La voici enfin, cette réunion tant attendue entre les versions old et new school des X-Men. Près de quinze ans après le premier épisode, Days of future past, septième opus officiel dans la saga mutante démarrée sous l’impulsion de la productrice Lauren Shuler Donner (également productrice de Constantine et Vous avez un message, c’est important), tente une périlleuse réconciliation entre la trilogie originelle, contemporaine à notre époque, et la version rétro de ces mêmes personnages brillamment mise sur pied par Matthew Vaughn dans X-Men : le commencement.

Les as du marketing qui tenteraient de vous faire croire que ce complexe DOFP peut servir de porte d’entrée à l’univers des X-Men sont de gentils petits arnaqueurs : il est fortement conseillé, non seulement d’avoir vu tous les longs-métrages précédents (excepté peut-être le dernier Wolverine, conçu comme un véritable spin-off autonome), mais de les avoir encore en tête au moment d’entrer dans la salle. Avec plus de vingt personnages principaux (dans leurs versions jeunes et moins jeunes), d’innombrables références à d’autres, plus mineurs, des timelines réécrivant au fil du scénario les événements des films passés, Days of future past ressemblera à un spectacle bollywoodien sans sous-titres pour n’importe quel non-initié.

Deux époques, une seule guerre

X-Men days of future past : du neuf avec du vieux

Ignorant une partie de l’histoire du X-Men : l’affrontement final sorti en 2006 (et c’est… tant mieux), DOFP démarre dans un futur post-apocalyptique évoquant autant Matrix qu’Akira. La voix off du Professeur X (Patrick Stewart), avec un ton grave, décrit cette époque désespérée où les mutants, comme l’humanité, sont des espèces en voie d’extinction. Les Sentinelles, des robots créés pour traquer les mutants, ont évolué, se sont retournées contre leurs maîtres et décimé une bonne partie de la planète, façon Skynet. Parmi les survivants, un petit groupe de X-Men mené par Iceberg (Shawn Ashmore) et Kitty Pryde (Ellen Page) use de ses pouvoirs pour échapper à la menace. Ils sont rejoints par leurs anciens « professeurs », à savoir Charles Xavier, Magneto (Ian McKellen), Storm (Halle Berry) et l’increvable Logan, alias Wolverine (Hugh Jackman), qui ont un plan pour sauver le monde – mieux vaut tard que jamais. Leur idée : envoyer l’esprit de Wolvie dans son « moi » passé grâce à Kitty Pryde, en 1973. Juste à temps pour convaincre Mystique (Jennifer Lawrence, assez transparente) de ne pas déclencher LA réaction en chaîne fatale à leur espèce, et changer le futur. Et faire se rencontrer à nouveau les jeunes Charles et Magnéto, alors pas vraiment au pic de leur amitié. Une course contre la montre commence, à deux époques différentes…

[quote_left] »Souvent critiqué pour le manque d’ampleur de ses scènes d’action, Singer a pris de l’assurance au fil des ans. »[/quote_left]La réussite d’une saga telle que les X-Men doit beaucoup à ses instigateurs : il est de bon ton de louer l’exercice réussi par Marvel avec ses Avengers, mais Bryan Singer avait rempli le défi de réunir plusieurs super-héros dans un seul film bien avant eux, et sans avoir des épisodes indépendants en amont pour construire une super-franchise. X-Men, au moins dans ses deux premiers épisodes et l’opus pop et enlevé de Vaughn, a atteint cet équilibre quasi miraculeux dans la gestion de multiples lignes narratives (chaque mutant a une histoire traumatisante liée à son pouvoir, traitée en profondeur et avec soin) en les unifiant à chaque fois sous la bannière d’un thème commun galvanisant : la lutte contre les préjugés, contre la haine née de la différence. Des thèmes qui n’ont rien de fantaisistes et qui touchaient Singer en profondeur, ce qui a provoqué chez le réalisateur d’Usual Suspects un véritable déclic. Resté producteur sur les derniers épisodes après avoir cédé au dernier moment sa place de metteur en scène, Singer ne pouvait que revenir un jour aux origines de l’histoire, pour apposer sa patte sur un univers d’une cohérence thématique rare dans le genre. En ce sens, DOFP constitue un matériau idéal pour boucler, littéralement, la boucle de la saga avec une histoire de paradoxe temporel « classique ».

Tu veux du spectacle ?

X-Men days of future past : du neuf avec du vieux

La dimension personnelle, quasi « auteuriste », de ce nouveau X-Men, ne fait en rien oublier l’ambition démesurée, à la fois commerciale et artistique, d’un blockbuster alignant tellement de stars à son générique qu’il doit se permettre de ne donner qu’une seule réplique à plusieurs d’entre eux. Fierté nationale oblige, beaucoup d’encre a coulé sur le casting d’Omar Sy pour incarner le mutant Bishop : la star d’Intouchables n’est au final qu’un figurant de luxe, tout comme la Chinoise Fan Bingbing (Far away), ou l’actrice oscarisée Halle Berry, qui n’a semble-t-il toujours pas le droit de jouer avec ses yeux. Pour ses innombrables fans, DOFP ressemblera malgré tout à un gigantesque tour de manège plein de couleurs et d’éclat : le ton est donné dès la séquence d’ouverture, bataille rangée entre les Sentinelles du futur et un bataillon de petits nouveaux dont les pouvoirs évoquent pêle-mêle les 4 Fantastiques et le jeu Portal.

