Le cinéma américain s’est penché plus d’une fois, depuis 60 ans, sur la période honnie et honteuse du maccarthysme. Du Prête-Nom de Martin Ritt jusqu’au Good Night and Good Luck de George Clooney, Hollywood a trouvé plusieurs fois l’occasion de faire son autocritique, en transformant en fiction engagée ce qui fut la période la plus sombre de son histoire. Car oui, même si la croisade paranoïaque d’anti-communisme qui fut menée par le sénateur McCarthy dans les années 50 a visé toute une partie de la population américaine, c’est l’attaque contre la machine à rêves et ses conséquences dramatiques, qui est le plus restée dans notre esprit. Comme le raconte, de manière romanesque, le film Dalton Trumbo, Hollywood et ses grands producteurs n’étaient pas exactement innocents dans ce dossier.

Sous la pression du gouvernement et d’une partie de l’opinion publique, cette industrie capitaliste par essence n’hésita pas à mettre au banc de ses plateaux de tournage tous les employés qui pouvaient avoir une quelconque relation avec le Parti Communiste. Pour ceux qui seront inscrits sur la fameuse liste noire, les conséquences du travail antidémocratique de la Commission des Activités Anti-américaines (HUAC) furent terribles. La plus célèbre des victimes fut le dramaturge surdoué Dalton Trumbo, et il ne fait aucun doute que cette personnalité hors-norme méritait bien un film.

Biopic scolaire pour scénariste hors-normes

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Jay Roach, réalisateur des Austin Powers et de Mon beau-père et moi, s’aventure ici pour la première fois dans un territoire sérieux et dramatique (même s’il faut noter que le cinéaste s’est aussi distingué sur HBO, avec des téléfilms politiques comme Game Change et Recount). À lui d’adapter à l’écran le script de John McNamara (Aquarius), basé sur la biographie de Bruce Cook et les témoignages de proches de Dalton Trumbo, disparu en 1976. Lorsque Trumbo débute, le célèbre scénariste (joué par Bryan Cranston) est alors l’écrivain le mieux payé de Hollywood. Nous sommes en 1947, et l’auteur de Johnny s’en va-t en guerre ne cache pas ses opinions politiques, lui qui a sa carte de membre du Parti. Seulement, la Guerre Froide est déjà là. Et sous l’impulsion de « patriotes » comme John Wayne (David James Elliott) et la journaliste Hedda Hopper (Helen Mirren), la pression est mise sur les patrons de Trumbo pour que lui et ses camarades encartés (parmi lesquels Edward Dmytryk, Ring Lardner Jr., Lester Cole ou Adrian Scott) soient mis hors d’état de nuire. Défendant sa liberté d’expression devant la Commission, le flamboyant Trumbo paie le prix fort : un an de prison ferme pour « obstruction à la justice », et bannissement pur et simple de Hollywood.

[quote_center] »Sous la pression du gouvernement, cette industrie n’hésita pas à mettre au banc de ses plateaux de tournage tous les employés qui pouvaient avoir une quelconque relation avec le Parti Communiste. »[/quote_center]

L’Histoire, on le sait, donnera raison à son combat, malgré les conséquences dramatiques que ces événements eurent sur lui et sa famille : Trumbo va remporter deux Oscars pour des scripts signés sous un faux nom, et être « affranchi » officiellement grâce à Kirk Douglas et son scénario mythique pour Spartacus. Mais Dalton Trumbo, malgré la somme d’informations considérable qu’il apporte à ceux qui ignorent tout de cette période, n’est pas une leçon de pédagogie pouvant nous éclairer sur tous les aspects de cette terrible période, où chacun devait choisir son camp et surveiller ses paroles. DaltonTrumbo est un biopic, avec ce que cela comporte de raccourcis narratifs, de choix de points de vue et de simplifications hasardeuses. On ne saura par exemple pas grand-chose des autres membres de la liste des « Hollywood Ten », puisque le protagoniste le plus présent aux côtés de Trumbo, le bougon Arlen Hird (Louis CK, jamais là où l’on attend), est un personnage totalement imaginaire ! De même, le scénario choisit de ne pas montrer pourquoi le style de l’auteur de Vacances Romaines était si révolutionnaire, et réduit son héritage à quelques gimmicks visuels (il tapait à la machine dans sa baignoire, avait toujours son porte-cigarettes à la bouche, parlait comme il écrivait – de manière dramatique). Jay Roach, pas le plus inventif des metteurs en scène, ne sait visiblement pas comment traduire à l’écran le bouillonnement créatif permanent de Trumbo. Il préfère se reposer, ce qui n’est guère surprenant, sur un ton semi-comique, et sur les étincelles que peut provoquer son casting.

Des caméos et du mélo

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Le sujet passionnant de Dalton Trumbo n’excuse pas les longueurs notables et la réalisation platement chronologique, qui ressemble parfois à une production basique de HBO. De fait, le film n’a eu droit qu’à une sortie limitée aux USA, son exploitation ayant surtout eu lieu à la télévision. Les personnages connus du grand public s’enchaînent à l’écran pour pimenter l’intrigue, avec des sosies très convaincants (Dean O’Gorman, l’un des Hobbits de Peter Jackson, fait une imitation bluffante de Kirk Douglas). John Goodman, qui interprète un producteur de séries B tout heureux de faire travailler le blacklisté Trumbo à bas prix, en profite pour recycler son numéro comique de bateleur/margoulin à la Weinstein. Helen Mirren, malgré tout le respect qu’on lui doit, cabotine dans les grandes largeurs en jouant une Hedda Hopper cartoonesque, si caricaturalement méchante qu’elle aurait sa place dans une suite des 101 Dalmatiens. Bref, Jay Roach tente de nous divertir à tout prix malgré la pesanteur inhérente à son sujet, s’appuyant pour cela sur la performance, un brin caricaturale mais pétillante d’un Bryan Cranston charismatique.

Et il privilégie l’angle mélodramatique familial, en mettant l’accent sur la femme de Trumbo (Diane Lane) et ses trois enfants, victimes et soutiens à la fois. Bien sûr, leur destin est important, et nous importe, mais l’angle du père/mari accablé et tyrannique était-il celui qui devait prendre le plus de place dans cette histoire s’étendant sur une vingtaine d’années ? Lors de l’épilogue de Dalton Trumbo, quand le scénariste emprisonné, banni et ayant démontré l’hypocrisie du système qui l’avait accusé de tous les maux, reçoit une récompense pour l’ensemble de sa carrière, il prononce un discours (bien réel) sur la nécessité de ne pas chercher des « méchants » à blâmer. « Il n’y a que des victimes ». En plus de faire figure de passage obligé du genre (le biopic sur Stephen Hawking, Une merveilleuse histoire du temps, se terminait par exemple de la même manière), cette ultime note moralisatrice a quelque chose d’ironique, au sein d’un film qui ne parvient justement jamais à être subtil, et brosse le portrait d’un homme et de son époque à gros traits caricaturaux.


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Troissurcinq

Dalton Trumbo
De Jay Roach
2015 / USA / 124 minutes
Avec Bryan Cranston, Diane Lane, Helen Mirren
Sortie le 27 avril 2016
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