The Endless : apocalypse sans fin

par | 18 avril 2019

Deux amis retournent dans leur ancienne secte apocalyptique dans The Endless, film fantastique aussi malin que tordu et mystérieux.

Digne représentant d’un cinéma fantastique pensé et fabriqué en totale indépendance, The Endless est déjà le troisième opus d’un duo de joviaux Américains pratiquement inconnus chez nous : Justin Benson et Aaron Moorhead se sont faits connaître à l’Etrange Festival avec le curieux Resolution (2012) resté inédit depuis en France, puis un sketch de V/H/S : Viral et le dépaysant Spring, Grand Prix 2014 du PIFFF, disponible en VOD sur le site Outbuster.

Débrouillards et économes, les deux scénaristes et réalisateurs se partagent cette fois l’affiche, dans le rôle de… Justin et Aaron Smith, deux frères qui se remettent difficilement de leur passage dans une secte californienne, qui leur a volé une partie de leur jeunesse. Contrairement à ce qu’ils espéraient, ils n’ont jamais pu se réinsérer pour de bon dans la société, et vivotent de petit boulot en petit boulot. Aaron, en particulier, est nostalgique de tout ce temps passé au sein de la secte, qui vit en autonomie dans un petit village désertique loin de tout. Lorsqu’il récupère un jour une vidéo visiblement tournée sur place par les membres du culte, Aaron décide d’entraîner son frère dans une visite impromptue des lieux. Accueillis à leur arrivée par les membres de la communauté, qui ont visiblement tourné la page de leur fuite passée, Justin et Aaron sont progressivement confrontés à des événements étranges. Le temps et l’espace semblent soumis à d’autres lois ici, et ce que les deux frères prenaient pour des balivernes prend une tournure bien plus effrayante…

Voyage aux confins de l’inexplicable

Partisans d’un fantastique discret, voire « naturaliste », les deux auteurs de  The Endless n’ont que faire des recettes toutes faites et des séries B pré-mâchées. Voici du cinéma qui aime poser des questions plus que nous abreuver de réponses, qui consacre toute son énergie (et ses maigres moyens) à poser une ambiance mystérieuse, en la saupoudrant d’images chocs et de visions indéfinissables. L’influence majeure du film, de leur aveu même, est cette fois le travail de Lovecraft, son obsession pour la fin du monde et les Grands Anciens. La distorsion du temps, les ponts jetés vers d’autres dimensions, sont autant de thèmes fantastiques qui parcourent The Endless et lui confèrent son inquiétante étrangeté : le surnaturel n’est ici jamais frontal mais toujours au bord du cadre, toujours questionné, jusqu’à ce que les dés soient jetés pour de bon. Cette progression patiente, à contre-courant des attentes du grand public, est pourtant ce qui fait le prix d’un tel cinéma artisanal.

Certes, le film est imparfait, le montage un peu mal dégrossi, mais au service d’un script hautement stimulant, qui emmène Benson et Moorhead, bons acteurs mais meilleurs scénaristes, aux confins de l’inexplicable. L’ambiance est à l’apocalypse, mise en place avec trois bouts de ficelle (ou de cordes, littéralement), des trucages simples et une compréhension affutée du pouvoir du hors-champ. Benson et Moorhead emballent ainsi une oeuvre de qualité, débrouillarde et originale, qui tire aussi sa force de ses manques et se permet de cligner de l’œil à Resolution de manière ultra-méta, lors d’un passage pratiquement incompréhensible pour ceux qui n’ont pas vu leur premier essai. Pas trop grave, puisque The Endless demeure malgré tout l’essai le plus convaincant de l’iconoclaste duo.