Dans la lignée de Batman v Superman, qui décrivait la possible réaction de méfiance du commun des mortels (et d’un justicier millionnaire) face à l’arrivée de créatures aux pouvoirs surnaturels, Suicide Squad justifie son existence par les machinations d’un gouvernement américain craignant l’arrivée de nouveaux « méta-humains », que Superman ne pourrait plus arrêter. Eh oui, comme c’était attendu, le blockbuster longtemps monté en épingle de David Ayer s’inscrit pleinement (et par pleinement, ou plutôt « très maladroitement ») dans l’univers étendu que tente de mettre en place le duo Warner / DC Comics depuis maintenant deux films. La froide et calculatrice Amanda Waller (Viola Davis, de la série How to get away with murder), éminence grise de la CIA, a un plan pour contrer les futurs Zod ou Doomsday qui pourraient venir détruire encore une autre ville : contraindre les méchants enfermés par Batman et consorts à s’unir pour des missions suicide et bien sûr totalement officieuses.
SOS Warner
Cette bande de bad guys, vous la connaissez sans doute déjà par cœur : le marketing autour de Suicide Squad, qui a débuté en douceur l’an dernier avant de véritablement devenir infernal ces derniers mois, a imprimé plus vite que le film dans l’esprit collectif l’apparence et le rôle de ces super-méchants nécessairement hauts en couleur. La plus marquante d’entre eux, et cela était visible dès les trailers, est Harley Quinn (Margot Robbie, qui n’a rien perdu de son capital « sex-symbol » gagné sur Le loup de Wall Street), bipolaire acrobate et néo-punk – et accessoirement petite amie du Joker -, qui n’est pas que l’atout sexy de la bande. Le leader naturel est Deadshot (Will Smith), tueur à gages qui ne rate jamais sa cible. À eux deux, ces protagonistes occupent une bonne partie de l’espace, si bien qu’on se demandera pendant encore longtemps si le Capitaine Boomerang (Jai Courtney, qui tente vainement d’exister), Killer Croc (Adewale Akinnuoye-Agbaje), Katana (Karen Fukuhara) ou Slipknot (Adam Beach) nous auraient manqué s’ils avaient été évincés de l’équation. Seuls le pyrokinésiste El Diablo (Jay Hernandez), l’Enchanteresse (Cara Delevingne), et le militaire Rick Flag (Joel Kinnaman), chargé de chaperonner ces ex-détenus à l’aide d’un implant explosif à la New York 1997, ont aussi le droit d’exister, mais leur background est loin de suffire à les rendre inoubliables.
[quote_center] »Les fesses coincées entre deux chaises branlantes, Suicide Squad voudrait être à la fois cool et incorrect, classique et transgressif. Mission impossible. »[/quote_center]
Et c’est un peu le souci général de ce Suicide Squad d’ores et déjà qualifié de « ratage industriel » des deux côtés de l’Atlantique. Malgré l’immense sympathie que l’on peut avoir pour ce casting hétéroclite, et les déclarations enflammées du réalisateur de Fury sur l’extraordinaire opportunité qu’a représenté ce projet budgété à 175 millions de dollars, il est clair que la production du film a été, disons-le de manière polie, « troublée », comme l’a révélé le Hollywood Reporter. Après avoir coupé en dépit du bon sens un Batman v Superman devenu incohérent dans sa version salles, les exécutifs de la Warner ont à nouveau pris peur en découvrant le premier montage d’Ayer, qui avait en tête une version super-héroïque des Douze Salopards, et qui ne correspondait pas selon eux à l’ambiance fun et pop (sur)vendue par les bandes-annonces. D’où un remontage précipité caviardé de scènes additionnelles, qui explique cette impression de découvrir un divertissement recousu de partout, réussi par endroits, consternant à (beaucoup) d’autres.
