C’est à se demander comment il a trouvé le temps pour venir saluer à Paris, en septembre dernier, le public de l’Étrange Festival : Sono Sion, auteur, producteur et réalisateur iconoclaste, mais surtout ultra-prolifique depuis une dizaine d’années, enchaîne cette année les projets à une vitesse qui défie l’entendement. Fan de Cassavetes et de punk, autodidacte aux talents d’écriture assez bluffants, Sono Sion poursuit jusqu’à présent une carrière trop insaississable pour atterrir sur les radars du grand public occidental. Moins identifiable et « populaire » qu’un Takashi Miike, moins expérimental qu’un Shinya Tsukamoto, le cinéaste fait l’unique bonheur des happy few qui tombent régulièrement sur ses travaux de festival en festival.
Conséquence directe : la filmographie de l’homme au fedora noir est pour l’instant partiellement accessible en France. Il y a les films disponibles en DVD (Love Exposure, Suicide Club, le très beau Land of Hope et en mars prochain, l’incroyable Why don’t you play in hell ?), d’autres balancés directement sur des portails VOD, sans sortie physique (Guilty of Romance et Cold Fish) et le reste, toujours inédit chez nous : Strange Circus, Be sure to share, le timbré Exte : hair extensions, Himizu, et le petit dernier en date, l’infernal Tokyo Tribe (annoncé, mais sans date chez Wild Side). Soit de l’adaptation de manga, de la comédie musicale, de l’horreur, du thriller, du mélo, de l’inclassable, autant de genres abordés avec un goût du risque, des extrêmes et du mélange des genres qui laissent pantois. Son cinéma, taraudé par des sentiments d’urgence et de désespoir, déborde d’énergie et change à chaque fois de forme suivant les sujets.
Un an, 6 films : qui dit mieux ?
En septembre dernier, le réalisateur avouait travailler sur deux nouveaux films à la fois, mais il avait semble-t-il caché quelques autres joyeusetés à venir. Car ce ne sont pas deux, ni trois longs-métrages sur lesquels Sion travaille pour 2015, mais six ! Six. Même Takashi Miike est battu. Pour l’instant, cinq titres ont été annoncés, tantôt des commandes de studio, tantôt des projets personnels, avec des dates de sorties qui suggèrent un don d’ubiquité ou un arrêt cardiaque prochain pour le trublion nippon !
Prévu pour l’instant au Japon le 27 juin, Love and Peace constitue selon l’aveu même de Sion son incursion officielle dans le genre du kaiju eiga, ou film de monstres à la Godzilla. Une contribution toute personnelle, comme le confirme le teaser complètement barge qui a fait récemment surface. Il ne contient aucun plan de monstre géant, mais nous soupçonnons, comme le confirme l’affiche ci-contre, qu’il s’agira d’une tortue : celle-ci est recueillie par un chanteur de punk un peu loser, Ryoichi, qui finit par s’en débarrasser en la jetant dans les égouts. Monumentale erreur, semble-t-il, mais la probable mutation de l’animal carapacé ne sera sans doute pas le seul sujet au centre de ce Love and Peace d’ores et déjà très alléchant.
Le teaser (en VO, mais sans dialogues, donc…)
Dans les quartiers chauds de Tokyo
Plus commercial en apparence, Shinjuku Swan (sortie annoncée le 30 mai) est une adaptation d’un manga au long cours, qui pourrait vaguement être rapproché de Tokyo Tribe ou du récent The Mole Song : Undercover Agent Reiji de Miike. Là aussi, les premières images promettent la création d’un univers braillard et haut en couleur, peuplé de gangsters et de filles aguicheuses, et personnifié par un héros décoloré, Tatsuhiko (joué par Ayano Gou, de Rurouni Kenshin). Celui-ci se voit propulser « directeur de casting » pour des films X, au cœur d’un quartier chaud de Tokyo, Kabukicho. D’où de multiples aventures hautes en couleurs, qui s’annoncent aussi légères qu’hystériques. À vérifier sur pièce, donc, mais ce n’est peut-être pas de ce côté qu’il faudra aller chercher le Sono Sion qu’on adore le plus (quoique, avec lui…)
Le teaser (en VO)
Aventures surnaturelles au lycée
Encore en tournage ou en post-production (enfin, tout dépend du moment où vous lirez ces lignes), trois autres projets émaillent le calendrier 2015 de Sion. Attendu le 11 juillet en salles, moins d’un mois après Love & Peace, Riaru Onigokko, alias TAG, prolonge une saga de films qui dure depuis 2006, dans la lignée du roman originel de Yamada Yusuke. Il serait par contre moins question dans cette nouvelle version de chasses à l’homme surnaturelles à travers le pays, comme c’est le cas dans le livre, mais de chasse… aux lycéennes japonaises, par des fantômes aux apparences tantôt loufoques, tantôt terrifiantes. Un terrain de jeu idéal propice à tous les délires visuels et narratifs pour Sono Sion, et qui ne s’est annoncé pour l’instant qu’au moyen de quelques photos présentant les trois personnages féminins principaux. Wait & see !
[quote_center] »Des dates de sorties qui suggèrent un don d’ubiquité ou un arrêt cardiaque prochain pour le trublion nippon ! »[/quote_center]
Adaptation de manga, encore, avec The Virgin Psychics, ou Minna ! Esper dayo ! (prévu pour septembre), qui est devenu encore plus populaire au Japon depuis la diffusion de la série télé, dont la star est Sometani Shota (le rappeur fluet qui fait office de narrateur dans Tokyo Tribe). Shota y joue Yoshiro, lycéen sans histoires qui se découvre le pouvoir de lire dans les pensées, le transformant ainsi en Sookie des bahuts. Grand pouvoir, grande responsabilité ? Pas tellement, l’ado étant surtout préoccupé par le fait de pouvoir en profiter pour sortir avec les filles de ses rêves. Seul problème, Yoshiro n’est pas le seul dans sa ville à avoir des pouvoirs. Télépathes et télé-kinésistes semblent également peupler la région, ce qui attire tous les regards… L’univers potache de The Virgin Psychics, avec ses ados pris dans des conflits romantico-sexuels dignes des séries CW, mais en (beaucoup) plus pervers, risque d’aller comme un gant au tempérament incorrect de Sono Sion, qui a déjà pu tâter un peu du matériel narratif en réalisant en 2014… un téléfilm tiré de la série, prévu pour une diffusion au printemps. Mais comment fait-il ?
Enfin, cinquième projet annoncé officiellement sur la liste de courses du metteur en scène (le sixième est encore tenu secret, patience, donc…), Hisohiso Boshi constituerait un retour à un cinéma beaucoup plus intimiste et personnel pour Sion, qui souhaite aborder une troisième fois le sujet de la catastrophe de Fukushima, après les catharsis filmiques qu’étaient l’enragé Himizu et le plus apaisé Land of Hope. Peu de chances en tout cas qu’il sorte au Japon cette année, chacune d’entre elles étant comme chacun sait composée de 12 mois, pas 24 !