Le PIFFF 2012 paraît déjà loin. Et pourtant, il serait dommage de se priver de quelques ultimes chroniques permettant de compléter notre panorama sur la quinzaine de films vue durant cette 2e édition. Cette dernière ne recelait (malheureusement) aucun chef d’œuvre, mais a permis de découvrir de nombreux titres attendus et quelques curiosités destinées, c’est une quasi-certitude, à atterrir en vidéo. Parmi eux, en voici trois, qui ont chacun rythmé la compétition officielle, « remportée » par l’espagnol The Body.

Crave

Aiden (Lawson), un photographe chez qui naissent des fantasmes d’autodéfense.

Comme les organisateurs l’ont rappelé en ouverture de la séance de Crave, le réalisateur Charles de Lauzirika a, malgré un CV quasi-vierge dans le domaine de la fiction, un carnet d’amis plutôt prestigieux. L’homme est en effet spécialisé dans le making-of, un peu comme Laurent Bouzereau, et on lui doit plus d’une soixantaine de documentaires sur les films de Ridley Scott et de Michael Bay. Pas étonnant donc qu’au générique de Crave figurent plusieurs collaborateurs des frères Scott, dont l’un des directeurs artistiques de Blade Runner. C’est donc la première fiction du documentariste, esthétiquement léchée malgré un univers tout ce qu’il y a de plus glauque : Crave suit en effet le lent déclin psychologique d’un gentil loser, photographe de scènes de crime free-lance qui souffre de la solitude et s’imagine entre autres gagner des millions pour une invention imaginaire grâce à un appel de Bill Gates (qui n’a jamais eu un fantasme similaire ?). 

Aiden (Josh Lawson), c’est son nom, veut pourtant croire à l’amour quand il flashe sur sa voisine (Emma Lung, vue dans Triangle). Il veut être son protecteur mais aussi un justicier urbain qui pourrait enfin gagner du respect l’arme à la main. Bref, Aiden est en mode « Travis Bickle », sauf que De Lauzirika va s’appliquer à lui refuser tout dérisoire moment de gloire, y compris lorsqu’il va s’attaquer à l’ex de sa dulcinée (Edward Furlong, toujours aussi stone), loin d’être le méchant voyou qu’il imagine. Aiden est un gars pathétique, qui bredouille en tentant un chantage à la photo compromettante, se fait tirer dessus par les prostituées qu’il secoure, et ignore toute règle de bon goût lorsqu’il parle avec sa nouvelle petite amie (le seul « bonheur » qu’il ne fait pas que rêver). Loin d’être un exemple dérivatif de « vigilante movie » façon À vif ou Savage, Crave est plutôt un drame psychologique assez vain, dans lequel on perçoit, sous la couche épaisse d’humour noir et de distanciation répétitive, l’égo croissant d’un réalisateur plus misanthrope que fin observateur.

Certes, Crave est riche visuellement, le mixage sonore est lui aussi particulièrement travaillé et le générique de fin figure parmi les plus racés qu’on ait vu récemment. Mais en collant aux basques d’un personnage aussi antipathique et de son entourage unidimensionnel, De Lauzirika oublie de donner une véritable raison d’être à son parcours, et préfère cligner de l’œil lourdement à Blade Runner sans trancher dans le vif de son sujet. Dommage.

Note BTW 


Crave

De Charles de Lauzirika / 2012 / USA / 113 minutes

Avec Josh Lawson, Emma Lung, Ron Perlman

Sortie prochainement

In their skin

La famille Hughes en mauvaise posture. Allez, on se met un DVD d’Haneke pour détendre l’atmosphère ?

