Downrange : le survival qui tire à vue

par | 31 juillet 2018

Six étudiants sont la cible d’un sniper sur une route déserte. Pas de chichis, que du gore : Downrange annonce vite la couleur, mais remplit sans génie son contrat.

Difficile, si l’on est pas inconditionnel du bonhomme, de suivre à la trace la carrière de Ryûhei Kitamura. Le cinéaste japonais a bâti une filmographie à cheval entre l’archipel nippon, l’Australie et les USA, sur la base d’un film, Versus, péloche hystérique bricolée avec l’énergie et les moyens du bord, devenu étrangement culte aux quatre coins du monde. Depuis ce début à la lisière du bis et du gros Z qui tâche, Kitamura a joué les touche-à-tout hyperactifs, emballant des films de sabre expérimentaux, un Godzilla, une adaptation assez réussie de Clive Barker (Midnight Meat Train), une autre adaptation, affreuse cette fois, de Lupin III, ou encore le film de psycho-killer No one lives. Un thriller gore et bourrin, qui caractérise bien le cinéma de Kitamura. Downrange, film concis (enfin, presque) à petit budget, généreux en éclaboussures vermillon et conçu comme un huis-clos sanglant à ciel ouvert, se situe dans la lignée d’une œuvre virevoltante et tout sauf cérébrale.

La départementale de l’enfer

Downrange démarre sur un « bang ! », celui de l’éclatement du pneu de la voiture familiale qui transporte six étudiants en covoiturage. Coincés sur le bas-côté d’une route désertique, mal couverte niveau réseau téléphonique (changez d’opérateurs, malheureux !), les jeunes voyageurs qui excepté le couple de conducteurs se connaissent à peine, profitent de cette pause réparation pour s’aérer l’esprit et faire des selfies. Mais l’un d’entre eux fait une inquiétante découverte : une douille de fusil est coincée dans le pneu. L’accident n’en était pas un, et chacun d’entre eux est en fait la cible d’un tireur isolé et invisible, qui va prendre un malin plaisir à les abattre un par un…

Sélectionné dans un large nombre de festivals sur la promesse de ce pitch concis et riche en sensations fortes, Downrange a le mérite d’être une série B franche du collier. Le film ne quittera jamais ce décor unique de route longiligne traversant une campagne calcinée, avec juste assez de végétation pour masquer l’emplacement de ce sniper psychopathe, qui trouve les angles de tir les plus impossibles pour empêcher nos victimes en devenir de se réfugier ailleurs que derrière leur voiture. Avec ces trois unités de lieu, de temps et d’action réunies, Kitamura a les mains libres pour faire d’une idée basique au possible un pur exercice de style. Sans surprise, cet émule éternel du Sam Raimi période Evil Dead s’amuse donc à dilater le temps et les perspectives, à faire (encore) un travelling arrière à travers un cerveau transpercé, à accrocher sa caméra sur un pneu ou la faire tomber du ciel… Tout cela pour donner du peps à ce qui reste un film incroyablement statique.

L’Amérique dans la ligne de mire

l est ainsi étonnant de voir que le film s’étire jusqu’à l’heure et demi réglementaire, alors qu’une telle histoire aurait encore gagné en puissance en taillant dans les dialogues. Car même si Downrange ne traîne pas en longueur, et se montre généreux dans son bodycount (on a droit à une famille de chair à canon et une escouade de flics encore plus crétine que dans les slashers habituels), il est clair dès les premières minutes qu’aucun de ses personnages ne parviendra à nous arracher un rictus ou une larme lorsque son sort sera scellé. L’interprétation est uniformément forcée et peu convaincante, les acteurs semblant pâtir d’un véritable manque de direction de la part de leur metteur en scène. Kitamura prend bien plus de soin à les filmer comme des victimes en devenir qu’à leur donner une raison de vivre. Il n’y a qu’à voir le sort réservé à la supposée héroïne survivaliste et « fille de militaire », qui devient dans le dernier acte nocturne une cible parmi d’autres dans le frénétique jeu de massacre orchestré par le réalisateur.

Là où Downrange se distingue, c’est dans la dimension nihiliste qu’il prend en regard à l’actualité des USA. Un pays rendu tellement malade par la profusion de ses armes à feu que ses habitants deviennent insensibles à l’accumulation de tueries qui font chaque jour la Une de leurs médias. Le tueur de Dowrange pourrait être l’un d’eux. Un fanatique de la gâchette de plus qui enquille les meurtres comme on compterait les conserves renversées dans un chamboule-tout. Le film en fait un anonyme aux allures de croquemitaine forestier, et c’est cette confusion momentanée entre inquiétante réalité et fiction bisseuse qui provoque un léger frisson dans les dernières minutes. Un climax que Kitamura se charge de conclure sur une note aussi sarcastique que désespérante : oui, l’Amérique vivra et mourra par ses armes, tant qu’y régnera un absurde culte de l’autodéfense.