Tentons une analogie un peu lourdingue : pour réussir un bon divertissement cinématographique, il faut réunir à peu de chose près les mêmes ingrédients que pour réussir un bon spectacle de magie. Une grande dose de suspension d’incrédulité. Du glamour. Des paillettes, des étincelles, des flashes de lumière qui vous étourdissent et vous font oublier les rouages qui créent, un instant, l’illusion sur scène et sur l’écran. Le rapprochement entre ces deux formes d’art que sont le cinéma et la prestidigitation (redites-le très vite, allez, quoi) n’est finalement pas si bête quand on y songe : Martin Scorsese en avait après tout fait l’un des thèmes fondateurs de son Hugo Cabret. Insaisissables, c’est un peu l’illustration par l’absurde du rapport fusionnel que ces disciplines entretiennent : des magiciens ayant pour mission de vous berner sur grand écran, c’est l’assurance de se faire avoir doublement, à une époque où les effets spéciaux digitaux parviennent à créer une illusion parfaite.

[quote_right] »Insaisissables aurait pu mettre la pédale douce sur les clichés et les blagues vaseuses sur les Français. »[/quote_right]Le gang des « Quatre cavaliers » du film, composé d’un mentaliste, d’un prestidigitateur, d’une reine de l’évasion et d’un pickpocket, est réuni par un mystérieux mécène pour de mystérieuses raisons. Lors d’un show à Las Vegas, les Quatre cavaliers réussissent apparemment l’impossible : cambrioler une banque à Paris en téléportant à l’intérieur de la salle des coffres un spectateur choisi au hasard. Un casse qui a tout d’un casse-tête, mais qui attire tout de même l’attention du FBI et d’Interpol, bien embarrassés pour trouver des preuves compromettantes contre quatre magiciens ayant réponse à tout. Ces derniers annoncent deux nouveaux spectacles, encore plus spectaculaires, qui doivent amener à révéler le véritable objectif de leur plan. Leur motto : « Regardez attentivement. Mais attention : plus vous croirez en voir, plus vous vous ferez avoir ». De ce point de vue, les spectateurs d’Insaisissables seront servis, mais pas sûr que l’arnaque soit à leur goût.

French concon

Insaisissables : désillusion parfaite

La promesse d’une version « magique » d’Ocean’s Eleven reste assez excitante pour garantir au film de Louis Leterrier (« auteur » aussi français que bourrin de L’incroyable Hulk et du bien médiocre Choc des Titans) un certain capital sympathie, surtout quand l’œuvre peut s’appuyer, comme la trilogie de Soderbergh, sur un casting aux petits oignons, où se croisent entre autres pensionnaires de l’univers Nolan (Morgan Freeman et Michael Caine, tous deux en pilote automatique), le surprenant petit frère de James Franco et l’efficace duo Jesse Eisenberg / Woody Harrelson, déjà rôdé dans Bienvenue à Zombieland. Seule ombre au tableau, la présence envahissante à l’écran de Mélanie « Marion Cotillard était prise » Laurent, pas crédible une seule seconde en agent d’Interpol dépêché instantanément à Las Vegas. À sa décharge, l’actrice doit se farcir des dialogues affreusement clichés servant à expliciter tous les enjeux « cachés » de l’intrigue, et raconter en plus des anecdotes inintéressantes sur le Pont des Arts (si, si). Il est d’ailleurs à noter que vu la nationalité et le CV de son metteur en scène, Insaisissables aurait pu mettre la pédale douce sur les clichés et les blagues vaseuses sur les Français. Mais bon, le caméo de José Garcia (jouez pas les étonnés, on l’aperçoit dans le trailer) sauve un peu les meubles vu qu’il se fait ridiculiser sans pitié par Woody Harrelson. Il était temps que quelqu’un s’y mette pour nous venger de tous ces Fonzy, Jet Set 2 et autres Seigneurs.

Il est d’autant plus regrettable, au vu du charisme évident de son quatuor d’as du bluff, que le scénario les relègue au bout d’une demi-heure au rang de quasi figurants, dénués de dialogues et de scènes pouvant leur permettre de construire de manière convaincante des personnages purement fonctionnels. Passé une première demi-heure honnêtement très convaincante, propulsée par l’esbroufe bon enfant de ses protagonistes et une exploration express des dessous d’un tour de magie grâce au personnage de Morgan Freeman, passé maître dans l’art de révéler tous les « trucs » des magiciens, Insaisissables commet en effet l’erreur de se concentrer sur le duo d’enquêteurs composé de Mark Ruffalo (qui y croit dur comme fer) et la Laurent, baladés comme des pantins d’un coup fourré à l’autre, toujours à la traîne derrière les infernaux Cavaliers, qui semblent avoir tout prévu.

Un « prestige » invraisemblable

Insaisissables : désillusion parfaite

Et c’est d’ailleurs in fine le véritable écueil du film : contrairement à un spectacle de magie, ce qu’on attend d’un tel genre, c’est que le plan déraille, qu’un grain de sable bloque la machine et que les héros, si moralement ambigus soient-ils (ils se présentent comme des « Robin des bois » en volant le mogul joué par Michael Caine), soient testés dans leurs limites. Mais non, comme dans un bon épisode de L’Agence tous risques, le plan doit se dérouler sans accroc, même s’il doit exploser pour cela toutes les limites de la crédibilité.

Car voyez-vous, Insaisissables, s’il mise tout sur le suspense et un rythme échevelé, imprimé de force au montage à tel point que la caméra de Leterrier s’excite à plusieurs reprises pour rien (oh, un triple travelling latéral autour de Ruffalo au téléphone ! « Allez, les gars, faites-moi tourner cette caméra, j’veux qu’on sente la panique, là, secouez-moi tout ça ! ») et que la partition de Brian Tyler déballe son thème cuivré dès que quelqu’un coure, Insaisissables donc se veut aussi être un film à twist. Un « prestige », comme dirait Christopher Nolan, du genre illogique, qui laisse à penser que les scénaristes en ont d’abord eu l’idée avant d’écrire le scénario à rebours, histoire d’évacuer tous les indices pouvant nous mettre sur la bonne piste. Dans un sens, cela marche : impossible ou presque de le voir venir, de ne pas se faire avoir. Mais c’est pour une mauvaise raison : ce twist-là, comme souvent à Hollywood, n’a aucun sens si l’on regarde de plus près, et détruit après coup tout le plaisir qu’on a pu prendre à suivre une énergique chasse à l’homme ponctuée de tours de passe-passe ingénieux et de numéros d’acteurs assez savoureux (comme Harrelson, qui vole toute les scènes dans lesquelles il apparaît). Insaisissables commet l’erreur de se prendre pour plus intelligent qu’il ne l’est : contrairement à un Sixième Sens ou à Usual Suspects, le scénario ne tient plus debout une seule seconde dès lors que les rôles sont inversés avec autant de désinvolture. Pour conclure sur une analogie tout aussi lourdingue, cela fait le même effet que si l’on vous révélait après un tour de cartes particulièrement impressionnant que le magicien avait gardé d’autres cartes dans sa manche. L’illusion se brise, la magie disparaît. Mieux vaut parfois ne rien savoir, hein ?


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Insaisissables, de Louis Leterrier
USA / 2013 / 115 minutes
Avec Jesse Eisenberg, Mark Ruffalo, Woody Harrelson
Sortie le 31 juillet
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