De son propre aveu, le réalisateur japonais Mamoru Hosuda souhaitait revenir après Summer Wars à un projet plus intimiste, avec moins de personnages et d’action. Le petit prodige de l’animation est passé par le vénérable studio Ghibli, avant de claquer la porte pour aller voir la concurrence, en l’occurrence le studio Madhouse, responsable de quasiment toutes les perles animées nippones de ces dernières années. Parmi elles figurent Redline, ainsi que La traversée du temps et Summer Wars, tous deux signées Hosuda. Ce dernier a pris son indépendance à l’occasion de ces Enfants Loups, finalement le plus ambitieux de tous ses films.

C’est l’histoire d’Hana, une jeune étudiante âgée de 19 ans. Après avoir rencontré le ténébreux Okami lors d’un cours, elle en tombe amoureuse. Il lui révèle alors un soir sa vraie nature : c’est un homme-loup, le dernier d’une lignée éteinte, forcé de s’accoutumer à la vie urbaine. Le couple commence à faire sa vie, et bientôt, deux enfants naissent : une fille, Yuki (neige) puis un garçon, Ame (pluie), moitié humains, moitié louveteaux. Mais Okami disparaît brutalement. Désormais seule, Hana doit gérer deux turbulents enfant, et décide pour ce faire de déménager à la campagne, loin des regards. Les années passent, et Yuki et Ame sont bientôt confrontés à un choix cornélien : rester avec les humains, ou laisser leur côté animal guider leur vie.

Chronique lycanthrope

Hana et ses deux rejetons, Ame et Yuki, sont au cœur d’une histoire à la fois intimiste et épique.

Dès les premiers plans, la maîtrise du cadre, la précision du trait et l’assurance du montage sautent aux yeux : Hosuda nous embarque dans une odyssée familiale touchant à la fois au merveilleux, par le biais du thème du loup-garou, et au réalisme le plus pointu. Le film observe avec une justesse sidérante la routine du quotidien, les moments de joie qui parsèment la vie de famille d’Hana et des siens, construisant à l’aide de motifs visuels (la carte d’identité d’Okami, seul souvenir qu’Hana pourra garder de son compagnon ; les entailles dans le bois témoignant de la croissance des enfants) une proximité touchante avec le spectateur. L’histoire s’étend ainsi sur une douzaine d’années, mais Les enfants loups ne tire jamais en longueur : les deux ans de gestation du film ont permis de perfectionner les plus petites ellipses, en même temps que les couches narratives se superposaient, jusqu’à faire d’une histoire linéaire à la Ozu une sorte de fresque à la densité incroyable.

La dualité d’Ame et Yuki, si elle constitue une métaphore transparente de la part d’enfance « sauvage » qui reste en chacun de nous ou se transforme en simple souvenir, est aussi le moteur des drames qui se jouent dans cette campagne idyllique brossée par Hosuda et ses animateurs. Les deux enfants passent d’un « état » à l’autre en un clin d’œil, le plus souvent pour traduire leurs émotions (la joie, la colère, la frustration, la peur), mais doivent au fur et à mesure qu’ils grandissent apprendre à masquer ce côté animal pour, littéralement, survivre. D’où une tension qui s’insinue, subtilement, entre deux escapades ébouriffantes dans une nature toute-puissante devenue une aire de jeux pour ces enfants à la fois si uniques et si proches de nous dans leur comportement et leur évolution.

Un loup en chacun de nous

Okami (qui veut dire « loup »), symbole d’une culture animiste devant s’intégrer pour exister.

Le film trouve son point de rupture stylistique quand la maison d’Hana se retrouve couverte de neige, et que ce manteau blanc devient l’occasion pour Ame et Yuki de dévaler à perdre haleine les montagnes. Un travelling latéral suit alors la course effrénée des louveteaux, avant de passer en vue subjective pour nous faire épouser, aux premières loges, ce moment d’exultation, véritable explosion de sensations contrastant avec la réalisation tout en retenue de la première heure. C’est à ce moment que nous passons du statut d’observateur fasciné à celui d’acteur totalement impliqué dans le destin de cette famille. On vibre à la rencontre de Yuki avec « le maître de la montagne », on se passionne pour les tribulations d’Ame à l’école et ses difficultés à garder son secret intact. L’opposition entre une Nature triomphante mais ignorée et un cadre social synonyme de contraintes rappelle progressivement les grandes œuvres du sensei Miyazaki, le film culminant dans son dernier acte dans une ode à la tolérance, à la liberté de choisir son destin, au don de soi également.

Le film émeut autant qu’il nous remue, parce qu’il atteint l’universel en se concentrant sur un microcosme simplement humain. Rares sont les films d’animation qui parviennent à ce niveau de réussite : à vrai dire, à part Pixar et des classiques comme Le voyage de Chihiro, on ne voit guère ce qui pourrait égaler cette année une réussite comme Les enfants loups.


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Cinqsurcinq
Les enfants loups (Okami kodomo no ame to yuki)
De Mamoru Hosuda
2012 / Japon / 117 minutes
Avec les voix d’Aoi Miyazaki, Amon Kabe
Sortie le 29 août 2012
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