The Invitation : dîner mortel entre amis

Méconnu et quasi-invisible, The Invitation reste le meilleur film de Karyn Kusama (Girlfight) : un huis-clos horrifique aussi tendu que marquant.
Découvert en 2015 à l’Étrange Festival, puis visible fugacement sur Netflix avant de tout bonnement disparaître de la circulation – mais ça, c’était avant que les têtes chercheuses de Shadowz ne débusquent les droits du film – The Invitation est un thriller horrifique passé longtemps sous les radars des distributeurs, malgré le pedigree tout-terrain de sa réalisatrice, Karyn Kusama, et un excellent accueil critique. Artiste formée au cinéma par le célèbre réalisateur indé John Sayles, révélée en 2000 en même temps que Michelle Rodriguez, avec l’uppercut Girlfight, Kusama a perdu son chemin dans l’industrie hollywoodienne (Aeon Flux, Jennifer’s Body) tout en commençant à naviguer dans l’univers des séries avec The L World (elle a aussi réalisé le pilote de l’excellente Yellowjackets). Sa carrière aurait pu ressembler à un espoir non concrétisé, sans l’arrivée au milieu des années 2010 de The Invitation, une production à tout petit budget sur laquelle elle a eu un contrôle artistique total – comme Girlfight. Il en résulte un huis-clos original carburant aux traumas non résolus, qui constitue encore aujourd’hui son meilleur travail.
Devine qui vient mettre du malaise ce soir

Inconfortable, le film se déroule sur les hauteurs de Los Angeles : c’est là que se rend, avec sa petite amie Kira, Will (excellent Logan Marshall-Green, vu ensuite dans Upgrade, Lou ou encore Carry-On, et définitivement frère jumeau de Tom Hardy), invité par son ex-femme Eden (Tammy Blanchard, L’extraordinaire Mr Rogers) à un repas entre vieux amis dans son ancienne maison. Deux ans de silence ont passé depuis la tragédie qui a provoqué leur rupture. Le temps a passé, mais maintient Will sous une chape de plomb. Comment Eden, grâce à son nouveau mari David (Michiel Huisman, un temps dans Game of Thrones), peut-elle, de son côté, afficher ainsi son bonheur ? Bientôt, David leur parle d’une « philosophie de vie », un mouvement sectaire nommé « The Invitation », qui leur a permis de retrouver le sourire. Ils ne sont qu’amour, mais Will n’adhère pas à ce prosélytisme insistant et les autres invités font planer eux aussi un malaise palpable à l’intérieur. Pourquoi Eden l’a-t-il invité ? Quel est le véritable but de cette soirée, où sont aussi invités des inconnus comme l’imposant Pruitt (le génial John Carroll Lynch, qui a la faculté d’être glaçant sans jamais en faire trop) ?
« L’angoisse est diffuse, mais infuse chaque regard, chaque réplique. »
Toute l’efficacité de The Invitation réside dans cette capacité à nous faire douter jusqu’à la dernière bobine des motivations de David et Eden. L’angoisse est diffuse, mais infuse chaque regard, chaque réplique, chaque excès de politesse de David quand il tente de rassurer Will, par exemple. Influencée par le film de vampires Morse (pour son rythme patient révélant petit à petit ses secrets) et le classique danois Festen (pour son ambiance de dîner poli qui dégénère de plus en plus), exploitant avec élégance un décor unique et cinégénique nous plongeant au cœur des collines huppées de Hollywood, Kusama orchestre un suspense suffocant qui suinte l’anxiété et la misanthropie. Comme souvent dans ce genre, la réalisatrice paie son tribut à Hitchcock (attention aux détails, fausses pistes, répliques à double sens, innocent seul contre tous), tout en prenant le relais du film d’horreur indé. On pense notamment à The Sacrament de Ti West, tourné deux ans plus tôt et resté lui aussi dans les limbes de la distribution. Cerise sur le gâteau, The Invitation se termine sur une révélation choc, une fin ouverte assez magistrale laissant un impact durable en un minimum de plans – le genre de conclusion qui reste en mémoire et continue de faire beaucoup pour la réputation souterraine du film, toujours aussi stressant et fascinant après toutes ces années. Merci pour la soirée, Karyn !