C’est une histoire d’amour crépusculaire, comme Nick Cave ou Bob Dylan ont pris l’habitude d’en chanter (le titre original, Ain’t them bodies saints, proviendrait d’ailleurs d’une chanson folk) : une passion brûlante et juvénile qui étreint, dans un coin de Texas intemporel, Bob et Ruth. Bob est un hors-la-loi, un bandit de grand chemin qui entraîne sa chère et tendre dans une cavale perdue d’avance. Après une fusillade avec les forces de police, Bob est arrêté alors que Ruth apprend qu’elle est enceinte. En prison, Bob rumine la vie de famille à côté de laquelle il passe, et ne songe qu’à une seule chose : s’évader. Lorsqu’il y parvient quatre ans plus tard, les choses ne sont plus les mêmes, pour lui, sa chère et tendre, et les protagonistes de l’affaire qui les entourent…
Même s’il est loin d’être connu du grand public, le réalisateur David Lowery n’a rien d’un débutant. Artiste et technicien multi-cartes, le jeune trentenaire originaire du Texas, s’est principalement fait repérer jusqu’à présent en tant que monteur, notamment sur le prochain film de Shane Carruth (Primer), Upstream Color. Nul doute qu’après la sortie de ces Amants du Texas, remarqués à Sundance puis à Deauville, on réentendra beaucoup parler du cinéaste. Lowery n’invente rien en terme d’histoire à proprement parler, pourtant : la principale originalité de cette romance tragique, qui fait fatalement écho à celle de Bonnie et Clyde et de tous les couples de brigands qui les ont suivis, est de commencer après leur fin supposée. Moins un film de gangsters qu’une réflexion élégiaque sur le deuil et les illusions perdues, Les Amants du Texas évoque aussi beaucoup, malgré les réticences du réalisateur à l’admettre, le cinéma de Terence Malick. On a connu pire comme comparaisons.
Sombre romance
À travers un montage d’ouverture enlevé et sensible, le spectateur apprend en quelques minutes à connaître Bob (Casey Affleck, toujours affublé de son timbre rocailleux de crooner aphone) et Ruth (Rooney Mara, très juste). Lowery et son directeur photo Bradford Young traquent la beauté de leur cavalcade post-adolescente dans des séquences champêtres baignées d’une lumière irréelle, captée à « l’heure magique ». Impossible dans ces moments de ne pas penser à La balade sauvage et aux Moissons du ciel, les deux classiques seventies de Malick. Lowery pousse le côté lyrique jusqu’à adopter une forme de narration épistolaire, les amants damnés déversant leur trop-plein de sentiments dans une voix-off affectée, qui sert de relais à la véritable trame de l’histoire : celle qui suit leur longue séparation.
Quatre ans après, Ruth n’est en effet plus la même. C’est une mère aimante, ayant mis sa vie entre parenthèses, s’accrochant au souvenir d’un amour fusionnel, dont le souvenir s’estompe, malgré elle, au fil des jours. Lorsque Bob, évadé de prison hors-champ, revient en ville, son père de substitution, Skerritt (Keith Carradine dans un rôle qu’on jurerait écrit pour Kris Kristofferson ou Sam Shepard), le prévient : il n’y a aucun intérêt à tenter de raviver la flamme avec Ruth. Le monde a avancé sans lui, et Bob, qu’il le veuille ou non, est devenu une figure du passé. Un statut d’autant plus implacable qu’après sa fuite apparaissent de patibulaires bandits, lancés à la poursuite de l’évadé avec la ferme intention de savoir où son magot personnel a été planqué. L’ombre du western ne plane jamais très haut au-dessus des Amants du Texas : Lowery se montre toutefois moins intéressé par les fusillades et les règlements de compte (qui s’avèrent pourtant aussi secs et sanglants qu’efficaces, dans la tradition là aussi très seventies du Nouvel Hollywood) que par les moments de creux, de vague à l’âme et d’amertume. En témoigne cette confrontation désamorcée entre Patrick (Ben Foster, dans un registre doucereux et attentif qu’on ne lui connaissait pas), policier chargé de retrouver Bob, et ce dernier, lors d’une partie de cache-cache dans la maison qui lui sert de refuge. Malgré le décor, on est assez loin ici de l’univers de Cormac McCarthy
Un trio fragile et secret
Le rythme du film s’avère de fait assez inégal. Malgré sa courte durée, Les Amants du Texas prend le temps d’étirer au maximum une histoire faite de peu de choses, et dont chacun des rebondissements, malgré la structure fragmentée du montage, est aussi familier qu’attendu. Affleck et Mara ont bien sûr du charisme à revendre, mais ils partagent peu l’écran, et le fait est que le film constitue avant tout la chronique d’une séparation (à distance). Cette dimension est appuyée par la présence, de plus en plus importante, du personnage de Patrick, qui ne connaît pas le secret de Ruth – c’est elle qui l’a blessé à l’épaule, et pas Bob – et en tombe du coup amoureux. Ce trio improbable est indéniablement attachant, et la réalisation, délicate et inspirée, la met idéalement en valeur. Le film est à leur image : fragile, secret, évanescent, mais pâtissant souvent de la comparaison avec ses prédécesseurs. Lowery, lui, risque d’aller très loin. Son histoire ne fait que commencer.
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Les Amants du Texas (Ain’t them bodies saints), de David Lowery
USA / 2013 / 96 minutes
Avec Casey Affleck, Rooney Mara, Ben Foster
Sortie le 18 septembre
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