Méchants au conditionnel
La cohérence artistique, Suicide Squad la jette par la fenêtre dès la première demi-heure : composé de mini-montages frénétiques présentant comme au lancement d’un jeu vidéo les personnages un par un, le prologue survole tout, n’approfondit rien. Les caméos pleuvent (Batman, Flash, et, donc le Joker, incarné façon « gangsta lover » par un Jared Leto qui en fait beaucoup trop), les coloriages et lettrages fluo repris des atroces affiches, envahissent le cadre, des tubes rock posés un peu au hasard pullulent à chaque scène, les interdits du classement PG-13 se font sentir, et le second degré, si essentiel selon Warner, tente timidement de s’imposer dans un cadre qui ne le justifiait pas. Marvel et ses Gardiens de la Galaxie, mais aussi Deadpool, ont rendu le studio jaloux et envieux, et Suicide Squad ne gagne rien à tenter d’en dupliquer le succès : le film ne ressemble ni à sa note d’intention de départ, ni à ce que le marketing essaie de vendre. Il garde ses fesses coincées entre deux chaises branlantes, voudrait être à la fois cool et incorrect, classique et transgressif. La mission est impossible à réussir.
Bien sûr, la douce folie de Harley Quinn, aussi surjouée soit-elle, apporte du charme à l’ensemble, tout comme son amour fou et déraisonné pour le Joker (une composante rappelons-le essentielle du personnage). Will Smith cannibalise lui à outrance l’espace et le scénario en s’inventant un passif de gentil papa contrastant bizarrement avec son activité de tueur sans pitié, mais dégage un charisme sans effort qui relègue vite ses partenaires dans l’ombre. Mais ces deux personnages, tout comme le reste du Squad, sont loin d’êtres de véritables méchants : Ayer ne cesse de leur trouver des circonstances atténuantes, et les transforme mais en anti-héros unis en quelques heures seulement face à l’adversité. À la rigueur, Amanda Waller pourrait presque leur donner des leçons de sociopathie, tant elle semble être la seule à n’avoir aucune pitié. Et ne parlons des véritables vilains de l’histoire, un couple d’entités maléfiques et génériques (leur « minions » sont littéralement, et c’est un signe clair du manque d’imagination des créateurs, de la chair à canon ressemblant à des flaques de goudron sur pattes) qui fait ressembler le dernier acte de Suicide Squad à une resucée hideuse de SOS Fantômes.
L’escouade fantôme
Même s’il faut relativiser les critiques taxant le film d’incompréhensible (tous les éléments pour comprendre les enjeux et les virages étranges du scénario sont à l’écran, seulement ils sont agencés n’importe comment) et reconnaître que le tout se suit à un bon rythme, Suicide Squad est donc un produit chaotique, mais pas dans le sens positif auquel Ayer aurait pensé. Quelque part, il existe peut-être une version qui lui est plus personnelle. Un film classé « R », qui exploiterait plus l’ambiance guerrière que l’on entraperçoit dans certaines scènes d’action – quand le montage ultra cut permet de distinguer quelque chose, en tout cas. Un film où l’on éviterait les blagues sur le coaching, les licornes, ou les petites filles en manque de câlins pour se concentrer sur ce que promet le titre : une équipe bigarrée de laissés-pour-compte, rétive à toute autorité et envoyée de force vers une mort certaine. Le genre de mission qui ne faisait pas rire, ou alors très noir, Snake Plissken ou le major John Reisman. Des références au cœur du pitch initial de David Ayer, mais qui ont dû passer loin au-dessus de la tête des décideurs de la Warner, obnubilés par les chiffres, les projections tests et les sondages viraux, au point de remodeler en catastrophe leur tête de gondole estivale. Le plus triste dans tout ça, c’est que les chiffres du box-office leur donneront peut-être raison.
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Suicide Squad
De David Ayer
2016 / USA / 123 minutes
Avec Will Smith, Margot Robbie, Joel Kinnaman
Sortie le 3 août 2016
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