C’est devenu un refrain connu depuis plusieurs années : l’Espagne, et sans doute aussi le public espagnol, s’est pris d’une vraie passion pour le polar et le thriller, et nous envoie désormais à intervalles régulières des œuvres aussi solides qu’originales dans ce genre, de La Isla Minima à Que dios nos perdone en passant par La colère d’un homme patient, Toro ou The Invisible Guest. Autant dire que La jeune fille et la brume, première réalisation du co-scénariste d’Intacto et adaptation du roman du même nom de Lorenzo Silva, habitué des best-sellers dans sa péninsule, avec son décor inhabituel et son meurtre non résolu, avait tout pour nous allécher.

Les secrets des Canaries

Comme l’avait fait récemment le plus angoissant Alone, La jeune fille et la brume nous emmène aux Canaries, et plus précisément sur l’île de la Gomera. Un bout de terre paradisiaque, creusé de profondes vallées, entouré de falaises escarpées, de petits ports ensoleillés et de forêts sauvages, souvent plongées dans le brouillard. Un véritable microcosme peuplé d’habitants ayant la fâcheuse habitude de cacher de lourds secrets, comme vont s’en apercevoir le sergent Rùben Bevilacqua (Quim Guttierez, Spy Time) et sa coéquipière Chamorro (Aura Garrido, The Body). Débarqués de Madrid pour relancer une affaire d’homicide vieille de deux ans et impliquant un politicien local, les enquêteurs reçoivent une aide tout juste cordiale des policiers locaux, commandés par Nava (Roberto Alamo, dernièrement dans Rescue Under Fire) et son adjointe Ruth Anglada (Veronica Echegui), qui revient sur l’île après plusieurs mois d’absence et qui sert bientôt de guide à Bevilacqua. Ensemble, ils doivent trouver l’auteur d’un crime s’étant déroulé dans la pénombre très nordique des forêts environnantes…

Tourné entièrement en décors naturels, à Gomera donc mais aussi sur l’île toute proche de Tenerife, La jeune fille et la brume tire parti dès les premières séquences de ces paysages insulaires vertigineux et labyrinthiques. Sur une route sinueuse de montagne, une voiture se volatilise littéralement après une poursuite pied au plancher… et l’enquête débute ainsi, avec une partie de la réponse à l’énigme qui nous passe sans que l’on sache comment devant les yeux et ceux d’Anglada. Le film prend à peine le temps de poser ses enjeux et ses personnages que déjà, on est plongé aux côtés de Bevilacqua, héros récurrent des romans de Silva, dans une suite d’interrogatoires densifiant au fil des rencontres une intrigue tortueuse, à cheval entre deux périodes temporelles. Au fur et à mesure que le passé de la jeune victime, élevée par une mère scandinave ostracisée et trempant dans diverses combines pas très catholiques, se dévoile, c’est aussi la personnalité d’Anglada, brune incendiaire à la force de caractère de façade, qui remonte à la surface. Et le spectateur de se gratter la tête, tâtonnant comme l’enquêteur madrilène dans le noir pour démêler le vrai du faux.

La Isla confusa

Conférant à ce thriller un rythme patient plus proche du scandi-noir que des traditionnels polars ibériques (en d’autres termes, l’action est rare et le long-métrage pas très démonstratif), Andrès Koppel capitalise sur une photographie léchée et un casting très glamour pour faire oublier un traitement un peu confus de son intrigue. Le sentiment de passer à côté d’éléments capitaux de l’histoire, notamment à l’occasion d’un retournement de situation brutal mais expédié hors-champ, fait irrémédiablement naître la frustration au sein d’un film qui se pare pourtant de tous les atours nécessaires pour séduire. Le plaisir que l’on peut prendre dans ce jeu de dupes meurtrier cachant une noire et pourtant si simple vérité, est terni par l’utilisation répétée d’ellipses qui amoindrissent l’impact des révélations attendues. Être plus précis reviendrait à spoiler le scénario de La jeune fille et la brume, film qui vous laissera du coup sans doute le regard un peu perdu vers l’horizon. Mais qu’importe après tout quand celui-ci est si beau…!


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Troissurcinq
La Jeune fille et la Brume (La Niebla y la doncella)
D’Andrès Koppel
2017 / Espagne / 104 minutes
Avec Veronica Echegui, Quim Guttiérrez, Roberto Alamo
Sortie le 23 mars 2018 en DVD et Blu-ray (Koba / L’atelier d’images)
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