L’Avertissement : des chiffres et des vies

par | 27 août 2018

Ce thriller espagnol, par le réalisateur d’Insiders, fait s’entremêler deux époques autour d’une tragédie manigancée par le Destin lui-même. Singulier, mais pas totalement convaincant.

Pour qui s’intéresse un peu au cinéma espagnol, Raúl Arévalo est devenu en quelques années un visage aussi familier que celui de ses compatriotes Luis Tosar ou Javier Bardem. Révélé entre autres chez Pedro Almodovar (Les Amants Passagers), Alex de la Iglesia (Balade Triste), l’acteur madrilène a explosé en tête d’affiche dans l’atmosphérique polar La Isla Minima en 2014. Depuis l’acteur est partout, et notamment derrière la caméra, puisqu’on lui devait en 2017 le très noir La colère d’un homme patient qui lui a valu une pluie de Goyas. Avec L’Avertissement, Arévalo retrouve son réalisateur d’Insiders, Daniel Calparsoro, pour un drôle de thriller sur la destinée, les mathématiques et, osons le mot, la réincarnation.

Mathématicien de génie un peu asocial, Jon (Arévalo) est le témoin, un soir d’avril, d’une fusillade dans une station-service, qui laisse son meilleur ami David sur le carreau, dans un état grave. Bien qu’il tente de réconforter Andrea (Belen Cuesta), son ex-petite amie devenue la compagne de David, Jon développe peu à peu une obsession pour les fait qui se sont déroulés sur place : la station-service a en effet été le lieu d’autres tragédies, qui selon Jon sont mathématiquement reliées entre elles. Dix ans plus tard, Nico, un jeune garçon martyrisé par les brutes de son école, achète un magazine de jeux vidéo sur place. À l’intérieur du journal, une note, en forme d’avertissement : qu’il ne se rende pas dans la station-service le jour de ses 10 ans, ou il mourra…

Chacun sa route, chacun son destin

Avis aux numérologues de tout poil : L’Avertissement devrait certainement devenir un de vos films de chevet ! Car si on y cause pas vraiment signes astrologiques, le scénario imaginé par Jorge Guerricaechevarria (fidèle collaborateur de La Iglesia, qui officiait récemment sur El Bar) et Chris Sparling (Buried) repose sur l’entremêlement de deux intrigues, séparées d’une décennie, par le truchement des chiffres et d’une théorie de boucles temporelles bien particulière. Pour démêler cette énigme à la lisière du fantastique, Calparsoro insiste sur le caractère pathologiquement obsessionnel de Jon, malchanceux en amour et prisonnier d’une forme de maladie mentale qui le pousse à avoir de très esthétiques hallucinations à base de papillons. Le choc causé par l’agression de son ami le pousse à remplir l’inévitable « tableau de la conspiration » (mais oui, celui avec les photos punaisées et les pelotes de laine reliées entre elles façon mikado !) et à effectuer des calculs de probabilité, en réalité pas très complexes, que bien entendu personne ne prend au sérieux. Il faut dire que l’air hagard et le regard cafardeux d’Arévalo, qui hérite d’un rôle pas nécessairement positif, n’incitent pas à la confiance…

Bien qu’établi très vite, par le biais d’un fondu enchaîné du plus bel effet, l’aller-retour permanent entre l’époque de Jon et celle de Nico (incarné par un talentueux jeune comédien, Hugo Arbués), ne livre ses clés qu’en fin de parcours. Et elles étonneront peu le spectateur attentif. Le dénouement s’avère d’autant plus prévisible qu’il est au centre de toutes les discussions des personnages, qu’il s’agisse du patron de la station à l’air perpétuellement inquiet (le vétéran Antonio Dechent, croisé dans Capitaine Alatriste) ou de la mère aimante et décidée de Nico (Aura Garrido, vue dans La jeune fille et la brume et aux côtés d’Arévalo dans Ghost Graduation). Ils sont en fait tous les jouets d’un Destin capricieux et plutôt joueur : de simples créations de scénaristes au service d’un mystère laissant peu de places à l’interprétation. Bénéficiant d’une jolie facture technique et d’une vraie singularité, L’Avertissement pêche au final par une interprétation inégale, un scénario multipliant les raccourcis narratifs (l’enquête menée par Jon s’avère pour le moins elliptique) et un ton qui hésite constamment entre suspense implacable, étude de caractère et film choral sans grand relief. Une addition pas totalement convaincante, en somme.