Une poignée d’employés d’une station de forage se retrouvent coincés dans le Grand Nord suite au crash de leur avion en plein blizzard. Perdus, les survivants menés par un chasseur qui assure habituellement leur sécurité, Ottway, se lancent dans une fuite pour leur survie à travers montagnes et forêts, bravant le froid et la faim, mais aussi et surtout la meute de loups qui s’est mise à leur poursuite.

On sent dès les premières minutes de The Grey, aka Le territoire des loups, que Joe Carnahan (Narc, certes, mais aussi L’agence tous risques) n’a pas envie de traiter son récit de manière traditionnelle. L’aspect sensationnaliste d’une histoire façon Les survivants ne l’intéresse pas – et à la limite, c’est tant mieux. Mais le suspense inhérent à cette histoire de lutte primale entre des hommes apeurés confrontés à des loups sans pitié (et bizarrement énormes, presque surréalistes) n’est sans doute pas ce qui le motive non plus. The Grey est un film étrange, qui traite avant tout des possibles comportements que l’Homme peut adopter face à une mort certaine, et comment il choisit de s’y confronter.

Introducing Liam fuckin’ Neeson

Après le crash de leur avion, les survivants tentent de fuir les loups.

Le film plonge dès le départ dans l’inconscient mélancolique de Ottway (par le biais notamment d’un jeu malin sur la dimension extra-diégétique de la musique), un chasseur expérimenté hanté par l’image de sa femme, au bord du suicide aussi. Un roc mystérieux duquel on connaît peu de choses, la faute à un montage un peu lâche qui se repose un peu trop sur son côté impressionniste pour permettre une véritable identification. Il faut dire que Liam Neeson, après les cartons de Taken et Sans identité, n’a plus besoin de présentations, tant il incarne désormais sans peine le type bourru mais fragile, un costaud toujours doté d’une humanité à fleur de peau. Bref, au bout de cinq minutes, nous somme à bord de l’avion fatidique, l’occasion pour Carnahan de mettre en scène un crash impressionnant car vu entièrement de l’intérieur de la carlingue (un peu comme David Twohy l’avait fait pour l’atterrissage de son vaisseau spatial dans Pitch Black).

L’histoire va ensuite tourner autour d’un groupe de personnages tous masculins (on est pas loin à ce moment de penser à The Thing), tous très typés, très manichéens, à tel point qu’on peut se demander s’il ne s’agit pas de projections mentales tirées de l’inconscient d’un Ottway mourant, Inception-style. Tel un slasher, mécaniquement, les loups et les éléments vont s’acharner contre chacun d’entre eux, parfois jusqu’à l’absurde. La palme revient sans doute au personnage interprété par Frank Grillo, caricature de figure antagoniste servant juste à faire bouillir Liam Neeson et à lui faire lâcher des punchlines du type « Je vais t’écrabouiller dans cinq secondes si tu fermes pas ta gueule ». Grillo choisit tout simplement d’attendre la mort après avoir été blessé, l’occasion d’un interminable et gênant plan-séquence où ses compagnons attendent sans bouger que le boulet passe à la confession, en mode poétique (« C’est un endroit si beau pour mourir »).

Émotion et rédemption

Ottway se prépare à affronter la meute. Un dernier combat, une dernière fois…

Les péripéties n’ont donc que peu d’importance dans The Grey. Limité par son budget, Carnahan soigne malgré tout la direction artistique du film, tourné dans des paysages naturels fabuleux. Le cadre est toujours imprégné d’une neige omniprésente, embaumant petit à petit des hommes ressemblant un peu plus à chaque minute à une tribu menacée d’extinction, impuissants face aux forces de la Nature (et de la gravité). Mais le film est décidément trop maladroit, trop niaiseux également dans son traitement de l’émotion, recherchée à grands coups de violons, de voix off sentencieuse et de facilités scénaristiques honteuses (voire la façon dont le scénario fait dégager le dernier compagnon de Ottway). Quand Neeson s’en prend à Dieu, comme on se doutait qu’il le ferait dans un tel contexte, la scène prend des allures de monologue théâtral digne d’une pièce étudiante (« Fuck you, God ! », s’écrie Ottway). La scène finale nous renseigne logiquement très clairement sur le véritable projet du film (1) : celui de raconter le parcours intérieur d’un homme qui a accepté son destin et veut croire dans un au-delà rédempteur et apaisé, loin du tumulte et de ses douleurs. Connaissant l’histoire personnelle de l’acteur, on devine bien ce qui l’a motivé à accepter ce rôle intense, mais dont la sincérité flirte souvent avec le ridicule.

The Grey n’est pas seulement déceptif : c’est aussi un film plutôt raté, au rythme haché passé la première bobine, et dont les artifices stylistiques sont autant de cache-misères pour donner une aura mystique à une histoire cousue de fil blanc, peuplée qui plus est de personnages transparents et de symboles lourdauds (le coup des passeports, seigneur…).

Par contre les loups sont bien.

(1) Le réalisateur a placé, sans trop l’assumer d’ailleurs, une séquence d’après-générique qui modifie quelque peu la perception de l’histoire. Séquence malheureusement manquée en salles…


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Deuxsurcinq
Le territoire des loups (The Grey)
De Joe Carnahan
2012 / USA / 117 minutes
Avec Liam Neeson, Delmot Mulroney, Dallas Roberts
Sortie le 29 février 2012
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