Les visages massifs d’orques qui ornent les affiches de Warcraft ne mentent pas sur la marchandise : si vous êtes un non-initié de la franchise vidéoludique créée par Blizzard Entertainment (dans ce cas, consultez donc notre preview), oui, il s’agit bien d’un film d’heroic fantasy comme on en voit plus trop ces temps-ci. Peter Jackson ne peut pas tout faire, et l’adaptation cinématographique de ce jeu vénéré par des millions d’abonnés dans le monde était annoncée de longue date. Après plus d’une année de post-production, 150 millions de dollars dépensés et un teasing assez discret de la part d’Universal, Warcraft débarque dans les salles moins en conquérant qu’en outsider, soucieux de donner aux fans ce qu’ils attendent et à un large public une dose d’aventure à grand spectacle digne de ce nom.

À vrai dire, même si le résultat ne s’adresse clairement pas aux plus néophytes, malgré ce que le réalisateur Duncan Jones (Source Code et surtout Moon) et son scénariste Charles Leavitt souhaiteraient, Warcraft n’aura aucun mal à combler les spectateurs en manque de batailles rangées entres races surnaturelles et de sortilèges luminescents. Seulement, si potentiel il y avait pour donner vie à un univers original et profond, le film n’est guère mémorable dans ce qu’il raconte, ce qu’il promet, et même ce qu’il montre.

Choisis ton clan !

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Le sous-titre français de Warcraft : le commencement, nous indique dès le départ que l’on va assister à une origin story dans les règles. Un retour dans le passé qui va permettre, nous apprend-t-on en voix off, de comprendre pourquoi les Orques et les Humains sont en guerre perpétuelle dans le royaume d’Azeroth. Incidemment, ce sous-titre sous-entend aussi lourdement que ce film n’est que le début d’une saga qui s’étendra sur plusieurs épisodes. Amis des cliffhangers et des scénarios conçus comme une longue exposition à la façon d’un pilote de série, vous êtes prévenus.

[quote_center] »Prendre son indépendance, proposer une vision crédible plus que fidèle au jeu : des objectifs que le film ne remplit pas. »[/quote_center]

Il ne faut pas longtemps pour qu’apparaisse à l’écran le visage de Durotan (Toby Kebbell), chef de clan charismatique, réalisé comme ses congénères orques en performance capture. Nous assistons, en tout cas dans les scènes de dialogue et la plupart des plans serrés, à une nouvelle performance (c’est le mot) technique du niveau d’Avatar et de La planète des singes, avec des effets photoréalistes de rendu des textures de peau, du regard, des attitudes, qui force le respect. C’était une condition indispensable pour que l’on suive avec attention le récit qui oppose bientôt la horde bestiale, qui débarque via un portail trans-dimensionnel, au royaume des humains (et des nains, et des elfes et des vieux sages aux yeux qui brillent). Les orques fuient un monde en ruine (leur cause est donc juste), mais sont dirigés par un chef de guerre psychopathe, Gul’dan (Daniel Wu), contaminé par la magie noire qui a permis de créer le portail. Côté humains, la résistance s’organise aux côtés du chevalier Lothar (Travis Fimmel), de son roi (Dominic Cooper) et du gardien Medivh (Ben Foster), sorte de Gandalf local en plus jeune. Entre ces deux clans, Garona (Paula Patton), mi-orque, mi-humaine, tente elle aussi de trouver sa place.

Fan service et bordel narratif

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Bref, Warcraft c’est un joyeux boxon de personnages et de sous-intrigues, pompé à la fois sur Tolkien, James Cameron, Narnia et consorts. Un micmac condensé en deux heures à la fois soutenues et délayées en dépit du bon sens. En se passant de toute exposition digne de ce nom, le film entretient dès le départ une confusion dans les motivations, les origines et l’apparence de ses personnages, qui ne s’estompe jamais vraiment. Bonne chance pour reconnaître les personnages orques qui s’accumulent dans un amas de muscles à l’écran, sortis de la famille de Durotan et du méchant mage. Bonne chance aussi pour comprendre d’où sortent certains protagonistes, déposés là sans prévenir dans un but purement narratif (comme Lothar junior, qui semble important, mais dont tous les traits de personnalité sont expliqués… par son père). Jones vise le foisonnement narratif, les rebondissements feuilletonnants, via de longues scènes de dialogues pontifiants et clichés au possible. Ambition compréhensible, mais qui contredit l’entreprise de Blizzard, plutôt soucieuse de réussir son fan service et de transposer sur très grand écran le côté « morceau de bravoure digital » des cinématiques de jeu qui ont en partie fait sa réputation.

