorité du public se contente très bien désormais de ce type de produit, conçu pour « s’aérer la tête » mais n’y glissant à aucun moment autre chose que du vide.