C’est peu dire que le retour aux affaires de Michael Mann, l’un des esthètes les plus intransigeants du cinéma américain actuel s’est fait attendre. Le réalisateur de Heat a été maintes fois copié par ses contemporains, sur tous les formats, souvent sans comprendre le but de ses principes de mise en scène. Mann n’est pas qu’un adepte des filtres bleus et des caméras ultra-HD : ce que véhiculent son style, ses cadrages, ses montages brillants, c’est une recherche perpétuelle de connexion émotionnelle, entre ses personnages et le public. Le paradoxe fascinant qui parcourt sa carrière, c’est que ses longs-métrages, en particulier durant la dernière décennie, se font de plus en plus réalistes alors qu’ils témoignent d’une abrasion visuelle de moins en moins facile à appréhender pour les spectateurs bernés par les packages luxueux entourant chacun de ses projets.

Ainsi, comme Miami Vice et Public Enemies, Hacker est une tête de gondole générant des attentes massives de la part des producteurs : budget de 70 millions de dollars, star tout juste éclose grâce à des blockbusters made in Marvel, et emballage de techno-thriller à échelle mondiale, qui pourrait faire passer le tout pour un spin-off sérieux de Mission : Impossible. C’est ce qu’on attend de Mann, et c’est ce qu’il livre à l’écran, sans pour autant renier ne serait-ce qu’une seconde les composantes de son cinéma, reconnaissable entre mille depuis les premières minutes du Solitaire.

Un monde de pirates et d’outsiders

Hacker : le Mann dans la machine

Un temps appelé Cyber, Hacker reprend en main avec une tout autre ambition le genre sinistré du thriller informatique, le type de film où toute notion de réalisme disparaît au bout de quelques dialogues et plans d’ordinateur, et où les comédiens luttent pour ne pas paraître idiot devant l’écran de PC avec lequel ils doivent interagir. De Hackers à Opération Espadon en passant par Traque sur Internet, Hollywood s’est échiné à démontrer qu’il était pratiquement impossible de rendre intéressant, sinon réaliste, un film sur ce thème, quelle que soit la tête de l’acteur à qui était confié le clavier.

Mann, qui n’aime rien tant que développer une connaissance encyclopédique des sujets auxquels il s’attaque, a manifestement fait ses devoirs pour d’une part apporter sa touche au scénario du débutant Morgan Davis Foehl, et représenter d’autre part de manière réaliste le monde ô combien évanescent des pirates informatiques. Il faut par exemple accepter le fait que Nicholas Hataway, ex-petit génie du MIT devenu hacker hors-la-loi emprisonné pour 15 ans, appelé à la rescousse par le FBI et la Chine pour retrouver un de ses « confrères » ayant fait sauter une centrale, soit interprété par le massif et taciturne Chris Hemsworth, entre deux épisodes de Thor. Il est aussi difficile d’imaginer le colosse australien en expert de codages ésotériques que Christian Clavier en braqueur de banque sans pitié. Mann l’a pourtant casté justement pour cette raison, en arguant du fait que les vrais pirates informatiques d’élite sont souvent des personnes athlétiques, adeptes du self-defense et dotés d’un physique aussi développé que leur QI. Une jolie théorie que le film détruit un peu en révélant le visage du grand antagoniste de l’histoire, mais passons… L’acteur interprète, comme toujours chez le réalisateur, un personnage d’outsider épris de liberté – il faut voir son vertige lorsqu’il se retrouve après six ans de prison sur un tarmac d’aéroport, face à un horizon de possibilités -, peu porté sur les épanchements émotionnels et les traits d’humour. Hataway est malgré son apparence de beau gosse aux pectoraux d’airain un individu déterminé, défini uniquement à travers le prisme de ses actions. C’est aussi le seul personnage un tant soit peu défini dans un univers dont les ressorts technologiques sont aussi impénétrables que ses codes narratifs sont poussiéreux.

La patte d’un maître

Hacker : le Mann dans la machine

Sur grand écran, le doute n’est pas permis : Hacker est une splendeur, depuis ses plongées scénarisées dans les entrailles électroniques d’un serveur de centrale nucléaire, au survol nocturne ébouriffant de la mégapole hong-kongaise, cœur battant d’une intrigue bondissant de Los Angeles à la Chine, et de la Thaïlande à Jakarta. Recyclant dans un format 100 % numérique ses courtes focales placées au plus près des visages, sa fiévreuse caméra portée et son insurpassable sens de la mise en lumière des paysages urbains, Mann signe un spectacle visuel de haute volée, culminant lors de trois morceaux de bravoure mélangeant à la volée compositions géométriques, abondances de couleurs signifiantes et sursauts de violence implacables.

[quote_center] »Sur grand écran, le doute n’est pas permis : Hacker est une splendeur. »[/quote_center]

Ne laissant aucune place au second degré ou aux clins d’œil complices, Hacker adopte de la première à la dernière image un ton adulte à contre-courant des modes actuelles (ce qui explique en partie son échec massif au box-office américain), qui rend le film d’autant plus précieux. Ce qui est problématique, c’est l’absence totale d’originalité du script, farci de facilités et d’incohérences, certaines uniquement repérables par les pros de l’informatique, comme les adresses IP farfelues, d’autres assez visibles pour énerver même les fans les plus conciliants de Steven Seagal (l’agent du FBI chargé de surveiller Hataway à sa sortie de prison est une sacrée patate). Hataway a beau être un héros mannien par excellence, il est isolé au milieu d’une galerie de personnages à la raideur ennuyeuse, et doit composer avec une romance arbitraire qui reprend certes des éléments de Miami Vice, mais s’avère tout sauf naturelle et crédible. Les méchants de l’histoire, dont les motivations sont effrayantes parce qu’elles sont terre-à-terre, se contentent eux d’être patibulaires, et cela suffit à les rendre marquants. Mais avaient-ils leur place dans ce qui était annoncé comme une exploration poussée et suffocante du monde des hackers internationaux, pirates sans patrie dont les talents peuvent libérer ou détruire des nations ? Hacker n’a rien d’un plaidoyer en leur défense, et égrène au contraire les lieux communs du film d’espionnage sans penser véritablement à se démarquer de la masse dans le procédé.

Le seul facteur perturbateur, le bug qui fait de Hacker un film autrement plus impressionnant et atypique que la majeure partie de ses congénères, c’est Michael Mann. Toujours dix coudées au-dessus de la mêlée, mais semble-t-il confiné dans une trop rassurante routine hollywoodienne pour délivrer un nouvel Ali, ou le nouveau Heat.

Voir aussi : la bio de Michael Mann


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Troisurcinq
Hacker (Blackhat
De Michael Mann
2015 / USA / 133 minutes
Avec Chris Hemsworth, Viola Davis, Tang Wei
Sortie le 18 mars 2015
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