Même pour un total « noob » en matière de World of Warcraft comme l’auteur de ces lignes, les clins d’œil aux jeux disséminés dans le film sont parfois évidents – c’est plus facile quand l’audience dans la salle les applaudit elle immédiatement. Voir tel sortilège, monstre secondaire, arme fétiche ou lieu arpenté sur son ordinateur prendre vie à l’écran, constitue sans doute un plaisir primitif que peu de connaisseurs rechigneront à découvrir. Jones s’amuse à adapter sa mise en scène aux mécanismes ludiques, comme lorsqu’il zoome, vu de haut, sur les villages d’orques en construction, à la manière d’un jeu de stratégie. Mais avec son budget dantesque, et son statut de tête de gondole commerciale, Warcraft ne pouvait se permettre d’être juste satisfaisant pour les gamers les plus expérimentés. Prendre son indépendance, proposer une vision crédible plus que fidèle au jeu : des objectifs que le film ne remplit pas, puisque d’un point de vue cinématographique, nous sommes, malgré des effets de pointe, plus proche d’un Donjons et Dragons ou d’un Eragon que du Hobbit.

Cinématique de luxe

Cybernatural

Le point commun que partage Warcraft avec ces exemples d’adaptations ratées, c’est l’inanité de ses dialogues. Ce qui pourrait faire illusion sur console ou PC ne suffit pas dans un film de cinéma : récitées avec un aplomb qui confine à l’humour involontaire, la plupart des répliques sont d’une banalité déplorable. Dans ses moments de creux (la plupart du temps des scènes de dialogue en champ contre-champ dénuées de rythme), Warcraft pourrait étoffer ses personnages, leur donner une prestance, du caractère, mais l’absence de peps, d’incarnation dans leurs échanges nous donne surtout envie de passer directement à la prochaine scène d’action. L’interprétation figée du casting, dominé par une poignée d’acteurs pourtant estimables (Ben Foster en fait des tonnes avec son maquillage à la Rob Zombie), mais jamais crédibles dans la peau de guerriers en armures surdimensionnées, ajoute à la débandade. On en viendrait presque à déceler plus d’émotions dans les yeux des orques d’ILM !

Les péripéties du scénario, qui consiste à faire des allers-retours (y compris en se téléportant, c’est pratique) entre les grands lieux du royaume et la porte des étoi… pardon, le portail dimensionnel, ne sont guère plus reluisantes. Pour qui a vu un Seigneur des anneaux, le récit n’aura rien de révolutionnaire ni d’immersif, pas au point en tout cas de réclamer illico la suite annoncée dès la dernière bobine. Au vu de sa nature métissée, Garona aurait pu faire office de personnage référent complexe et évolutif. Manque de bol, le maquillage assez ridicule et inconsistant de l’actrice, avec ses deux mini-crocs achetés à la Foir’fouille, est assez distractif pour nous détourner de sa dimension tragique, amorcée à la faveur d’un twist riche de possibilités, mais expédié tardivement. De manière générale, Warcraft pâtit de ses choix esthétiques, certes fidèles au design coloré et rondouillard des jeux, mais pas très adaptés à une transposition filmée se voulant sérieuse. Quand les batailles éclatent – et soyons honnêtes, certaines sont plutôt bien emballées -, le film ne se départit pas de cette dimension cartoonesque et reste plus proche, même au niveau sonore, d’un jeu vidéo défoulant mais inoffensif, que de la saga épique que Blizzard promettait depuis sept ans.


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Deuxsurcinq

Warcraft : le commencement (Warcraft)
De Duncan Jones
2016 / USA / 122 minutes
Avec Travis Fimmel, Ben Foster, Paula Patton
Sortie le 25 mai 2016
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