Oxygène : un huis clos à air comprimé

par | 21 mai 2021 | À LA UNE, Critiques, NETFLIX

Oxygène : un huis clos à air comprimé

Tourné en plein confinement, Oxygène permet à Alexandre Aja de livrer un huis clos futuriste peu stressant, mais imaginatif.

L’arrêt forcé des tournages de films pendant le confinement mondial de 2020 n’aura pas été fatal à toutes les productions. Oxygène a survécu à la mise au placard prolongée des caméras, quand son producteur et bientôt réalisateur Alexandre Aja a décidé de rapatrier le projet, qui devait se tourner en anglais aux USA avec Noomi Rapace et son ami cinéaste Franck Kahlfoun (Maniac), en Île-de-France, avec un tournage en français mettant en vedette Mélanie Laurent. Oxygen est devenu Oxygène mais la base reste la même : l’adaptation d’un script de la débutante Christie LeBlanc, longtemps resté dans la black list, qui emprunte le chemin de Buried pour enfermer pendant une heure et demie une héroïne et le spectateur dans un caisson aux allures de cercueil. Un exercice de style pour le réalisateur anglophile de Piranhas 3D, La colline a des yeux et plus récemment de Crawl, en même temps qu’un concept parfait pour contourner les limitations logistiques actuelles liées à la pandémie, tout en nous en renvoyant l’écho – Oxygène fait d’ailleurs partie des premiers films à citer au générique de fin les fameux « référents Covid ».

Confinée, Mélanie Laurent l’est bel et bien, dès les premières secondes du film. Sanglée, infusée, empaquetée, l’actrice incarne une femme amnésique qui se réveille attachée dans une boîte aux allures de caisson à UV, sans avoir la moindre idée de ce qu’elle fait ici. L’attirail médical suggère un hôpital, la technologie intégrée au caisson indique que nous sommes dans un futur, pas trop lointain, mais certainement pas contemporain. Pourtant, la peur qui s’affiche dans les yeux paniqués de la comédienne est immédiate et concrète : l’ordinateur de bord, surnommé Milo (incarné par la voix de Mathieu Amalric, qui relève plutôt bien le défi de l’IA légèrement empathique, façon Scarlet Johansson dans Her), l’informe que le niveau d’oxygène dans le caisson est descendu à moins de 40 %. Autrement dit, notre héroïne manquera d’air avant la fin du film si elle ne résout pas le mystère qui l’entoure. Un escape room de l’extrême, donc, dont les énigmes consisteraient à fouiller sa propre mémoire et à trouver le meilleur moyen d’obtenir les réponses de Milo – qui n’a pas fondu un câble, mais n’a rien d’un soutien émotionnel non plus…

Souffle court

Oxygène : un huis clos à air comprimé

Le concept d’un film à décor unique, et plus encore d’un film à personnage unique, implique de la part du metteur en scène un surcroît visible d’imagination. Il en faut pour éviter la redondance et l’impression de remplissage quand ce qui peut être filmé et mis en avant reste le visage et le corps d’une actrice allongée. De ce point de vue, Oxygène est une petite réussite, même si Alexandre Aja réduit assez vite l’impression de claustrophobie à néant, en s’échappant de sa boîte pour enchaîner les flash-backs, qui reviennent comment autant de flashs aveuglants à la mémoire de Mélanie Laurent. Le procédé est facile, parfois ringard, car fonctionnant un peu comme un interrupteur narratif (il suffit que l’actrice ferme les yeux ou serre très fort sa paume pour « déclencher » une nouvelle séquence) et l’esthétique ultra-lisse de ces morceaux de vie partagés avec l’excellent Malik Zidi – où l’on évoque, tiens tiens, une crise sanitaire féroce – n’est pas du meilleur goût. Mais c’est un outil indispensable pour rythmer la chasse identitaire de notre héroïne inconnue. Le meilleur est ailleurs : dans la façon dont Oxygène exploite toutes les possibilités du fameux caisson pour nous surprendre, voire nous faire gentiment flipper. Il fait penser à la meilleure scène de Prometheus quand un bras articulé surmonté d’une seringue menace tout d’un coup la prisonnière d’un sommeil fatal, qu’une porte s’apprête à s’ouvrir sur l’inconnu ou quand des hallucinations la piègent avec une montagne de souris (la mascotte métaphorique du film). Contexte aidant, Alexandre Aja a peu d’occasions de laisser s’exprimer son amour du gore, mais il saisit néanmoins toutes les opportunités d’injecter un peu d’horreur organique dans ce récit qui vire très vite à la science-fiction la plus décomplexée.

« Oxygène a une fière allure pour son petit budget. »

C’est dans la manière qu’a le script de Christie LeBlanc de générer une série de twists étendant le champ et l’ambition de l’univers du film, qu’Oxygène trouve son plus bel accomplissement. S’il est préférable de ne pas s’appesantir sur la logique interne de l’ensemble, une fois les pièces majeures révélées, les grandes révélations que nous réserve le scénario valent leur pesant d’étonnement et sont qui plus est parfaitement mises en valeur par la réalisation d’Aja et son goût pour un production design soigné. Entre panoramiques circulaires depalmiens, travelling arrière isolant l’héroïne dans son caisson perdu dans les ténèbres, ralentis bien placés et money shots dispensés avec classe, Oxygène a une fière allure pour son petit budget. Logiquement de tous les plans, ou presque, Mélanie Laurent offre de son côté une prestation à saluer, crédible en prisonnière vulnérable et paniquée comme en femme résolue et amoureuse – elle n’a pas à rougir face à une Noomi Rapace bien plus rompue aux rôles physiques et contraignants. Seule la résolution, trop propre, et pataugeant en l’espace de quelques secondes dans un new age gnangnan, gâche un peu la fête de ce survival à l’horizontale, qui troque la claustrophobie contre quelques petits tours de passe-passe bien sentis.