Largement invisible dans nos salles, la production cinématographique russe est pourtant loin d’être en perdition. Certes, l’époque où Sergei Eisenstein révolutionnait pratiquement à lui seul les techniques de mise en scène et où Tarkovski traumatisait des générations de cinéphiles paraît loin. La patrie de Poutine ne s’illustre guère au niveau mondial ailleurs que dans les grands festivals, où sont primés les films d’un Andrei Zviaguintsev (Leviathan), entre autres exemples. Et excepté quelques discrètes sorties récentes, comme Le Disciple ou The Major, ça n’est pas souvent qu’on peut entendre la langue de Dostoïevski dans un multiplexe.

Face à cet état de fait, c’est comme souvent vers le marché de la vidéo qu’il faut se tourner pour découvrir le versant beaucoup moins auteuriste du cinéma russe. Depuis bientôt une quinzaine d’années, alléchés par le succès de titres précurseurs comme Night Watch ou Le 9e Escadron, les producteurs locaux ont décidé de mettre de gros moyens au service de films populaires événementiels. Des blockbusters, donc, parfois maladroitement calqués sur leurs camarades américains, mais revendiquant toujours leur identité culturelle, et suivant surtout leurs propres codes narratifs. De L’éclair noir à Stalingrad, en passant par L’Affrontement, Dark Fantasy, Subwave, La légende de Viy, Titanium, Battlestar Rebellion, ou l’inénarrable Code Apocalypse avec Vincent Pérez, vous avez peut-être déjà croisé dans vos linéaires et rayons VOD, sans le savoir, ces productions pensées pour l’international.

Culturellement, et pour un gouvernement comme celui de la Russie, le cinéma est une arme comme une autre. Et la sélection de films ci-dessous, qui investit tous les grands sous-genres du film à grand spectacle, prouve que le pays, comme son voisin chinois, cherche bien à concurrencer l’ogre hollywoodien dans ses propres salles. Si la qualité est au rendez-vous, c’est encore plus alléchant… même s’il faudra être patient et attentif pour pouvoir un jour découvrir dans de bonnes conditions ces grosses machines made in Russia !


Guardians : les Avengers passent à l’Est

Parmi les productions russes qui ont récemment créé le buzz, on trouve en première ligne Guardians, connu aussi sous son petit nom original, Zaschitniki. Guardians, c’est la réponse, claire et colorée, de la Russie aux films de superhéros yankee. Car oui, du côté de Moscou aussi, on aime bien les films de Marvel. Alors, quoi de plus logique de voir débarquer, après de nombreux teasers, cette histoire d’individus créés génétiquement pendant la Guerre Froide pour protéger leur Mère Patrie, et réactivés au moment où le pays doit affronter un péril imminent ? Il y aura certainement un petit côté « nostalgie de l’URSS » dans cette production spectaculaire, où les personnages sont issus des quatre coins de l’ex-Union Soviétique, et allient leurs forces et leurs pouvoirs pour le bien commun.

Enfin, ce qui a surtout rendu les internautes complètements fous de Guardians, c’est que parmi les héros en question se trouve une armoire en glace pouvant se transformer en ours, tout en manipulant avec dextérité une Gatling dévastatrice ! Sorti en Russie à Noël, le film, réalisé par Sarik Andreasyan (American Heist, avec Adrien Brody), devrait connaître une large exploitation, notamment en France, où une sortie vidéo est déjà annoncée.

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Viking : à la conquête du trône

Russie : l'autre patrie du blockbuster ?

Présenté en toute simplicité comme l’équivalent slave de Game of Thrones, Viking, à ne pas confondre avec la série télé du même nom (qui prend un « s »), est un gros morceau commercialement pour l’industrie cinématographique russe. Lancé sur les écrans en grande pompe en décembre dernier, cette épopée nous renvoie au Xe siècle, sur les traces du futur roi Vladimir, pour une histoire de trahisons, de conquêtes et de rivalités familiales à cheval entre plusieurs continents. Basé sur la plus ancienne chronique écrite de la culture slave, Viking est un projet si coûteux et gourmand en costumes et reconstitutions grandeur nature, que les producteurs ont prévu de décliner le film en série TV, et ont ouvert un parc d’attractions exploitant leurs décors !

Réalisé par Andrei Kravchuk (L’Amiral), et produits par les responsables de la saga Night Watch (haïssez-les si vous voulez !), Viking s’annonce quoiqu’il arrive comme un film visuellement ébouriffant, si l’on en croit les différences bande-annonces révélées jusque-là. Les paysages naturels de Crimée sont époustouflants, la mise en scène paie régulièrement son dû à Conan le barbare, et la violence est sans compromis (en tout cas dans la version non « grand public » du film). On attend ça de pied ferme, à défaut de se payer un billet pour le parc !