Un autre premier film, cette fois en provenance du Canada, par un réalisateur issu du clip, Jeremy Power Regimbal (qui est par ailleurs co-fondateur du Lab Media Group, entité multimédia qui se lance ici dans la production de films). Regimbal s’attaque avec ce In their skin (ex-Replicas, titre qui sonnait « trop science-fiction », a-t-il raconté avant la projection) au genre surchargé du home invasion, un univers très codé car devant se soumettre à chaque fois avec les classiques séminaux que sont Les Chiens de Paille et Funny Games. Comme dans Kidnappés ou The Strangers (pour n’en citer que deux), une famille plutôt bourgeoise, dans laquelle on retrouve l’intense Selma Blair est donc à nouveau la cible d’envahisseurs sociopathes, qui ne sont pourtant pas venus pour les cambrioler ou les tuer par pur sadisme : ils veulent juste « prendre la place » pour goûter au luxe dont leur vie d’errance les a privés. La métaphore sur la crise financière et le retour insidieux d’une implacable lutte des classes est sibylline, mais ne suffit pas à élever In their skin au-dessus de la mêlée. Bien que Regimbal joue adroitement sur le format Cinémascope pour soigner ses compositions symétriques, qui enferment ces deux familles ennemies dans des effets de miroirs à répétition, rien ne distingue son film des précédents avatars du genre. Trop timide, trop attendu, trop plat en fin de compte pour générer plus qu’un malaise passager, In their skin n’a malgré son titre rien de viscéral, et s’oublie aussi vite qu’il est vu. 

Note BTW 


In their skin

De Jeremy Power Regimbal / 2012 / Canada / 96 minutes

Avec Selma Blair, James d’Arcy, Joshua Close

Sortie en 2013

Doomsday Book

Un robot ouvrier atteint l’illumination dans un temple bouddhiste. Est-ce la fin de l’humanité ?

Le film à sketches sud-coréen Doomsday Book s’est fait longtemps atteindre. Il aura fallu cinq ans, et la défection d’un des trois réalisateurs envisagés sur le projet, pour réunir les fonds nécessaires à la confection de ce film-omnibus piloté par Kim Jee-Woon (J’ai rencontré le diable et bientôt Le dernier rempart) et Yim Pil-Sung (Anctartic Journal et Hansel & Gretel). Le thème est d’actualité – on parle de fin du monde -, le choix du film à sketches, qui permet de l’aborder de plusieurs manières différentes, plutôt bien vu. Le résultat, malgré tout, est plus que bancal : le premier segment, signé Pil-Sung, est plutôt amusant dans sa tentative de rejouer en l’exagérant le schéma de Contagion (un virus de la vache folle contamine la viande coréenne et transforme tout le monde en zombies). L’humour branque et la bizarrerie assumée de la direction d’acteurs du réalisateur font parfois mouche, mais l’histoire est un peu foutraque et paresseuse pour convaincre totalement.

Pil-Sung revient à l’occasion du troisième et dernier segment, dont le postulat surréaliste veut qu’une commande malheureuse sur Internet débouche sur le crash imminent d’une boule de billard géante sur Terre. Oui, c’est étrange, et l’explication donnée à ce cataclysme est aussi tarabiscotée que l’idée de départ : entre comédie non-sensique (appuyée par l’inclusion d’émissions de télé vraiment hilarantes) et poésie pure, on ne sait pas trop sur quel pied danser au final.

Ce qui est toujours plus motivant que d’être totalement désintéressé de la chose, comme c’est rapidement le cas dans le court de Kim Jee-Woon, « Heavenly créature ». On savait le cinéaste esthète sophistiqué et touche-à-tout (il le confirme d’une certaine manière encore ici), il se révèle pour le coup volontiers philosophe. Il nous présente un robot ouvrier (sosie du « Sonny » de I, Robot) travaillant dans un monastère et qui atteint, par ses propres moyens, l’illumination, reléguant les humains de facto aux ténèbres. Conflit parmi ces derniers : faut-il le débrancher, refuser qu’une intelligence, fusse-t-elle artificielle, les dépasse au niveau spirituel ? À vrai dire, même si on se doute de la réponse, on s’en fout aussi un petit peu : le sketch se traîne d’un tunnel dialogué à l’autre, et parvenir à son terme – lacrymal, bien entendu – sans clore une paupière tient rapidement de l’exploit. Une réelle déception à l’image d’une anthologie brinquebalante, qui peine à justifier malgré sa longue préparation l’utilité de son existence.

Note BTW


Doomsday Book

De Kim Jee-Woon et Yim Pil-Sung / 2012 / Corée du Sud / 115 minutes

Avec Ryu Seung-Beom, Doona Bae, Jin Ji-Hee

Sortie en 2013