Huit ans après la sortie de 300, que reste-il du comic-book spartiate de Zack Snyder ? Le triomphe inattendu du film, porté par une imagerie aussi crypto-gay que brutale, a lancé une sorte de mode du péplum sur fond vert, dont l’avatar le plus mémorable n’aura pas vu le jour au cinéma, mais à la télévision. Dans l’esprit et la méthode, la série Spartacus est le cousin le plus proche de 300, mais en beaucoup plus gore et cul, pour faire court. Mieux (ou pire) encore, le show créé par Steven DeKnight a profité de son format au long court pour creuser ses charismatiques personnages et ses arcs narratifs, lui permettant de dépasser le côté carrément racoleur de son esthétique pour imposer un univers épique et décomplexé.

L’armée d’Eva

300 : la naissance d’un empire, péril en mer

Arrivant après la bataille, la séquelle / préquelle / sidequel 300 : la naissance d’un empire (ex-Xersès, ex-The Battle of Artemisia) transpose pour résumer la chose le film de Snyder – ici crédité comme producteur et co-scénariste – sur le front maritime. Le réalisateur Noam Murro (réalisateur de pubs… et de l’inoffensive comédie Smart People) semble à cette occasion avoir jeté un œil intéressé sur la série phare de la chaîne Starz… sans pour autant s’inspirer de son inattendue richesse scénaristique.

[quote_left] »Émasculant sans pitié l’arrière-plan politique de l’histoire, le script se résume à un entrelacs de batailles homériques, de scènes d’exposition purement illustratives et de dialogues atrocement mauvais. »[/quote_left]L’histoire adopte une structure en flashbacks permettant d’en savoir un peu plus (mais pas beaucoup) sur la guerre entre Perses et Grecs, qui fournissait la matière historique du très fantaisiste 300. Ces retours en arrière se concentrent sur les principaux personnages de cette suite tardive, en premier lieu Themistocle, général grec incarné par Sullivan Stapleton (révélé, comme pas mal d’acteurs australiens, par Animal Kingdom). Ce guerrier aussi doué pour les discours motivationnels que le roi sparte Léonidas, enclenche malgré lui un engrenage belliciste avec l’empire Perse en tuant son roi Darius, père… de Xersès. Oui, le mégalomaniaque « Dieu-Roi » (mal) joué par Rodrigo Santoro, toujours affublé de ses breloques SM et de son complexe de supériorité, est de retour. Le scénario explique comment Xersès a acquis sa stature divine (en gros, il prend un bain magique) et décidé de ravager la Grèce pour venger son père, manipulé par la véritable star du jour, Artémise. L’envoûtante et décomplexée Eva Green endosse, avec un plaisir visible, les habits de cette impitoyable combattante, aussi prompte à décapiter les incompétents de son propre camp qu’un bad guy bondien. Pendant que 300 spartiates luttent à terre pour repousser l’invasion perse, Themistocle prend lui la mer pour affronter l’armada d’Artémise, malgré un rapport de force clairement en sa défaveur…

Vengeance ! Vengeaaaance !

300 : la naissance d’un empire, péril en mer

Il n’y a aucune surprise de ce côté-là : le scénario de Naissance d’un Empire est autant, voire plus crétin que celui de 300. Émasculant sans pitié l’arrière-plan politique de l’histoire, le script se résume à un entrelacs de batailles homériques, de scènes d’exposition purement illustratives (la mort de Darius est reprise deux fois en dix minutes, histoire que le spectateur/crétin de base ne soit pas perdu, le pauvre) et surtout de dialogues atrocement mauvais, dupliquant à l’infini les clichés militaro-libertaires du genre, sans y introduire une once de second degré. On a donc droit à une sous-intrigue stérile autour d’un père et de son fils (Jack O’Connell, la petite frappe de The Liability et Tower Block), aux monologues prodigieux de crétinerie de Xersès, qui adore semble-t-il parler tout seul comme dans une page de BD, et aux discours enflammés de tous les personnages, qui partagent, bons comme mauvais, une motivation aussi puissante que primitive : le besoin de vengeance. Même la femme de Léonidas, Gorgo (Lena Headey, venue reprendre son rôle entre deux épisodes de Game of Thrones), prend les armes pour motiver les troupes et venger son mari. C’est dire si ça gueule à s’éclater les poumons pendant deux heures, au point qu’on plaindrait presque les perchistes.

