Amorcée manière aussi étonnante que brillante par Joe Johnston dans Captain America : First Avenger, la saga du héros de l’Amérique a longtemps gardé le mystère sur la direction qu’allait prendre l’inévitable séquelle, avec son superhéros à la bannière étoilée devenu une relique d’une Amérique qui a perdu son innocence dans un siècle bien plus complexe. Après les déceptions des précédentes productions Marvel produites en 2013, le faussement subversif Iron Man 3 et la sitcom Thor : Le Monde des ténèbres, il était difficile de savoir si les frangins Anthony et Joe Russo, à l’origine de la série Community et de comédies avec George Clooney et Owen Wilson, étaient les mieux « capés » pour redresser la barre, comme nous le disions dans notre preview.

Surprise ! Ils font mentir les pronostics en faisant passer brillamment la seconde à Cap’, après l’intermède Avengers, enrichissant un personnage qui reste le plus humain du monde des superhéros, et optant pour un virage inattendu, mais néanmoins convaincant vers le thriller politique.

La menace intérieure

Captain America : le soldat de l’hiver, parano à grand spectacle

[quote_right] »Les frères Russo font mentir les pronostics en faisant passer brillamment la seconde à Cap’. »[/quote_right]Reprenant dans les grandes lignes le reboot initié par Ed Brubaker dans le comic book en 2004, Captain America : le Soldat de l’Hiver plonge le supersoldat Steve Rogers dans une intrigue qui fleure bon le thriller paranoïaque des années 70, sans pour autant négliger le quota réglementaire de scènes d’action, et propose une vision « sérieuse » du Marvelverse tenant plutôt bien la route. Après les événements d’Avengers, Rogers s’est ainsi installé à Washington, continuant tant bien que mal à s’adapter au monde moderne (aspect seulement effleuré dans le film de Joss Whedon), tout en mettant ses talents au service du S.H.I.E.L.D. et en particulier l’un de ses grands patrons, Alexander Pierce (Robert Redford). Tout se complique le jour où un complot est mis à jour au sein de l’agence, qui vise entre autres à éliminer Rogers. Avec l’aide de la Veuve Noire (Scarlet Johansson) et d’un nouvel allié inattendu nommé Le Faucon, Captain America tente de contrer cette menace, tombant dans le processus sur un ennemi surpuissant, surgi lui aussi du passé : le Soldat de l’Hiver.

Si le scénario n’atteint pas les sommets de concision voulus, avec quelques bonnes grosses ficelles bien visibles, il n’en demeure pas moins que la façon dont les rebondissements et les retournements de situation s’enchaînent dans ce mélange de Trois jours du Condor et de film de superhéros, et la manière dont est traitée l’évolution des personnages principaux procure un plaisir ludique manifeste, sentiment qui était quasi absent des récentes productions Marvel.

Des valeurs dépassées ?

Captain America : le soldat de l’hiver, parano à grand spectacle

Critiqué pour sa fadeur dans le précédent opus, Chris Evans fait plus que bonne figure ici en étoffant le profil de son personnage dans de nombreux registres : à la fois nostalgique de son glorieux passé (superbe séquence de musée à la clé) et quelque peu perdu dans un monde qui va trop vite, « le Cap » demeure néanmoins ce boy-scout valeureux et habité par des principes démocratiques et humanistes qui ne sont pas qu’un « habillage » de surface. Le casting, pléthorique, réussit à amalgamer avec bonheur des personnages récurrents comme Nick Fury (Samuel Jackson) ou l’agent Hill (Cobie Smulders) avec une toute nouvelle galerie de personnages : Le Faucon, bien sûr (Anthony Mackie), mais aussi Batroc et Crossbones (Frank Grillo),  qui viennent enrichir la galaxie Marvel avec un respect certain du matériel d’origine.

Mais s’il y a un personnage qui sort grandit de l’aventure, c’est clairement la Veuve Noire, qui passe du statut de faire-valoir sexy dans lequel elle était cantonnée depuis Iron Man 2 à celui de personnage dangereux, plus en adéquation avec les comic books d’origine, look modifié et gadgets explosifs à la clé. S’il y a quelque déception à avoir, elle résiderait plutôt dans la manière dont est prestement évacué ce qui aurait du être le ressort principal et émotionnel du film, à savoir la révélation de la mystérieuse identité du « soldat de l’hiver » (un secret éventé très tôt dans la campagne promotionnelle du film) et les bouleversements qui s’en suivent pour Steve Rogers. Mais la priorité étant donnée à l’action, certaines options ont été manifestement abandonnées très en amont de la production.

Un héros de notre temps

Captain America : le soldat de l’hiver, parano à grand spectacle

Choisissant d’immerger Captain America dans une intrigue où il se trouve confronté aux dérives omnipotentes d’une agence de protection anti-terroriste, sous la gouverne d’un Robert Redford parfait en « super-homme du président », et à la résurgence de sa némésis séculaire,  l’organisation HYDRA, les scénaristes Christopher Markus et Stephen McFeely réussissent à mener de front leurs deux objectifs : magnifier l’aspect iconique de leur superhéros, pour lui permettre d’atteindre une dimension supplémentaire qui n’en fera plus la relique du bon vieux temps, et pointer avec justesse (et dans les limites de ce que peut permettre une production a priori si calibrée) les dangers de la dérive sécuritaire des grands organismes d’état. Quant à la réalisation des frères Russo, elle se révèle à la hauteur de l’aventure de haut vol espérée, même s’il est à regretter quelques plans hasardeux à la shaky cam et un montage trop cut par endroits. Leur mise en scène met en relief (3D) avec efficacité les somptueux effets spéciaux et les chorégraphies des différents affrontements, rendant une bonne fois pour toutes crédible le port et le lancer du fameux bouclier ! Et pour compléter la réussite de l’ensemble, une fois le cataclysmique climax terminé (oui, c’est un blockbuster, rappelons-le, pas un film de Sidney Pollack), le plaisir se trouve prolongé par deux jouissives scènes post-générique qui jettent un pont vers Avengers : Age of Ultron, mais aussi un futur épisode de Captain America qui a gagné définitivement ses galons de héros charismatique et sérieux.

Avec Captain America : le soldat de l’hiver, la branche cinéma de Marvel réussit enfin à produire un film qui soit à la fois respectueux de la mythologie issue de ses pages dessinées, et qui inscrit sans reniement aucun un personnage de fiction dans une réalité alternative sombre et crédible, cohérente avec notre époque. Après deux faux départs, la phase 2 du Marvelverse au cinéma prend une direction prometteuse, et laisse encore plus d’espoir pour la découverte des Gardiens de la Galaxie cet été, puis de Avengers : Age of Ultron en 2015.


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]

Qautresurcinq
Captain America : le soldat de l’hiver (Captain America : The Winter Soldier)
De Joe et Anthony Russo
USA / 2014 / 136 minutes
Avec Chris Evans, Scarlet Johansson, Robert Redford
Sortie le 26 mars 2014
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