Même si elle n’a pas encore été annoncée officiellement, l’édition 2018 du Festival du film coréen devrait être une formalité. Pour sa 12e année d’existence, l’événement parisien a encore une fois rassemblé la foule des grands jours au Publicis des Champs-Élysées. Avec des séances pleines pour pratiquement chacun des 31 films programmés durant une semaine d’octobre, le FFCP continue de s’imposer en 2017 comme l’un des plus importants rendez-vous de l’année pour le cinéma asiatique en France.
En dehors des longs-métrages événement comme A Taxi Driver, Vanishing Time, The Mimic et Battleship Island, assurés d’être distribués chez nous et sur lesquels nous reviendrons en profondeur, cette édition nous a permis de découvrir une poignée de longs-métrages éminemment politiques. Quand bien même ils resteraient placés sous le signe du divertissement, ces films en disent long sur l’histoire récente du pays, sur les pouvoirs qui le contrôlent et les élites corrompues qui en profitent. Un tableau pas folichon, mais en phase avec une époque qui a vu les Coréens descendre par millions dans la rue pour pousser dehors leur propre Président. Est-ce un hasard si ces temps tumultueux produisent des films toujours plus engagés et passionnants pour notre œil occidental ? Pas vraiment !
Au-dessus des lois
Idéal pour passer en revue trente années de changements politiques en Corée du Sud, The King est une œuvre au carrefour de plusieurs mondes. Emmené par une voix off envahissante, le film dévoile rapidement son influence principale, qui gouverne son esthétique et sa structure : Martin Scorsese. The King est un croisement entre Les Affranchis et Le loup de Wall Street. « Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours voulu être un procureur » : telle aurait pu être la première réplique de Park (Jo In-sung), qui embrasse cette carrière le jour où il comprend que le vrai pouvoir ne s’acquiert pas avec les poings. The King suit à coups de montages chronologiques sa route vers le succès et son entrée dans l’équipe de l’impitoyable procureur général Han Kang-sik (la star Jung Woo-sung, vu l’an passé dans Asura). À force de manipulations et de dossiers compromettants, Han règne sur le monde des élites coréennes, pariant sur les futurs présidents qui lui permettra de conserver sa place. Forcément, à force de côtoyer ce cousin de Jordan Belfort, amateur de plages privées et de filles faciles, Park va se retrouver face à un dilemme moral… Ce parcours classique, en forme de « rise & fall » judiciaire et politique, enlève à The King une partie de son originalité. Grâce à une réalisation fluide et imaginative, la première partie, qui détaille l’ascension de Park depuis son lycée jusqu’aux hautes sphères de la fonction publique, est la plus jouissive et révélatrice, car riche en détails sonnant vrai (le film est de fait basé sur des faits réels). The King s’enlise ensuite dans une narration empruntant trop aux codes du film mafieux pour étonner, le pire étant atteint lors d’un dénouement naïf et forcé, peu convaincant. Reste un film foisonnant, porté par une BO qui donne la patate.
[quote_center] »Lorsqu’il se confronte à ses questionnements moraux, Ordinary Person est plus d’une fois bouleversant. »[/quote_center]
Moins clinquant, Ordinary Person nous replonge lui aussi dans le passé du pays, au mi-temps des années 80. La Corée du Sud, comme on l’apprend entre autres dans A Taxi Driver et The Attorney, est en pleine dictature militaire, mais cela n’atteint pas vraiment l’anti-héros de cette histoire, le détective Kang (excellent Son Hyun-joo). Policier brutal – quelle surprise – et grande gueule, Kang arrête un homme qui intéresse les services secrets. Ces derniers veulent mettre sur le dos du suspect 17 crimes et le faire passer pour un serial-killer. Attiré par la perspective d’une promotion, Kang accepte d’extirper des aveux de son prisonnier, même s’il commence à penser qu’il ne peut être l’auteur de tous ces crimes… Plus que l’enquête, c’est le portrait d’un homme soumis à des choix impossibles qui est au cœur d’Ordinary Person. Père d’un enfant handicapé, marié à une femme sourde et muette, Kang cache sous son allure rustre une vraie morale et une capacité à l’empathie et à l’amour qui sont mises à rude épreuve. Kang doit-il se reprocher d’être corrompu, si cela signifie avoir une vie plus heureuse pour sa famille ? Le confort matériel vaut-il de cacher les yeux sur la folie d’un pouvoir autoritaire, comme le lui rappelle son meilleur ami journaliste ? Lorsqu’il se confronte à ces questionnements moraux, Ordinary Person est plus d’une fois bouleversant. Au bout du chemin, la tragédie guette, et la force du film est d’intégrer la petite histoire dans la grande, la prise de conscience tardive du policier faisant écho à celle de tout un pays. On pardonnera d’autant plus l’épilogue atrocement mélodramatique, ultime note gâchant un peu le tableau d’une œuvre par ailleurs passionnante et mémorable.
