En ces temps moroses, pourquoi ne pas aller voir une comédie romantique au cinéma ? Et pas n’importe laquelle de surcroit : la nouvelle réalisation de Judd Apatow, véritable pape du genre actuellement aux USA (même lorsqu’il ne réalise pas, voir Mes meilleures amies) surprend par son extrême modernité, son ton à la fois juste et tendre. Crazy Amy marque la rencontre entre le maître de la comédie (pas si) incorrecte et la nouvelle reine du stand up qui sévit sur la chaîne Comedy Central. Amy Schumer met en scène, depuis 2013, sa propre vie de fêtarde invétérée alcoolique et infidèle, notamment dans sa série à succès Inside Amy Schumer (le double sens grivois est tout sauf involontaire). Elle raconte également sur scène ses failles familiales, entre une sœur qui mène une vie radicalement opposée à la sienne et la maladie de son père, atteint d’une sclérose en plaques. Non seulement Judd Apatow l’a poussé à écrire un scénario basé sur sa vie, mais il a également décidé de le réaliser.

La folle et le gentil docteur

Crazy Amy : une comédie qui fait du bien

Cette Amy de fiction, mais pas tant que ça, mène une vie aussi rock que pathétique, suivant les préceptes de son père qui n’a eu de cesse de lui répéter : « la monogamie est une aberration ». Fuyant l’ennui à chaque instant, cette jeune femme, journaliste pour un magazine masculin, multiplie les conquêtes d’un soir et force allégrement sur la bouteille. Un jour, son extravagante et tyrannique rédactrice en chef Dianna (l’unique Tilda Swinton) lui demande de faire le portrait d’un médecin du sport très en vue. Malgré son aversion pour toute forme d’activité physique autre que celle pratiquée au lit, Amy rencontre donc Aaron (Bill Hader, habitué d’Appatow et du Saturday Night Live, vu dans Supergrave et En cloque, mode d’emploi), un jeune homme un peu coincé qui doit pratiquer une opération capitale du ligament du genou d’un jeune espoir du basket. L’attention que lui porte ce gentil médecin pousse la jeune femme à reconsidérer son mode de vie.

Le titre original du film, Trainwreck, qui signifie « épave ambulante », souligne les aspects à la fois comiques et tragiques du personnage d’Amy. Le couple formé par Crazy Amy ne répond ainsi pas du tout à la définition traditionnellement établie dans les comédies romantiques. Si les failles d’Amy ne sont en général pas compatibles avec les codes du genre, sa sœur Kim (Brie Larson, qu’on verra bientôt dans le très attendu Room) remplit plus les conditions requises. Médecin respecté et meilleur ami du célèbre basketteur Lebron James (dans son propre rôle !), Aaron pourrait parfaitement rester dans l’ombre de son illustre compagnon dans un autre film, être le sidekick un peu étrange de service. Mais non : Crazy Amy préfère s’intéresser à ces deux personnages bourrés de défauts, qui nous ressemblent davantage et forgent la prouesse du film.

Plus humain, tu meurs !

Crazy Amy : une comédie qui fait du bien

Judd Apatow a créé depuis de longues années son propre style, à la fois cru et doux-amer, souvent centré sur les turpitudes d’hommes-enfants soudain obligés de prendre leurs responsabilités et de s’affirmer. La difficulté, ici, est de renouveler encore un style maintes fois revisité et de lui donner un souffle novateur. Crazy Amy débute, comme le réalisateur nous y a habitués, par une accumulation de situations potaches et en dessous de la ceinture. Mais le rire laisse très vite la place à la gravité et au tragique, et le personnage d’Amy en profite pour gagner en profondeur. Dans cette introspection de la jeune femme, le film analyse les aléas d’une relation amoureuse, entre les incompatibilités comportementales, les impératifs professionnels qui se confrontent parfois et la peur parfois autodestructrice face aux attentions de l’autre. À aucun instant, Amy, dans toute sa monstruosité, ne manque d’authenticité.

[quote_center] »Le couple formé par Crazy Amy ne répond pas du tout à la définition traditionnelle des comédies romantiques. »[/quote_center]

Le réalisateur acerbe n’oublie pas de se moquer gentiment de productions plus auteuristes qui fleurissent outre-Atlantique, pour le plaisir. Dans un faux film en noir et blanc, Daniel Radcliffe campe un improbable « Promeneur de chien » et représente la quintessence de l’ennui au cinéma.

L’ambition de Crazy Amy, sorte d’anti-Bridget Jones, dépeint le visage d’une génération de trentenaires encore davantage paumés que leurs aînées, mais qui a moins envie de rire et revendique une soif de liberté qui va bien au-delà de la sempiternelle quête de l’âme sœur.


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Quatre sur cinq
Crazy Amy
De Judd Apatow
2015 / France / 125 minutes
Avec Amy Schumer, Bill Hader, Brie Larson
Sortie 18 novembre 2015
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Crédits photos : © Universal Pictures International France