Si l’on devait appliquer au sous-genre de la comédie d’espionnage un ratio réussites/échecs, il serait difficile d’atteindre ne serait-ce que 25 % de bonnes surprises. Aussi facile qu’il soit de détourner pour le rire les codes et les clichés de James Bond et ses amis, réussir une parodie qui tienne debout sans sacrifier l’un ou l’autre de ses éléments (précision et efficacité des gags ; scènes d’action décentes, du suspense solide pour éviter l’impression de bout à bout de sketches) n’est pas si aisé. Il suffit de se souvenir, avec douleur, de purges comme Espion et demi avec Eddie Murphy ou de Kiss & Kill avec Ashton Kutcher, pour s’en convaincre. De plus, cette année 2015, exceptionnellement chargée en agents secrets, a déjà permis de découvrir un exemple positif venu de Grande-Bretagne, le décoiffant Kingsman.

Malgré l’affection que l’on peut avoir pour le tandem Melissa McCarthy / Paul Feig, à l’origine de hits aussi certifiés que Mes meilleures amies et Les Flingueuses, le projet Spy, avec ses posters paresseux sortis des années 90 et son pitch transparent, sentait un peu l’opportunisme rance. La surprise n’en est que plus grande ! Sans être aussi incontournable ou sophistiqué que le film de Matthew Vaughn, Spy n’a pas à rougir sa nature de divertissement mal élevé. Surtout, le script du cinéaste a l’intelligence de ne pas faire de son improbable espionne en surpoids une gaffeuse idiote, mais une véritable professionnelle qui n’avait jamais pu faire ses preuves sur le terrain à cause des préjugés masculins. Une différence de taille, qui rend le personnage de Melissa McCarthy encore plus attachant, à l’image du film lui-même.

Un casting à contre-emploi

Spy : une espionne en pleine forme(s)

Le féminisme n’est pourtant pas la cause qui fait vibrer le cœur de Susan Cooper, analyste de la CIA qui sert de « petite voix dans l’oreillette » à l’avatar de 007 qu’est Bradley Fine (Jude Law). Agent entrainé confiné dans des locaux secrets et souterrains envahis par les chauves-souris (sic), Cooper, la quarantaine approchant, a presque déjà tiré un trait sur son évolution de carrière, amoureuse qu’elle est de son fringant coéquipier, qui, au vu de son physique, ne voit en elle qu’une célibataire solitaire vivant avec ses chats (« Des chats ? Mais je n’ai aucun chat ! », répond-t-elle alors avec une grimace). Malheureusement lorsque Fine est assassiné par une trafiquante d’armes bourgeoise nommée Rayna Boyanov (Rose Byrne), Susan voit une occasion de faire ses preuves sur le terrain. Au grand dam notamment de l’agent secret Richard Ford (Jason Statham !), elle part en Europe sur les traces de Boyanov et d’une tête nucléaire prête à être vendue au plus offrant…

[quote_left] »Une véritable professionnelle qui n’avait jamais pu faire ses preuves sur le terrain à cause des préjugés masculins. »[/quote_left]

Soyons honnêtes, même si l’intrigue de Spy servait de base à un épisode des plus sérieux de la saga bondienne, nous y aurions porté aussi peu d’attention. Passé un générique kitsch parodiant, un peu après tout le monde, ceux des films inspirés de Ian Fleming, Spy déroule un scénario prétexte où agents doubles, missions aux quatre coins d’un monde exotique, et infiltration dans des casinos luxueux, semblent être autant de passages obligés. Un terrain de jeu, en quelque sorte, pour y faire éclore l’excentricité des personnages de Feig, tous incarnés par un casting jouissif parce que pratiquement utilisé intégralement à contre-emploi. L’idée de faire de Law un Bond américain s’imposait d’elle-même, mais l’acteur détourne ce cliché glamour avec une patine de condescendance machiste irrésistible. Statham, lui, s’amuse comme on le voit rarement à ridiculiser son habituel personnage de dur à cuire, à coups de costumes bizarres, de monologues surréalistes et de démonstrations répétées d’idiotie. L’anglais Peter Serafinowicz (Les gardiens de la galaxie) serait lui la version DSK d’un agent double zéro, obsédé par la chose en toutes circonstances. Tandis que Rose Byrne, la toujours brillante Allison Janney (À la Maison Blanche) et la comédienne de sitcom britannique Miranda Hart, parfaits clowns blancs, servent de contrepoint comique à l’auguste McCarthy, dont l’énergie est la véritable arme fatale de Spy.

La tornade McCarthy

Spy : une espionne en pleine forme(s)

Il faut souligner ici le traitement assez remarquable du personnage de Susan Cooper, dont l’apparence peu svelte est au centre d’innombrables gags, sans que jamais cela n’apparaisse comme grossier, dégradant ou mal placé. Les gadgets de Susan Cooper soient cachés sous une apparence tout sauf sexy (flacons de laxatifs, couches anti-hémorroïdes), ses impressionnantes robes de soirée sont systématiquement raillées par son ennemie Rayna, ses faux papiers d’identité sont autant d’occasions de souligner par l’ajout de perruques affreuses son statut de vieille fille en puissance… Et pourtant, ça marche, parce que Melissa McCarthy retourne au centuple dans le feu de l’action ces clichés comme des crêpes. L’une des sources de rire les plus efficientes de Spy réside en effet dans la révélation que les capacités de tireuse et de combattante de Susan sont tout à fait au niveau de ses collègues machos.

Et le film, pas avare en bastons bien troussées et fusillades étonnamment sanglantes (très clairement, le film est classé R, et ça sent aussi au niveau du nombre d’injures fleuries !), fait du bon boulot en se chargeant de la transformer au besoin en Samo Hung au féminin : une héroïne qui ferait mentir les apparences de manière autoritaire, et définitive ! Rien que pour cela, et malgré une nette baisse de régime en fin de parcours – le film ne sait apparemment pas trop comment emballer toute cette affaire de manière satisfaisante  -, Spy est éminemment recommandable, en tant que comédie d’espionnage. De quoi relever le niveau de notre fameux ratio !


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]
Trois sur cinq
Spy
De Paul Feig
2015 / USA / 115 minutes
Avec Melissa McCarthy, Rose Byrne, Jason Statham
Sortie le 17 juin 2015
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