Apprentis détectives et espions de pacotille
Au FFCP cette année, il n’y avait pas beaucoup d’occasions de rigoler. En marge d’une rétrospective, et par extension d’une sélection éminemment engagée, le festival programmait quelques divertissements plus légers, dont le plus efficace était Midnight Runners. Dans le genre pas toujours facile à maîtriser du buddy movie, le réalisateur Kim Joo-hwan se montre diablement habile. Le pitch ne laisse pourtant pas augurer d’un chef d’œuvre : deux jeunes recrues de l’école nationale de police, Kang et Hwang, deviennent les meilleurs amis du monde pendant leurs années d’entraînement, où ils apprennent en bâillant les ficelles du métier. En permission pour un soir, ils assistent au kidnapping d’une jeune femme, et décident de mener l’enquête tous seuls, quitte à risquer l’expulsion… ou bien pire. Humour de chambrée, opposition basique de personnages (l’un est un intello maniaque et procédurier, l’autre un sportif tête brûlée), bastons à la fois douloureuses et comiques… Midnight Runners reprend à son compte des ingrédients usés jusqu’à la corde, mais surprise ! L’alchimie entre Park Seo-joon et Kang Ha-neul, ses deux têtes attachantes d’affiche, est évidente, le contrepoint entre la potacherie de leurs interactions et le glauque absolu de leur enquête (un trafic d’ovaires qui aurait plus sa place dans un Murderer) est culotté, et l’ensemble est excellemment bien rythmé, avec une progression patiente vers des scènes d’action de plus en plus furieuses. On notera quand même la légèreté avec laquelle le film traite les « tactiques » de drague du duo, pas gêné pour suivre les femmes dans la rue, ou la légitimité de leur enquête : en gros, c’est pas grave de jouer les flics sans badge et sans autorité, tant que c’est fait avec le cœur !
[quote_center] »Dans le genre du buddy movie, Midnight Runners se montre diablement habile. »[/quote_center]
Beaucoup plus grimaçant et plombant, V.I.P., nouvelle production Warner Bros Asia après The Age of Shadows l’an passé, était particulièrement attendu. Il faut dire que son réalisateur Park Hoon-jung, qui s’était fait connaître avec les scénarios de The Unjust et J’ai rencontré le diable, n’est plus un inconnu. On lui doit l’excitant film de mafia New World et l’épique The Tiger, scandaleusement inédit chez nous. Park change à nouveau de genre avec V.I.P., qui flirte à la fois avec le film d’espionnage, de serial-killer et le drame politique. L’histoire se déroule à cheval entre les deux Corées et Hong-Kong, où l’action débute sous forme (soupir) de flash forward. Une manière inutilement complexe de lancer un scénario brinquebalant , tournant autour d’un serial-killer « protégé » à la fois par la CIA et les services secrets coréens. Pourquoi ? Cette tête à claques sociopathe et misogyne, apparemment fan d’Orange Mécanique, est le fils d’un haut-gradé nord-coréen, détenteur d’une énorme fortune cachée dans une banque chinoise. Compliqué ? Par pour le détective Yi-do, dur à cuire parlant toujours avec la clope au bec, qui veut coffrer le taré pour de bon. V.I.P. tente donc de justifier, sans convaincre, le fait que des officiels de tous bords veuillent mettre à l’abri un tueur en série coupable d’au moins une vingtaine de meurtres. Park Hoon-jung ne lésine pas sur les détails scabreux, particulièrement dans la première bobine, pour bien montrer qu’on est pas là pour plaisanter. Mais ces excès se retournent vite contre le film, handicapé par des dialogues médiocres, des personnages caricaturaux (Peter Stormare, invité à jouer un agent américain graisseux, est abominablement mauvais) et des rebondissements invraisemblables. V.I.P. ne ressort pas non plus grandi de la polémique, assez justifiée, qui a suivi sa sortie en Corée du Sud, les spectateurs ayant globalement été choqués par le traitement unilatéralement dégradant réservé aux rares personnages féminins…
La forteresse de la solitude
Cette année, le festival proposait deux exemples très opposés de « films Joseon », c’est-à-dire de longs-métrages en costumes se déroulant durant l’époque moyenâgeuse liée à la dynastie du même nom (qui a quand même dirigé le royaume pendant six siècles). D’un côté, la comédie The King’s case note, et de l’autre, l’austère The Fortress, carton très récent en son pays avec déjà plus de 4 millions de spectateurs. Il faut dire que les mythes associés à la forteresse appelée Namhansanseong, sont très connus en Corée du Sud : situé sur une crête montagneuse, l’endroit était au XVIIe siècle un « palais d’urgence », dans lequel la cour royale s’est réfugiée en 1636 lors de l’invasion des Qing. C’est ce siège de 47 jours, au cœur d’un hiver impitoyable, que retrace The Fortress, qui oppose à l’écran deux énormes vedettes, Lee Byung-hun (Inside Men, Les sept mercenaires) et Kim Yun-seok (Sea Fog, The Chaser). Ils incarnent ici deux ministres du roi qui s’opposent sur l’attitude à adopter face à l’envahisseur, largement supérieur en nombre : courber l’échine ou refuser les compromis, au risque de faire sombrer tout le royaume ? Ce débat stratégique, The Fortress va l’épuiser sur plus de deux heures affreusement ternes, le film se résumant vite à une succession de séquences traitées avec un égal manque d’emphase (les soldats ont froid, un messager va chercher de l’aide, un ministre va jouer les médiateurs auprès de l’ennemi, une attaque éclair se solde par un massacre, etc.), systématiquement suivies de « débriefings » en intérieur, où le roi donne docilement la parole à tout son gouvernement. On peut difficilement mettre en défaut la prestance des acteurs, ou l’importance thématique de leurs joutes verbales. Mais The Fortress échoue à nous immerger pleinement dans leur bataille de mots (et, lors de brefs moments sans gloire, d’épées et de canons), ses 140 minutes paraissant, faute de rythme ou de vivacité dans la réalisation – qui bénéficie pourtant de décors naturels et artificiels luxueux -, en durer deux fois plus.