Omniprésent en cette fin d’année sur les écrans, Mathieu Kassovitz a donné de sa personne pour faire connaître (sic) cet Illustre inconnu, quitte à créer involontairement la polémique avec une technique de promotion imaginée par une agence de communication, qui n’a pas convaincu, c’est le moins que l’on puisse dire, les blogueurs « concernés ». L’acteur-réalisateur-scénariste a notamment souligné l’intérêt de ce projet porté par le duo Matthieu Delaporte / Alexandre de la Patelière, en ironisant sur le fait que la paire était surtout connue pour avoir signé Le Prénom, prototype de comédie de boulevard moderne, à la fois efficace dans ses dialogues et totalement oubliable dans la soirée. Kassovitz est un peu malhonnête sur ce coup, puisqu’il connaissait déjà le duo de scénaristes pour avoir travaillé avec eux sur le film d’animation The Prodigies (il prêtait sa voix au personnage principal).

Qu’importe les discours marketing et les polémiques : l’important reste le film, tentative louable et parfois convaincante de construire une sorte de thriller psychologique autour d’un personnage qui n’a, c’est le cas de le dire, aucune véritable identité. Jusque dans son nom, composé de deux prénoms, Sébastien Nicolas (Kassovitz, donc) a tout de l’anonyme conscient de sa place relative dans l’ordre du monde. Un illustre inconnu commence d’ailleurs, comme une provocation envers le spectateur cherchant à s’identifier à ce quidam au visage très familier, par son suicide, avant de repartir en arrière et d’expliquer ce qui a conduit à ce drame.

La vie de l’autre

Un illustre inconnu : Kasso tombe le masque

Pour résumer les choses, disons que Sébastien Nicolas est le Dexter de l’usurpation d’identité. Derrière les murs tristes et vides de sa maison de banlieue, l’agent immobilier aux costumes étriqués a conçu un laboratoire secret où il travaille pour, littéralement, prendre la place d’une autre personne. Maquillage, prothèses moulées, vêtements : parce qu’il n’est personne, parce qu’il ne se sent pas à sa place dans sa propre existence, Sébastien imite celle des autres, prenant par exemple leur place dans des réunions d’alcooliques anonymes ou leur propre appartement. Le jour où son travail lui fait croiser la route d’un illustre violoniste en retraite (Kassovitz aussi), Sébastien trouve le plus grand de ses défis. Il l’observe, l’imite, et finit par créer son double. L’illusion fonctionne à merveille, au point que la possibilité d’une nouvelle vie s’offre à lui…

[quote_center] »Reste l’interprétation de haute tenue d’un Kassovitz sur lequel repose l’ensemble du projet. »[/quote_center]

Pour n’importe quel acteur, et pour quelqu’un d’aussi vocal que l’est Kassovitz dès qu’il s’agit de bousculer le train-train du cinéma français, un rôle comme celui d’Un illustre inconnu était une opportunité à ne pas louper. Il doit en effet jouer ici un double rôle, d’une part, mais aussi incarner quelqu’un qui cherche lui-même à endosser d’autres rôles, à se glisser dans la peau d’un autre au point d’oublier la sienne. Contrairement aux récents films qui ont abordé la question, plus philosophique, du double parfait, comme Enemy ou The Double, il est moins question ici de traiter des vertiges de l’identité que de ceux de l’illusion, des masques et des doubles personnalités. Sébastien Nicolas porte après tout tous les stigmates du sociopathe (isolation, obsession, mensonge), mais demeure dénué de la moindre pulsion meurtrière. Lorsqu’il s’introduit dans la vie du fameux violoniste, qu’un accident a privé du plaisir de jouer et donc de vivre, il ne fait pas avec des intentions perverses, mais un peu égoïstes et pathétiques. On est loin du bien nommé Malveillance, par exemple. La patine esthétique, froide et métallique, accolée au film, se révèle être une fausse piste : plus que le suspense lié à l’identité secrète de Sébastien (la supercherie va-t-elle être dévoilée au grand jour ? Va-t-il se retrouver piégé ?), c’est l’agitation intérieure de ses personnages qui intéresse en priorité le duo Delaporte / De la Patelière. Les rapports à la famille (car, et c’est intéressant, Sébastien a bien une famille aimante qui l’entoure), au couple et à la paternité sont les vrais sujets de fond abordés par un film qui se soucie par ailleurs peu de la crédibilité de ses rouages narratifs ou des inévitables rebondissements liés à ce type de récit.

Fausses barbes et invraisemblances

Un illustre inconnu : Kasso tombe le masque

Malgré les quatre heures de maquillage quotidiennes auxquelles Kassovitz devait se soumettre, il est aisé de distinguer son profil reconnaissable entre mille derrière les faux nez et fausses barbes dont on l’affuble. Il est donc difficile de croire, comme lorsqu’il se fait passer pour le flic incarné par Éric Caravaca, que quelqu’un puisse ne pas voir qu’il porte un masque assez peu ressemblant à son modèle. Chose amusante, ce même effet d’imitation ratée se répète lorsque Sébastien conçoit un masque pour ressembler au violoniste… alors que les deux sont interprétés par le même acteur.

Plus gênant que ces considérations plastiques, le dénouement d’Un illustre inconnu révèle au grand jour les faiblesses de traitement de ses auteurs, qui choisissent de précipiter un dernier acte aussi invraisemblable que bien-pensant, après un twist qui pouvait être anticipé sans problème (un simple placement de caméra sert d’indice dans les premières minutes). La réflexion sur la quête d’identité et par quels liens elle peut être résolue aboutit à une conclusion rassurante, facile (en gros, pour être bien dans sa peau, il faut vivre pour les autres), qui ôte à l’histoire qui a précédé une partie de son intérêt, de sa pertinence. Reste l’interprétation de haute tenue d’un Kassovitz sur lequel repose l’ensemble du projet, et qui parvient à créer deux (voire trois !) personnages assez distincts et bien dessinés pour que nous aussi, nous parvenions à oublier l’acteur derrière le masque.


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]
Troissurcinq
Un illustre inconnu
De Matthieu Delaporte
2014 / France / 118 minutes
Avec Mathieu Kassovitz, Marie-Josée Croze, Éric Caravaca
Sortie le 19 novembre 2014
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