Voilà maintenant six bons mois qu’on nous le serine : Populaire, c’est la comédie française de l’année. La preuve, le film sort en novembre, comme Intouchables, les exploitants de cinéma sont « unanimes », si on en croit l’affiche, pour lui décerner leur coup de cœur mensuel – comme si le public faisait confiance aux vendeurs de popcorn pour choisir leur sortie du samedi soir. Et Alain Attal, jovial producteur de Polisse et des Petits mouchoirs, nous assure que c’est le film « idéal pour s’évader », un bain de bonne humeur que les Français minés par la crise feraient bien de prendre en route. Puisqu’on vous dit que c’est drôle, bon sang !

L’amour c’est (aussi) du sport !

ouis (Romain Duris) et Rose (Déborah François) en plein cha-cha-cha familial.

Populaire nous parle d’un temps que les moins de 60 ans ne peuvent pas connaître : la fin des années 50, le début de la Ve république et des Trente glorieuses, cette époque surannée où le plein emploi était un pléonasme, la guerre d’Algérie un conflit lointain et l’Occupation un fantôme discret. Le scénariste et réalisateur Régis Roinsard, qui s’est vu confier un budget royal (plus de 13 millions d’euros) pour son premier passage derrière la caméra, est chargé de nous transporter en 1958 dans la Province profonde (pléonasme cette fois bien actuel pour les producteurs parisiens), ambiance Les Choristes en centre-ville. Rose Pamphyle, comme toutes les jeunes femmes, veut être secrétaire. Ben oui, c’est toujours mieux que femme au foyer ou assistante de papa. Alors elle postule pour être embauchée par l’assureur du village Louis Echard, qui remarque tout de suite ses dons de dactylo. Louis, qui a toujours eu l’esprit de compétition depuis qu’il a pris le maquis et perdu la femme qu’il aimait, mariée à son meilleur ami, se met en tête de la faire devenir championne du monde de vitesse dactylographique. Oui, parce qu’en 1958, il existait des championnats du monde de secrétaires. Contrairement à Over the top, Populaire c’est du lourd, du vécu, mesdames et messieurs.

On plaisante, mais il est important de souligner que Roinsard s’est inspiré de ce fait oublié pour vendre le pitch imparable du film : un mélange entre film de sport (avec montage musical pour l’entraînement de la belle, tournois successifs, adversaires retors et suspense balisé dans la dernière ligne droite) et comédie romantique « pétillante », en mode rétro et robe à fleurs – on prédit d’ailleurs de beaux césars aux décorateurs et costumiers, probablement sommés de regarder Mad Men en boucle. C’est le côté artificiel, forcé, de ce mélange presque nature qui plombe malheureusement Populaire. Dans l’un et l’autre des genres abordés, aucune surprise ne vient, aucun rebondissement ne surprend : Rose est douée, mais gaffeuse. On rit. Elle apprend à taper avec deux, puis dix doigts et pour savoir où taper… se peint les ongles de toutes les couleurs (coup de coude complice). Mais la compétition ne l’intéresse pas autant que l’amour naissant qu’elle porte à un Louis qui la rejette. On s’émeut. Et malgré ses traumatismes et son vague-à-l’âme, ce dernier saute finalement le pas en lui disant « je t’aime » dans toutes les langues. Larmes, cris de joie, on embrasse son voisin en se disant que la vie est bien faite, quand même.

Lui. Elle. Tac-tac-tac. Fin.

La secrétaire passe en mode « Arial furie » pour son patron. Populaire ? Exemplaire, oui !

La battle de Triumph cliquetantes attendue a bel et bien lieu, avec forces zooms et travelling circulaires autour des tables où les pimpantes demoiselles s’escriment à taper plus vite que leur ombre. Ce « sport » a beau paraître aussi absurde qu’un championnat de bras de fer ou de balle au prisonnier, son potentiel cinématographique était bien réel. Certains détails font mouche, comme l’agressivité avec laquelle les rouleaux sont rechargés, ou les cales qui empêchent les tables de bouger sous les secousses du tac-tac-tac. Mais il y a peu d’idées de ce genre. Il aurait fallu un formaliste plus engagé que le timide Roinsard pour donner de la vigueur à ces scènes d’enfoncement de touches devenant vite répétitives et lassantes.

On devine de plus rapidement que la partie romance désuète attire plus le cinéaste, qui rapproche à chaque victoire un peu plus les deux tourtereaux, le macho fragile cédant peu à peu sous les moues à la Bambi de sa charmante employée. En proto-Amélie Poulain sans ombres ni aspérités, Déborah François, malicieuse et légère, fait des miracles, mais n’a pas plus d’intérêt dramatique qu’une page blanche. Face à elle, Romain Duris, de nouveau bourreau des cœurs inattendu après L’Arnacoeur, doit se charger de toute la partie torturée : on croit difficilement à son passé de Résistant et à ses peines d’amour, le garçon passant de statut de coq satisfait à celui d’amant béat de niaiserie en passant par le stade « égocentrique maladif » sans plus de justification ou de cohérence. On devine l’acteur un poil mal à l’aise dans la peau de ce héros aussi antipathique que mal écrit, qui doit passer par un sentiment différent à chaque fois que les balises du script s’allument : pourquoi habite-t-il seul la maison de ses parents s’ils ne sont pas décédés ? Et pourquoi devient-il distant et froid quand sa protégée gagne le championnat ? Pour fournir un nœud dramatique avant le troisième acte, pardi.

Ce côté tristement mécanique (sic) finit par contaminer chaque photogramme de Populaire : les blagues, comme téléportées depuis un film d’André Hunebelle, tombent systématiquement à plat, la plupart des acteurs secondaires défendent comme ils peuvent des rôles transparents au possible… Pire, la musique devient source d’irritation à force de souligner à coup de masse la bonne humeur du film, à tel point qu’on s’attend à tout moment à voir débarquer Ma sorcière bien-aimée dans les salons de Lisieux. Tout cela pour narrer le parcours féroce et robotique d’une oie blanche rêvant de tomber dans les bras d’un assureur misogyne. « Elle va plus vite que la machine ! », s’exclame l’ami américain de Louis, qui doit apprécier notre côté travailleur à la chaine avant l’heure, et à qui on a confié en plus la pire réplique finale de la décennie : une ultime pirouette navrante qui en appelle à notre chauvinisme, façon « on a p’tet pas inventé IBM, mais c’est nous qu’on leur a donné nos idées ». Populaire, donc : comme la masse docile et bienveillante à laquelle le film semble vouloir s’adresser avec ce produit hors d’âge et sans génie.


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Deuxsurcinq
Populaire
De Régis Roinsard
2012 / France / 111 minutes
Avec Romain Duris, Déborah François, Bérénice Béjo
Sortie le 28 novembre 2012
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