Vous n’y étiez peut-être pas, mais au dernier Hellfest, le festival de musiques extrêmes qui se déroule chaque année à Clisson, le public a pu découvrir un groupe qui a tout compris au glam rock. Ils s’appellent Steel Panther, ils sont quatre avec des coupes de cheveux impossibles (mais très travaillées) et ont repris à leur compte l’idée des Spinal Tap, ce groupe fictif finalement devenu réel qui avait servi de base au génial documenteur de Rob Reiner en 1984. Soit une synthèse absurde et excessive de toutes ces stars permanentées qui ont dynamité les années 80 en donnant une dimension pop et faussement rebelle au hard rock, de Motley Crüe à Def Leppard en passant par Poison et Twisted Sister. Steel Panther tourne en dérision leur look, leur mentalité d’obsédés sexuels et leur tendance à alimenter leur propre légende à coups d’anecdotes graveleuses, sans jamais oublier d’être aussi un vrai groupe de scène, avec des chansons blindées de refrains taillés pour les stades et de solos de folie à la six-cordes.

I wanna know what rock is

Brenda et Kevin… pardon, Sherrie et Drew (Drew ?) adorent le rock. Si, si.

Pourquoi cet aparté ? Tout simplement parce que Rock Forever n’a, pour sa part, pas compris grand-chose à l’époque et au genre musical dont il s’inspire, et dont il prétend reproduire l’énergie rassembleuse à coups de reprises de grands classiques. À la base, Rock of Ages (titre original, tiré de la chanson du même nom de Def Leppard) est une comédie musicale jouée à Broadway, et dont l’adaptation est dirigée par un récidiviste, Adam Shankman, le réalisateur de Hairspray. Le film comme la pièce surfent sur le revival du hard rock eighties, principalement dû à la série de jeux à succès des Guitar Hero et Rock Band, qui ont pioché en abondance dans ce répertoire facile d’accès et très ludique, et à la reformation de nombreux groupes cultes de l’époque. On s’aperçoit que derrière les froufrous et les spotlights fluos de la décennie 80, se cachent des tubes inusables, simples et positifs, parfaits pour constituer l’arrière-plan d’une comédie romantique chantée à tue-tête.

Première erreur du film, il choisit la carte de la facilité, en donnant la vedette, comme c’est souvent le cas à Broadway, à un couple aussi énervant que superficiel composé d’une jeune écervelée (elle est blonde, elle sourit tout le temps, elle chante pendant qu’elle se coiffe) et d’un minet crypto-gay qui s’habille en vestes sans manche et en pantalons moulants alors qu’on est en 1987. La vraie star de l’histoire, le « god of rock » Stacee Jaxx, est reléguée au second plan, alors que son côté décadent, over the top constitue l’essence même de l’univers glam rock. Shankman réussit un beau coup en castant l’inoxydable Tom Cruise dans ce rôle-clé : le charisme de la vedette, la curiosité de le voir se transformer en rock-star tatouée nous fait oublier qu’au final, il doit partager la vedette avec un duo d’endives tout droit sorti d’une émission de télé-crochet, et qu’il apparaît moins de trente minutes.

Knockin’ on Hollywood’s door

Le charismatique Stacee Jaxx (Tom Cruise) n’est que la guest star de son propre film. Not cool, man.

Autour d’eux gravitent des personnages forcements hauts en couleurs (on est dans une comédie musicale américaine, après tout, chacun est donc réduit à une fonction et un trait de caractère qui permettent de mettre dans leur bouche la ou les chansons adéquates), tantôt jouissifs, à l’image de l’improbable duo Russell Brand / Alec Baldwin et le manager joué par un Paul Giamatti en grande forme, tantôt complètement inutiles (les autres). Comme nous sommes à Hollywood, ce sont les acteurs eux-mêmes qui donnent de la voix lors des moments chantés, et c’est souvent là que les oreilles saignent. Entendre Diego Boneta massacrer I wanna rock avec son timbre de pucelle ou Julianne Hough reprendre (mal) du Scorpions, ce n’est pas exactement l’idée qu’on se fait d’un bon moment musical. Tout n’est pas à jeter, et Cruise notamment se montre surprenant de justesse quand il reprend (avec des choristes, faut pas abuser) le Poor some sugar on me des Leppard, mais il suffit d’entendre, au détour d’une scène, une chanson originale de Scorpions en fond sonore pour saisir l’abîme qui sépare un casting faisant de son mieux et une chanteur de rock entré dans l’histoire à la force de sa voix.

À deux heures de temps, Rock Forever tire par ailleurs beaucoup sur la corde, l’amoncellement de sous-intrigues impliquant le maire de Los Angeles ou une reconversion du bellâtre guitariste en rappeur à la Benny B, finissant par diluer prodigieusement l’intérêt qu’on porte à une histoire à l’intérêt aussi limité que le charisme de ses tourtereaux. Shankman aurait également quelques leçons à prendre en matière de montage et de cadrage auprès d’un John Landis ou d’un Minelli, quand on voit à quel point les chorégraphies et les moments musicaux, sont ruinés par des cuts frénétiques ou des danseurs à moitié hors-champ. Dur d’entendre des morceaux de rock avec des clips façon r’n’b : c’est à croire qu’il est impossible de laisser s’exprimer un artiste, quel qu’il soit, plus de cinq secondes à l’écran sans balancer un plan de coupe stroboscopique. Pire, le film oublie finalement d’être véritablement rock’n’roll en appliquant des recettes caricaturales et mainstream : la bête de sexe et de charisme sulfureux qu’est Stacee Jaxx se case et devient papa, l’opposante bourgeoise jouée par Catherine Zeta-Jones retourne tellement sa veste qu’elle finit par s’habiller comme Catwoman  (merci pour la subtilité), et les deux courges chantent leur amour en faisant du air guitar comme dans un épisode de Glee. Alors que Paradise City (repris par Cruise) retentit dans le générique, on reste consterné par le spectacle proposé : c’est ça, le rock selon Hollywood ? Une dose de décadence teintée d’auto-dérision pour dix tonnes de guimauve et de consensualité ? Man… I’m not gonna take it.


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]
Unsurcinq
Rock Forever (Rock of Ages)
D’Adam Shankman
2012 / USA / 120 minutes
Avec Julianne Hough, Diego Boneta, Tom Cruise
Sortie le 11 juillet 2012
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