Il a semblé pendant un temps que le sous-genre, généralement assez invraisemblable, du « film d’action en avion » avait disparu de nos radars. Bien sûr, le 11 septembre est passé par là, mais cela n’a paradoxalement pas empêché des choses comme Flight Plan et des mélanges un peu plus conceptuels comme Des serpents dans l’avion de voir le jour. Mais dans l’ensemble, le temps des Ultime Décision, Passager 57, Air Force One et autres Turbulences à 30 000 pieds, aussi roboratifs et manichéens que divertissants, semblait bien loin. Mais ça, c’était avant que Liam Neeson ne se réinvente une carrière post-Taken, et personnifie l’homme d’action un peu usé par les années, mais doté de « capacités bien particulières » n’attendant que l’arrivée de méchants patibulaires pour être activées.
Il est facile d’imaginer l’équation qui s’est créée dans les esprits de Studio Canal et du producteur Joel Silver, déjà à l’origine d’un Sans Identité hitchockien et pantouflard : « Et si on faisait monter Liam Neeson dans un avion, avec son téléphone et son air bougon ? ». Le résultat s’appelle donc Non-Stop, titre ludique mais générique, à l’image de cette co-production franco-américaine où malgré l’étroitesse du décor et le peu de temps qui lui est donné, Neeson aura l’occasion de plier quelques bras et d’utiliser sa voix de stentor pour reprendre le flambeau de la série B en haute altitude.
Allô, ça serait pour commander 150 millions de dollars
Neeson incarne donc cette fois non pas un agent secret, mais un air marshall, Bill Marks, qui a pris la fâcheuse habitude, depuis qu’un drame personnel a brisé sa vie, de boire un peu trop pendant le boulot, voire même de fumer dans les toilettes des avions, en petit cachottier qu’il est. Après Denzel Washington dans Flight, voilà donc un autre fonctionnaire des airs qui donne peu confiance dans les compagnies américaines. L’action se déroule durant un vol New York – Londres, durant lequel Marks est interpellé sur son téléphone professionnel, pourtant censé être en réseau fermé : son interlocuteur menace de tuer un passager toutes les 20 minutes tant que ne lui sont pas remis 150 millions de dollars. Blague de mauvais goût ? Pas vraiment. De manière assez surprenante, les cadavres commencent à tomber façon Dix petits nègres, sans que les passagers s’en rendent compte. Incapable de trouver le coupable, et puisque tous sont suspects, Marks finit par être soupçonné d’être lui-même à l’origine d’un détournement. Désormais, chaque minute compte pour éviter le pire…
En étant d’humeur cérébrale, il est possible de percevoir une thématique récurrente dans les collaborations entre Liam Neeson et Jaume Collet-Serra, déjà réalisateur de Sans Identité : le duo semble vouloir réactiver dans les deux films la figure très hitchockienne du héros accusé à tort, et qui doit s’acharner, envers et contre tout, à prouver son innocence, si possible avec l’aide d’une acolyte qui est la seule à le croire. Seulement, ce schéma bien rôdé doit être mis au goût du jour pour le public de 2014, qui apprécierait sans doute peu que le suspense de Non-Stop se résume à des regards en chien de faïence entre Neeson et ses voisins de rangée. La « grande » idée du film se résume donc à une afféterie stylistique : les textos que Marks tape frénétiquement sur son pager amélioré s’affichent en temps réel à l’écran, comme dans une bonne vieille pub Orange. Plutôt bien vues et cohérentes, ces incrustations deviennent rapidement très envahissantes, jusqu’à flotter partout dans l’écran lorsque le marshall se met en tête de fouiller les passagers, et que des SMS s’affichent au-dessus de leurs têtes !
Vous avez dix messages
La triste réalité de Non-Stop, c’est donc ça : pour une minute de clés de bras dans l’espace clos d’un cabinet de toilette, le spectateur aura droit à vingt minutes de chat avec un Neeson tentant de jouer toutes les émotions de son personnage en regardant son Blackberry. Question intensité, on a vu plus inspiré, surtout que pour maintenir la tension et multiplier les suspects, Collet-Serra a pris soin d’insérer dans l’appareil tout un tas de personnages secondaires à peine esquissés, des hotesses de l’air transparentes (Michelle Dockery et Lupita Nyong’o, de 12 years a slave) à la rousse dépressivo-suicidaire mais quand même sexy (Julianne Moore qui vient jouer les utilités sans trop se fouler), en passant par le flic-louche-mais-pas-trop (Corey Stoll, de House of Cards)… Il y a même une mignonne petite fille qui bizarrement voyage toute seule et est juste là pour rappeler des mauvais souvenirs à Marks. Bien sûr, les méchants se cachent parmi cette galerie interchangeable (enfin rassurez-vous, c’est pas la gamine), et leurs motivations sont un grand moment de poilade caricaturale, annihilant en quelques répliques le peu de sérieux qui restait dans un film aux ficelles aussi grosses que les pneus du train d’atterrissage.
[quote_right] »Neeson a l’occasion de plier quelques bras et d’utiliser sa voix de stentor pour reprendre le flambeau de la série B en haute altitude. »[/quote_right]Avant l’explosif dénouement, qui plagie sans vergogne ses prédécesseurs de l’ère pré-Internet, Collet-Serra aura au moins réussi sur un plan, malgré les invraisemblances et les répétitions qui s’accumulent : le suspense sur l’identité du véritable maître-chanteur est adroitement maintenu une heure durant, et les énigmes auxquelles Liam Neeson est confronté sont résolues avec une malice et un côté tordu que n’aurait pas renié Agatha Christie. L’ambition de Non-Stop se limitant manifestement à offrir un divertissement assez malin et rythmé pour ne pas être nanardeux, il est difficile de lui reprocher de n’être pas novateur, complexe ou même crédible (attendez d’entendre parler de l’histoire du compte bancaire). Neeson et Collet-Serra ont en tout cas l’air d’être contents de leur affaire, puisqu’ils terminent actuellement le tournage de leur troisième film ensemble, au titre tout aussi évocateur : Run All Night. Neeson y jouera un tueur à gages devant protéger son fils (soupir…), et avec un peu de chances, il lâchera peut-être enfin son portable !
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Non-Stop
De Jaume Collet-Serra
USA-France / 2014 / 106 minutes
Avec Liam Neeson, Julianne Moore, Michelle Dockery
Sortie le 26 février 2014
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