Cet abus de vocifération n’a rien de surprenant et fait partie intégrante d’un genre intrinsèquement bourrin, où même le bruit des rames est une excuse pour exploser vos enceintes. Noam Murro s’applique comme le quasi-débutant qu’il est à reproduire ces règles, non sans y ajouter une bonne dose de sadisme, les cartoonesques combats au corps-à-corps ne lésinant pas sur le sang numérique et les amputations. Surtout, le film balance à mi-parcours une scène de « négociation » assez bluffante entre Artémise et Thémistocle, en fait un jeu de domination à la fois stratégique et sexuelle à la chute… jouissive, en tout cas pour le spectateur. C’est sur ce point que le film s’approche le plus de Spartacus, où le sexe constitue à la fois un présage de mort, et un outil politique primordial. C’est là aussi que Naissance d’un empire marque plus l’esprit que son prédécesseur, avec ces personnages féminins forts, déterminés et complexes prenant inévitablement le pas sur leurs équivalents masculins, coincés dans une vaine recherche de perfection physique et d’honneur absolu.

La mer de toutes les batailles

300 : la naissance d’un empire, péril en mer

Les années aidant, les techniques visuelles employées par 300 : la naissance d’un empire, si elle sont en surface identiques à celle de l’opus original, bénéficient d’avancées technologiques permettant de « simuler » des batailles navales à partir d’images tournées complètement « à sec » en Bulgarie. Sur grand écran, les scènes maritimes affichent ainsi une réelle ampleur, sans atteindre toutefois le photoréalisme d’une Odyssée de Pi (c’est de fait la société Rythm & Hues, malheureusement connue depuis 2013 pour ses difficultés financières, qui s’est occupée des SFX des deux films). Visiblement pas très obsédé par le côté exagérement martial et pro-occidental de Snyder et Miller, qui parasitait 300 et empêchait de prendre le film au sérieux, Murro préfère se concentrer sur la puissance purement graphique de ses scènes de bataille, qui copient certes les codes esthétiques établis par le premier film (abus de ralentis extrêmes, filtres monochromatiques omniprésents, éclairs dans le ciel et violence frontale), mais profitent d’un champ d’exploration visuel autrement plus excitant. Le cinéma regorge certes de films de pirates et de batailles en mer, mais a-t-on déjà vu de telles batailles rangées sous une mer déchaînée dans le contexte d’un péplum ?

Incontestablement, ces morceaux de bravoure constituent la raison d’être principale de Naissance d’un Empire, en tout cas si l’on voit le film débarrassé de sa gênante 3D, pas forcément mal exploitée, mais peu adaptée à la photo sombre et monochrome du film. Bourrées de plans iconiques et poseurs, d’idées folles (un plan séquence en particulier, durant la bataille finale, en plus d’évoquer sans détour les cinématiques de jeux comme God of War ou Assassin’s Creed, ose aller avec panache au bout d’une idée parfaitement ridicule à la base), propulsées par un découpage lisible et des designs marquants, ces scènes permettent presque de passer outre les nombreux défauts du film, notamment une fin ouverte abrupte, qui se voient comme les piercings de Xersès au milieu de la figure.


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]

Quetresurcinq
300 : Naissance d’un Empire (300 : Rise of an Empire)
De Noam Murro
2014 / USA / 117 minutes
Avec Sullivan Stapleton, Eva Green, Rodrigo Santoro
Sortie le 5 mars 2014
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