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The Duelist : règlement de compte chez les Tsars

Il n’y a pas que Christopher Nolan qui aime tourner ses films en Imax. En Russie, le format extra-large a déjà fait le bonheur de quelques adeptes, comme Fiodor Bondarchuk (voir plus bas), ou plus récemment Alexei Mizgirev. C’est à ce cinéaste, plutôt connu pour ses drames intimistes, que les producteurs de Leviathan ont confié la tâche de réaliser The Duelist, film en costumes estampillé Imax, donc, et qui nous plonge avec faste dans la Russie impériale du XIXe siècle, du côté de Saint-Pétersbourg. C’est là que sévit Yakovlev (Pyotr Fyodorov, vu dans Darkest Hour 3D), un ancien militaire reconverti en duelliste professionnel : en d’autres termes, un tireur d’élite qui élimine sur commande les rivaux de ses clients en respectant les codes d’honneur en vigueur. Un vrai petit Barry Lyndon opportuniste, donc, qui perd toutefois ses moyens en rencontrant l’amour et son ennemi de toujours, joué par la star locale Vladimir Mashkov (Mission Impossible : Protocole Fantôme).

Variation romanesque et feuilletonnante sur le thème des Duellistes de Ridley Scott, ce Duelist-là, présenté en septembre dernier au festival de Toronto, compte donc nous emmener dans une période tumultueuse, où les machinations et les doubles jeux sont aussi complexes que les duels à la mort expéditifs. La bande-annonce révèle une abondance de décors somptueux et de panoramiques évocateurs, que l’on adorerait voir se déployer sur grand écran. Hélas, ce n’est pas encore pour demain…

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Attraction : Russia vs Aliens

Vous ne connaissez sûrement pas son nom, mais imaginez-vous qu’en Russie, Fiodor Bondarchuk, c’est à la fois l’équivalent de Roland Emmerich et Michael Bay. Fils du célèbre Sergei Bondarchuk, cinéaste soviétique à qui l’on devait le monumental Guerre et Paix, Fiodor s’est d’abord fait la main comme acteur et producteur, avant de s’attaquer à des productions plus ou moins patriotiques, comme Le 9e Escadron et le boursouflé Stalingrad, son Pearl Harbor à lui. Revenant présentement à un genre, la science-fiction, qu’il avait déjà abordé avec Battlestar Rebellion, Bondarchuk s’est assuré les services de techniciens expérimentés de Hollywood, pour les SFX et le sound design, pour concocter cet Attraction ressemblant à un Independance Day délocalisé à l’Est.

Comme le montre le spectaculaire trailer (les effets spéciaux numériques sont dus à MainRoadPost, pratiquement dans tous les bons coups en Russie depuis Wanted), il s’agit d’un film d’invasion alien, avec un énorme astronef circulaire qui se crashe en plein Moscou, et déclenche la peur, puis l’envie de revanche d’habitants pas décidés à laisser leur planète se faire envahir sans réagir. Oui, il y a sans doute un petit discours nationaliste là-dessous, mais si c’est pour taper sur la tête de méchants extraterrestres, ça passe mieux, non ? Le film sort dans son pays natal ce mois-ci, et au vu de la réputation générée par ses images, il ne serait pas surprenant de voir cet Attraction… attirer quelques distributeurs malins.

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Icebreaker : le survival qui vient du grand froid

Russie : l'autre patrie du blockbuster ?

Rendez-vous pour finir au sud, toooout au sud. Au Pôle Sud, pour être clair, puisque c’est là que se déroulent, en 1985, les événements bien réels d’Icebreaker, nouveau film catastrophe des producteurs de l’excellent Subwave. Dans ce survival aux températures glaciaires, le brise-glace « Mikhail Gromov » rencontre un beau matin un obstacle du genre titanesque : un gigantesque iceberg, qui détourne le bateau de son itinéraire pour l’envoyer dans une mer gelée et impraticable. Coincé sur place, l’équipage doit redoubler d’imagination pour trouver une sortie rapidement, sous peine de périr congelé au beau milieu de ce désert de glace.

L’histoire est classique, et ferait entre les mains de quelques faiseurs hollywoodiens le bonheur des studios américains. Mais Icebreaker tient la dragée haute à ses rivaux à en juger par l’imposante bande-annonce ci-dessous : montagnes de glaces, mer déchaînée, avaries en tout genre et casting viril à bout de souffle, cette aventure-là pourrait être une vraie réussite, si jamais elle dépasse ses frontières d’origine – pour info, le film est sorti en Russie depuis l’été dernier.

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