Souvenez-vous : en janvier nous vous parlions de The Riot Club, qui aborde la question de la lutte des classes dans une prestigieuse, mais fictive, université anglaise. Visiblement, la jeunesse américaine et britannique attise l’imagination des réalisateurs qui s’appuient sur une analyse documentée pour présenter leurs démonstrations. Justin Simien utilise en effet le même procédé pour construire sa satire explosive Dear White People. Ce quasi inconnu au bataillon, qui n’a jusqu’à présent réalisé qu’une série de courts-métrages, s’attaque de manière aussi percutante qu’intelligente aux relations complexes entre les étudiants blancs et les étudiants noirs dans un campus américain imaginaire. Présenté au Festival de Sundance, le film, qui s’est financé de manière participative, crée la polémique, d’autant que la multiplication des crimes racistes alimente les journaux régulièrement de part et d’autre de l’Atlantique.

Clichés ordinaires

Dear white people : la déconstruction du rêve américain

Si les noirs se moquent ici ouvertement des préjugés des blancs, ils en prennent également pour leur grade. Comme dans The Riot Club l’accumulation de tensions et de révélations inattendues va conduire à un clash, en l’occurrence une émeute, mais ce chaos fait émerger une certaine forme d’humanité en chacun des personnages. Justin Simien s’amuse à déconstruire les motivations, plus ou moins nobles, affichées par ses personnages pour mieux faire écho à la réalité. Le cas de Sam White (Tessa Thompson, Selma), splendide Malcolm X au féminin, qui se moque ouvertement sur la radio du campus des blancs dont elle dénonce, un par un, les petites manies racistes, illustre parfaitement ce propos, par sa lente évolution physique et personnelle. Sam, sous ses apparences vindicatives et obstinées, vient d’une famille mixte et cherche visiblement son chemin, qui ne passe pas forcément par la croisade qu’elle a entamé.

[quote_center] »Pour autant, Justin Simien n’appelle à aucune remise en question. »[/quote_center]

La politique reste omniprésente dans le film, à l’image de Troy (Brandon P Bell, Mission Impossible III), leader charismatique, fils du doyen (Dennis Haysbert, 24) dont la réussite en tant qu’homme de couleur, impose une pression supplémentaire sur son fils. L’antithèse du droit et en apparence discipliné Troy, Kurt (Kyle Gallner, Smallville, American Sniper), fils du directeur de l’université, le grand rival blanc du doyen, soutient, avec une dose de mépris et d’orgueil dus à son rang, que l’humour et la joie triomphent sur l’ensemble des oppositions.

Toute ressemblance avec des personnes existantes…

Dear white people : la déconstruction du rêve américain

D’autres personnages, dans l’ombre de ces leaders, tentent de s’insérer dans une société de prétendue tolérance. Coco (Teyonah Parris, Mad Men) s’oppose clairement aux revendications de Sam et clame que la réussite passe par l’adaptation des modes de vie des blancs, qui par ailleurs tentent constamment de copier les habitudes culturelles et identitaires des noirs. La jeune femme semble prête à tous les sacrifices pour participer à une émission de télé-réalité qui devrait lui ouvrir les portes d’un avenir meilleur. Le petit nouveau Lionel (Tyler James Williams, Everybody hate Chris), à la tignasse fournie, peine quant à lui à s’intégrer et à accepter son homosexualité. Frêle et fragile, il se feint en narrateur de la vie du campus pour un journal sans, pour autant, prendre une position définitive et semble représenter l’alter ego du réalisateur qui a annoncé publiquement qu’il était gay.

Dans l’Amérique d’Obama, la société se veut libre et tolérante, mais ses jeux de pouvoirs, où se conjuguent histoires de sexe, d’amour et de réputation, la mettent à mal. Pour autant, Justin Simien n’appelle à aucune remise en question : il livre simplement son constat sur la mixité réelle d’une jeunesse ballottée entre l’espoir de lendemains meilleurs et le poids d’une Histoire tragique. La démonstration, infaillible et percutante, laissera le spectateur interdit et pantois, quelle que soit sa couleur de peau.


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]

Quatresurcinq
Dear White People
De Justin Simien
2015 / États-Unis / 108 minutes
Avec Tyler James Williams, Tessa Thompson, Kyle Gallner
Sortie le 25 mars 2015
[/styled_box]

Crédits photos : © Happiness Distribution