L’intérêt que porte Martin Scorsese au roman Silence de Shusaku Endo remonte plus ou moins au moment où le réalisateur italo-américain sortait de la tourmente de son film « scandale », La dernière tentation du Christ. Ça n’est un secret pour personne, le cinéma de Scorsese est placé depuis les origines sous le sceau de la foi, de son absence, de sa persistance, des excès auxquels elle nous conduit. Catholique, le cinéaste a fait de cette question un pilier philosophique qui pouvait être transporté au-delà des frontières et des religions. Dans les années 90, il livra par exemple un surprenant Kundun, mais il ne perdit pour autant jamais de vue le projet d’adapter Silence à l’écran – une première version cinéma, venue logiquement du Japon, était sortie en 1971, et réalisée par Masahiro Shinoda.

Sur le chemin (douloureux) de la foi

trailsilence_1Pendant des années, Silence a été le « prochain film » de Scorsese, celui qu’il repoussait sans cesse jusqu’à se mettre des ayant-droits à dos. Pendant un temps, le projet devait réunir Daniel Day-Lewis, Gael Garcia Bernal et Benicio del Toro. S’il s’était fait avant Le loup de Wall Street, le film aurait une affiche bien différente. Le chemin personnel qui a amené l’auteur de Raging Bull vers ce film ambitieux, différent, imposant est au centre d’un excellent article (en anglais) du New York Times, justement titré « La Passion de Martin Scorsese« .

La période historique abordée dans Silence n’est pas forcément des plus évidentes à traiter. Peu de longs-métrages se sont penchés sur l’expansion avortée du Christianisme au cœur du Japon, au XVIe et au XVIIe siècle. Un missionnaire jésuite du nom de François Xavier débarqua sur l’archipel en 1549, et professa si bien la bonne parole que quelques décennies plus tard, le pays comptait près d’un million de convertis. Avec le début de l’ère Edo, vers 1615, le Japon moyenâgeux se referma sur lui-même et le catholicisme fut tout simplement interdit, et réprimé dans le sang. C’est dans ce contexte que se déroule l’histoire de Silence, ici adapté par le scénariste et vieil ami de Scorsese, Jay Cocks (Gangs of New York). Deux prêtres portugais, joués par Andrew Garfield et Adam Driver, se rendent au Japon pour retrouver la trace de leur mentor, le père Ferreira (Liam Neeson qui remplace Day-Lewis – qui l’avait lui-même remplacé sur Lincoln), porté disparu. Leurs efforts pour convertir les habitants croisés sur leur périple dans la jungle japonaise sont bientôt entravés par le shogunat, qui va mettre leur foi à rude épreuve.

Une aventure dantesque

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Tourné l’an passé sur une période de huit mois à Taïwan, en 35 mm, Silence, comme pour mieux coller à la rigueur de son titre, a été entouré pendant des mois du plus grand mystère. Avec son casting américano-japonais très investi (la star asiatique Tadanobu Asano et le réalisateur/acteur Shinya Tsukamoto figurent notamment au générique), son tournage périlleux et le côté mystique, qui tient presque du pèlerinage artistique, entourant le projet, Silence a été au centre de nombreux fantasmes cinéphiles. Après des rumeurs faisant état d’un montage final de 3h30, le film a finalement été ramené à une durée plus « satisfaisante » de 2h39, et sa sortie américaine fixée à début janvier, pile à temps pour figurer dans la course aux Oscars. Malgré les infos et les photos, il manquait tout de même quelque chose pour nous faire patienter (en France, le film ne sortira que le 8 février 2017) : une bande-annonce.

[quote_left] »On peut s’attendre à une véritable épiphanie cinématographique. »[/quote_left] Tardive, mais marquante, celle-ci s’avère fidèle aux espoirs fous placés dans le film depuis les premières annonces de production, il y a plus de 20 ans. Porté par une urgence contagieuse et un montage martelant des images époustouflantes et inquiétantes (des crucifiés en pleine mer, Garfield au seuil de la folie, un Liam Neeson hagard), le trailer permet d’entrevoir le magnifique travail du vétéran Dante Ferretti sur le production design, des acteurs en transe – Garfield, après Tu ne tueras point, semble mûr pour marquer durablement nos rétines – et une partie des interrogations sur la foi qui traversent le récit. Scorsese lui-même n’est pas loin d’être un missionnaire dans son domaine, le 7e art, dont il perpétue la mémoire et vante les valeurs à travers le monde. Il est clair que ce Silence lui tient assez à cœur pour qu’il ait refusé de faire des compromis – le roman d’origine est paraît-il très dur, et rempli de moments cruels. Il correspond si viscéralement à son tempérament tourmenté, qu’on est en droit de s’attendre, pour filer la métaphore, a une véritable épiphanie cinématographique.

Bande-annonce VOST