Voir un Carpenter débarquer directement dans son salon, c’est quand même un événement. Les moins de 30 ans ne s’en rappellent peut-être pas, mais jusqu’alors, les films de Big John étaient tous passés en France par la case cinéma. Ses productions les plus faibles, comme Le Village des damnés, auraient sans doute du mal à trouver preneur aujourd’hui chez des distributeurs effrayés par le genre fantastique, mais les faits sont là : le travail de Carpenter a toujours été synonyme de découverte sur grand écran, seul médium apte à retranscrire avec fidélité son univers en Cinémascope.

The Ward, lui, dévoilera son élégant 2 :35 dans une édition chapeautée par Metropolitan, presque deux ans après le tournage du film, et après une projection unique à Paris, dans le cadre du Pifff de novembre dernier. Dire qu’on attendait avec fébrilité le retour de l’Américain derrière la caméra est un doux euphémisme. Deux épisodes (moyens… et en 1 :78 !) de la série Masters of Horror et la production de remakes insipides de ses propres chefs d’œuvre auront été la seule activité ajoutée au CV de Carpenter pendant les années 2000. Littéralement dégoûté du 7e art après l’échec de son très décalé Ghosts of Mars (un film qui, malgré ses côtés ridicules, a quelques qualités), l’éternel contestataire a pris une retraite plus ou moins anticipée, décidant avec un sourire sardonique au coin des lèvres de prendre du bon temps et d’encaisser des royalties bienvenues après trente ans d’une carrière magistrale.

L’hôpital et ses fantômes 

Dites les filles, personne n’a envie de s’aventurer dans un souterrain mal éclairé ?

Que le bonhomme ait décidé de sortir du bois à la lecture du scénario des frères Rasmussen est une nouvelle que l’on doit accueillir avec joie. Il y en a peu aujourd’hui, des réalisateurs capables d’imprimer une marque aussi reconnaissable, aussi personnelle sur un genre souvent maltraité. En deux mots, le talent de Carpenter est trop précieux pour être gâché. Après vision de The Ward, il apparaît urgent de le rappeler au cinéaste lui-même, qui n’est pas loin de signer ici une pure œuvre de mercenaire (malgré les compromissions, ses Aventures d’un homme invisible étaient finalement synchrones avec les motifs habituels de son cinéma).

Par quoi commencer ? L’histoire, peut-être, d’une folle originalité. Amber Heard, la blonde texane révélée par Tous les garçons aiment Mandy Lane, incarne Kristen, une jeune femme que nous découvrons après son arrestation par la police. Pour avoir brûlé une vieille ferme, elle se retrouve enfermée dans un asile psychiatrique, à l’intérieur d’une aile spécifique où sont enfermées des jeunes filles comme elles, plus rebelles que véritablement dérangées (nous sommes dans les années 60). Kristen n’a qu’une envie, s’échapper : un plan qui devient encore plus urgent quand elle comprend qu’un fantôme menaçant élimine une à une toute les pensionnaires de l’asile.

Amber, fais-moi peur

Amber est donc seule. Et j’ai envie de crier : « jump scare en approche ! »

Comme tout endroit clos à l’abri des regards, l’asile est un décor puissamment attirant pour y situer une intrigue à suspense. The Ward n’a rien de nouveau à ce titre : des films comme Gothika ou la série de Lars Von Trier The Kingdom ont déjà exploré les ressorts d’un endroit où se mélangerait folie et surnaturel. Sans aucune subtilité, Carpenter transforme dès les premières images son bâtiment vedette en hôpital maléfique, où le tonnerre gronde derrière les fenêtres, où les ombres portées cachent une menace impitoyable et impossible à stopper, et où la caméra en mode vue subjective fonce sur une actrice s’époumonant autant qu’elle peut avant de rendre son dernier souffle. Ça, c’est la séquence inaugurale de The Ward. Une note d’intention qui s’achève avec l’entame d’un somptueux générique : sans doute le meilleur moment d’un film désespérément banal.

Car tout ce qu’on redoutait, à la lecture du synopsis, est sur l’écran : les disputes entre filles qui rivalisent de petites phrases (« Tu devrais faire attention à toi, petite » « Ah ouais, pourquoi ? », ce genre de choses…), le personnel de l’hôpital uniformément méchant et sadique, le docteur compatissant qui veut aider coûte que coûte l’héroïne, une douche collective entre filles qui tourne mal, un trauma révélé à coups de flashbacks… Des artifices et clichés dignes d’un téléfilm du dimanche après-midi, que viennent chambouler ponctuellement des séquences de meurtres façon torture porn en fin de vie et des pauvres jump scares prévisibles, qui fonctionnent seulement à cause des effets sonores. Uniforme et guère passionnant, le personnage de Kristen, même interprété par une « nouvelle star » finalement très limitée dans son jeu, ne suscite guère d’empathie, alors que le film est un édifice branlant bâti tout entier autour d’elle.

Attention, derrière toi ! Un twist pourri !

« Plus un pas, ou je répète à tout le monde votre twist moisi ! »

Car The Ward est, bien évidemment et comme tout bon film de fantômes, une œuvre à twist. Impossible de révéler les œuvres dont il s’inspire (ou qu’il plagie, pour être franc), pour qui voudrait garder la surprise, mais ce twist LÀ a dépassé depuis un bail la date de péremption. C’est un coup de poker éventé au bout d’une demi-heure, une bêtise qui ruine instantanément les efforts du spectateur pour percer un mystère certes peu prenant, mais tout de même intrigant.

Que le « monstre » poursuivant notre casting « Jeune et jolie » soit réussi, c’est une bonne chose. Que Carpenter n’ait pas perdu la main pour transformer à coup de Dolly ces couloirs anonymes en prison à l’atmosphère étouffante, tant mieux. Mais la crétinerie abyssale d’un scénario complètement incohérent (petit atelier pratique : comment justifiez-vous de manière logique la première séquence, une fois le twist connu ?), l’absence des collaborateurs habituels du réalisateur derrière la caméra – fait rare, il ne signe pas non plus la musique du film -, la facture généralement très moyenne de cette production font qu’on se pose cette douloureuse question une fois le générique de fin entamé : aurait-on seulement jeté un œil à ce Ward poussiéreux s’il n’avait pas été signé par un des plus grands cinéastes américains de notre temps ?

La bonne nouvelle, c’est que ce retour presque gênant sur le devant de la scène a redonné le goût de la caméra au créateur d’Halloween. Ce dernier travaille en ce moment à l’adaptation d’un roman vampirique remarqué, Fangland, projet auquel est attaché une actrice (plus tellement) de premier plan, Hilary Swank. Il faut donc considérer The Ward pour ce qu’il est peut-être au fond : un galop d’essai pour un réalisateur qui avait perdu toute motivation, avant un retour aux affaires sans doute plus ambitieux. On l’espère pour lui, comme pour nous, en tout cas.


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Unsurcinq
The Ward
De John Carpenter
2010 / USA / 88 minutes
Avec Amber Heard, Danielle Panabaker, Lyndsy Fonseca
Sortie le 1er février 2012
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