Souvent critiqué pour le manque d’ampleur de ses scènes d’action, Singer a pris de l’assurance au fil des ans, notamment sur son trop décrié Jack le tueur de géants. Profitant d’un budget illimité, il orchestre à intervalles réguliers des séquences impressionnantes où chacun des personnages se voit donner l’occasion de montrer l’étendue de ses capacités. L’intelligence du scénario solidement charpenté de Simon Kinberg, permet à chacune d’entre elles d’être parfaitement justifiée : en clair, ces morceaux de bravoure, qui se déroulent alternativement dans une chambre d’hôtel new-yorkaise, au cœur de la Maison-Blanche, au Vietnam ou à Paris, sont à chaque fois là pour faire avancer significativement l’histoire. Pas de surenchère destructrice à la Marvel ici, même si le film possède un climax à la mesure de ses ambitions. Cette recette fonctionne particulièrement bien dans ce qui reste comme la meilleure scène du film, l’évasion de Magneto du Pentagone, où le mutant ultra-rapide Quicksilver (Evan Peters, au flegme puissamment charismatique) maîtrise en slow-motion une batterie de gardes avec un mélange de morgue, d’infantilisme et d’efficacité proprement irrésistible. Dommage qu’il ne fasse, lui aussi, que passer.

Duo à quatre

X-Men days of future past : du neuf avec du vieux

La maîtrise technique du film, d’une fluidité exemplaire pour un récit a priori aussi touffu (en tout cas dans sa première heure), vient dans DOFP se mettre au service d’une histoire au contenu toujours aussi riche, tout en permettant de passer outre l’inutilité de la  3D et la direction artistique quelque peu aride et quelconque du projet – perruques et costumes mis à part, la reconstitution des années 70 est assez sommaire, et les décors et jeux de lumière de la partie futuriste sont assez toc, voire ridicules.

McKellen et Stewart, ennemis ancestraux et représentants de deux courants de pensée universels (l’intégration communautaire ou la confrontation violente ?), étaient les piliers de la saga originelle, conférant une densité de jeu impressionnante à un genre encore hésitant. Outre la sage décision de mettre Wolverine au centre de l’histoire tout en le réduisant à un statut d’observateur (tout ou presque a été dit sur lui, alors pourquoi ne pas en faire le plus badass des sidekicks ?), Singer a l’intelligence de faire reposer la grandeur dramatique du film sur un duo d’acteurs déjà éprouvé dans Le commencement, et qui fonctionne sur la même dynamique : James McAvoy et Michael Fassbender. C’est bien simple, dès que ces deux-là sont à l’écran, DOFP délivre ses meilleurs moments : il faut voir quelle conviction Fassbender dégage lorsqu’il reproche à son ex-meilleur ami d’avoir « abandonné les siens » ou quand il met littéralement le grappin sur Mystique, propulsée ici au centre d’événements qui la dépassent. S’il en fait parfois un peu trop dans le registre « épave de la vie », McAvoy lui tient tête avec aplomb, conférant dignité et compassion à un personnage par définition plus cérébral. Singer se permet même de lui faire rencontrer son aîné lors d’un face-à-face aussi psychédélique sur la papier qu’intense à l’écran : avant d’être une franchise à grand spectacle, les X-Men n’oublient pas qu’ils sont aussi des films d’acteurs, incarnant des enjeux plus gratifiants que la simple défense du monde libre.

Plus les choses changent…

X-Men days of future past : du neuf avec du vieux

Ces multiples qualités, qui sont indéniables et bienvenues dans le paysage franchisé hollywoodien, ne doivent pas masquer le sentiment prégnant de déjà-vu qui prend au fur et à mesure le dessus. DOFP impressionne, divertit, amuse (l’humour pince-sans-rire, utilisé à bonne dose, est une constante de la saga), bref, remplit sans lésiner son contrat, sans toutefois proposer véritablement quelque chose de nouveau au spectateur. Les ennemis des X-Men sont invariablement les mêmes : gouvernement, militaires, savants fous, bref les représentants de l’autorité. Magnéto veut les soumettre, Xavier l’en empêcher. Logan grogne, Mystique s’échappe et le script en reste toujours à un statu quo rassurant et frustrant, effaçant d’un coup les peines et les disparitions – certains mutants ont beau clamser deux fois, ils ne sont quand même pas morts pour de bon. Le film utilise in fine de manière malicieuse et quelque peu malhonnête le principe du paradoxe temporel pour installer les bases d’une autre séquelle, Apocalypse, teasée en fin de générique. Singer en profitera-t-il pour redistribuer pour de bon cette fois les cartes de son univers ? Réponse dans un futur proche…


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Troissurcinq
X-Men : days of future past
De Bryan Singer
2014 / USA / 131 minutes
Avec Hugh Jackman, James McAvoy, Jennifer Lawrence
Sortie le 21 mai 2014
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