Comme notre dossier consacré aux films de fantômes l’aura récemment rappelé, le cinéma (et les spectateurs, par voie de conséquence) est actuellement friand de ghost stories, un sous-genre que scénaristes et réalisateurs s’amusent régulièrement à dépoussiérer, y apportant une certaine dose de style et/ou d’originalité. Le dernier film de Vincenzo Natali, petit prodige du cinéma canadien qui n’a jamais concrétisé commercialement la célébrité que lui apporté son Cube, apporte sa pierre à l’édifice en prenant pour point de départ un point de vue presque inédit.

[quote_left] »Un film assez soigné si l’on excepte des CGI hideux et des jump scares éculés et peu imaginatifs. » [/quote_left]Plutôt que de s’intéresser aux victimes d’une maison hantée, Haunter s’intéresse comme son nom l’indique à ses « hanteurs ». Une famille de poltergeist coincée depuis des années dans une même maison. Le twist ici étant que seul l’un d’entre eux, la jeune Lisa, est consciente de cet état de fait. De la même manière que dans Un jour sans fin (avec un talkie-walkie au lieu d’ « I got you babe » pour commencer), les journées de Lisa débutent et se terminent de la même manière, malgré tous ses efforts pour faire revenir ses parents et son petit frère à la raison et leur faire accepter leur sort : ils sont morts « accidentellement » en 1986 et le temps s’est depuis figé comme un disque rayé. Seulement, des petites variations dans sa routine avertissent Lisa que quelque chose a changé : une nouvelle famille a emménagé dans leur purgatoire personnel, et une présence malveillante se manifeste de plus en plus bruyamment…

Encombrants héritages

Étrange Festival – Haunter : Fantômette mène l’enquête

Indubitablement, le réalisateur de l’excellent Splice aime tenter des expériences nouvelles à chaque œuvre, tout en restant fidèle à ses obsessions. Comme dans Nothing et Cube, le décor de Haunter prend dès le départ des allures de prison abstraite, le scénario s’attachant aux basques d’un personnage tentant par tous les moyens de s’en échapper. Comme dans son chouette Cypher, le film comporte plusieurs niveaux d’intrigues (et de temporalités) qui se révèlent comme autant de pièces d’une poupée russe, à cette différence près que l’héroïne de Haunter ne termine ici pas son périple dans une impasse. En s’attaquant au film de fantômes, Natali se place aussi sous l’égide d’un univers à l’héritage encombrant : de La Quatrième dimension, avec son glissement discret et efficace du quotidien vers le fantastique aux Autres d’Alejandro Aménabar, les références que Haunter évoque, parfois même inconsciemment, sont trop nombreuses pour ne pas être notées.

C’est le plus triste paradoxe d’un film par ailleurs assez soigné – le générique est très joli -, si l’on excepte des CGI hideux (ah, cette vue en 3D de la maison qui semble sortir d’une scène coupée du Cobaye…) et des jump scares éculés et peu imaginatifs. Malgré sa volonté de se démarquer du tout-venant en prenant pour héroïne un être par essence immatériel, Haunter retombe dès la fin de son premier quart d’heure dans les rails balisés du genre pour ne plus en sortir. Car oui, il y a bien un gentil et un méchant fantôme dans cette histoire : l’une est une gentille fifille un peu rebelle qui écoute les Smiths et joue de la clarinette (sa condition est une jolie métaphore de l’âge adolescent, où l’on se révolte lorsqu’on commence à étouffer dans le carcan familial, ici décrit – timidement – comme une prison de l’âme), l’autre un démon sardonique aux lunettes noires qui prend juste son pied à décimer toutes les familles qui osent s’installer dans la maison. On ne peut faire plus manichéen et simpliste, et c’est ce côté attendu, cadré et sans risque qui plombe Haunter, et ce jusqu’à une fin tellement angélique qu’elle contredit la thématique même de l’histoire.

Un croquemitaine de premier choix

Étrange Festival – Haunter : Fantômette mène l’enquête

Pour couronner le tout, Abigail Breslin,  « révélée » par le rôle de la mioche binoclarde dans Little Miss Sunshine puis par Zombieland, s’avère assez catastrophique dans la peau de Lisa, la jeune actrice ayant les épaules trop frêles – et le timbre de voix trop irritant – pour tenir ce genre de rôle exigeant de transmettre des émotions très différentes et contrastées. Face à elle, Stephen McHattie (Pontypool, History of Violence) et son visage anguleux taillé à coups de silex s’en donne bien évidemment à cœur joie, dans un rôle qui n’exige aucune retenue, bien au contraire. Que le script le cantonne à une figure de croquemitaine sans relief, au lieu d’en faire une incarnation pure et dure du Malin, Insidious style, n’est que l’un des regrets que l’on peut avoir a posteriori.

Louchant finalement plus sur le conte initiatique que sur le film de terreur pure, Haunter finit au milieu du gué, ni assez pertinent, ni assez efficace pour marquer les mémoires. Natali est capable de mieux, mais lui donnera-t-on à nouveau l’occasion de le prouver, notamment avec cette adaptation du livre Neuromancien qu’il cherche à mettre sur pied ?


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]

Deuxsurcinq
Haunter
De Vincenzo Natali

Canada – France / 2013 / 97 minutes
Avec Abigail Breslin, Stephen McHattie, David Hewlett
Sortie le 15 janvier 2014 en DVD et Blu-ray
[/styled_box]