Plus qu’aucun autre, Spielberg a été une source d’inspiration pour des générations de spectateurs qu’ils soient cinéphiles ou non. L’appellation de génie (outre qu’elle complimente son talent pur de metteur en scène) se justifie par ce simple constat : l’univers, les références, l’imagerie et les codes qui sont les obsessions de Spielberg se sont révélées universelles, et plus incroyable encore, intemporelles – ce qui est loin d’être le cas de, disons, Luc Besson. Pas étonnant que trente ans après, l’influence de classiques aussi immaculés que Rencontres du troisième type, E.T. et Indiana Jones perdure : l’aventure, l’émerveillement, l’innocence et l’émotion sont les carburants de ce réalisateur qui, même en ces temps de cynisme compulsif, ramène le cinéma à sa condition d’art total (il n’y a qu’à voir les images de Tintin et Cheval de guerre pour s’en convaincre).

Abrams n’a jamais caché son admiration sans bornes pour Spielberg, comme cinéaste certes, mais aussi comme producteur : tel le co-créateur de Dreamworks, il pose sa « marque geek » sur des projets télévisuels, comme Fringe ou Alcatraz, dont il imagine le concept pour en superviser de loin la conception. Il n’a jamais caché aussi l’origine de Super 8 : deux idées, deux concepts même (une bande de pré-ados réalise un film de zombies dans une bourgade d’Ohio ; un train militaire transportant une créature extraterrestre déraille en pleine campagne) qu’il n’arrivait pas à faire décoller séparément. Le film est donc clair dans ses intentions : le « parrainage » de tonton Spielby via la mythique Amblin a placé Super 8 dans une optique revendiquée de revival pur et dur, avec des enfants débrouillards, autonomes et « réalistes » d’un côté, un ET de l’autre, et une histoire située en 1979 remplie des dialogues débitant du clin d’oeil à la seconde.

Super 80

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Forcément, à ce niveau, Super 8 fait plaisir à voir. Amples mouvements de grues, musique de Michael Giacchino mimant timidement John Williams, SFX discrets, montage classieux et limpide : tout nous rappelle dans cette mise en scène appliquée mais aussi parfois inspirée (le plan d’ouverture, qui nous plonge sans aucun dialogue au cœur de la narration, est brillant) à quel point le cinéma fantastique des années 80 nous manque. Qu’Abrams singe cette esthétique du passé sans la vitrifier façon musée Grévin est une réussite incontestable, malgré l’abus de lens flares, déjà repéré dans Star Trek (les rais de lumière dans le champ, c’est parfois beau, mais pas quand ça parasite le plan inutilement. Ok, JJ ?).

Mais malgré tout son savoir-faire pour livrer du grand spectacle mystérieux (la fameuse créature nous est constamment – et habilement – masquée, comme… le requin des Dents de la Mer), Abrams échoue toutefois sur ce qui a motivé l’écriture même du script : parvenir à lier de façon satisfaisante deux storylines totalement contradictoires dans leurs ambitions. Les cinq garçons et la fille de Super 8 sont d’un côté véritablement attachants, et leur alchimie évoque tantôt les bras cassés des Goonies, et le club des quatre de Stand by Me (influence souterraine mais véritablement écrasante du film). Abrams a projeté une partie de sa propre enfance dans ces gamins tournant en super 8 un film de zombies à l’amateurisme irrésistible – restez pour le générique de fin ! -, et cela se sent : l’interprétation générale est dans ces moments-là très équilibrée, aucun des personnages n’ayant à servir de béquille scénaristique ou de caricature ambulante. La dimension SF du film est plus problématique : à aucun moment la menace émanant de la créature ne pèse véritablement sur l’histoire, malgré la panique qui s’abat rapidement sur la petite ville où elle se déroule, et les militaires qui débarquent avec leurs tanks. On le sait pertinemment : cette histoire-là convoquera plutôt le merveilleux de rencontres d’un certain type, que la sauvagerie belliqueuse d’aliens et de prédateurs mal intentionnés. Quitte à retomber en enfance, Abrams aurait dû jouer à fond la carte de l’échange intergalactique pacifique (que c’est beau), et non celle du suspense d’un creature movie qui jamais n’innove ni ne surprend.

Spoilers en approche !

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Ces réserves, bien réelles, ont tout de même un avantage : elles permettent d’apprécier d’autant plus la pirouette visuelle qui clôt l’aventure. Ce moment où la proverbiale cellule familiale, symbole protecteur (mais ici dépourvu de figure maternelle) vers lequel tend une bonne partie de l’œuvre de Spielberg, se reforme pour un adieu à la fois symbolique et spectaculaire, se passe de commentaires de par son intelligence. L’exercice jusqu’ici attachant mais bancal d’Abrams procure alors de véritables émotions, aussi simples et touchantes que ses cinéphiles personnages. Comme eux, nous restons un moment désarmés, les yeux dans les étoiles. Le personnage de l’ado stoner, blasé par ce qu’il se passe autour de lui, manque lui cet instant magique, perdu dans les vapeurs de son dernier joint. Un message peut-être envoyé à une génération « X » qui ne sait plus s’émerveiller ?

PS : preuve s’il en est de l’ambiance rétro du projet revendiquée par Abrams, l’affiche alternative de Super 8 s’amuse à imiter le style dessiné à la main de Drew Struzan (Retour vers le futur, Indiana Jones, et beaucoup, beaucoup d’autres…).


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Troissurcinq

Super 8
De JJ Abrams
2011 / USA / 112 minutes
Avec Kyle Chandler, Joel Courtney, Elle Fanning
Sortie le 3 août 2011
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 Après Super 8, petit marathon nostalgique :