Définir le nouveau film d’Alejandro Gonzalez Iñárritu (21 Grammes, Babel) s’avère aussi difficile que d’assister à une projection d’un film d’épouvante dans une salle remplie de lycéens survoltés. Birdman, film total, créatif, fantaisiste et débordant d’imagination, a quelque chose d’intimidant. À la fois critique constructive des blockbusters à la sauce « superhéros » actuels, du règne de Twitter et de l’instantané qui régissent nos vies, mise en abîme de notre quête permanente de reconnaissance, comédie bouillonnante au cœur d’un théâtre de Broadway, variation sur les conflits père-fille, Birdman contient tout cela à la fois, et bien plus encore. Iñárritu jongle avec ces éléments avec une maîtrise qui laisse pantois, face à ce qu’il faut bien appeler un tour de force artistique.

La maîtrise du temps

Birdman : l'oiseau qui voulait encore voler

La prouesse majeure du film repose sur sa temporalité. Chaque scène de Birdman fait l’objet d’un long plan-séquence et s’enchaîne sans coupure apparente, comme si le film avait été tourné en temps réel. Non content de réaliser une performance technique ultra exigeante pour les acteurs, Iñárritu ne manque également pas d’idées pour souligner une action intense et fluide, ponctuée de plans de transition oniriques renversants. L’intensité de l’action est même modulée par un batteur aperçu au détour d’un plan.

[quote_center] »Iñárritu a choisi d’entrer dans sa tête pour montrer ce dédoublement de personnalité quelque peu perturbant. »[/quote_center]

Un Michael Keaton transfiguré incarne Riggan, un acteur déchu qui se bat pour monter une pièce de théâtre à New-York. Hanté par le rôle qui la rendu célèbre il y a bien des années, celui d’un homme-oiseau doté de super-pouvoirs, il médite sur ces belles années et lorgne jalousement sur les acteurs qui trustent aujourd’hui le haut de l’affiche. Lorsque le nom de Georges Clooney est évoqué, Michael Keaton s’amuse avec une jubilation notable de cette mise en abîme étonnante vu son passé sous le costume de Batman, bien avant que le représentant en café s’en empare à l’occasion du funeste Batman & Robin. Michael Keaton, pratiquement disparut des écrans radars ces dernières années, ou tout au moins sous-exploité, hérite enfin d’un rôle à sa mesure qui le rappelle paradoxalement à ses heures de gloire.

Batman sous Prozac

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Dans sa nostalgie, Riggan n’est pas aidé par son trouble mental qui le plonge dans un délire fantaisiste dans lequel le fameux Birdman apparaît, comme la voix de la déraison. Par instants, l’acteur est persuadé de ses capacités hors-normes qui lui permettent notamment de voler. Iñárritu a choisi d’entrer dans sa tête pour montrer ce dédoublement de personnalité quelque peu perturbant. Magicien de l’image, Iñárritu réussit à tromper l’œil humain avec une légèreté déconcertante. Michael Keaton assure un numéro de voltige dramatique, tout en gardant un mystère total sur la conception technique d’un tel prodige.

Pour retrouver une reconnaissance tant espérée, Riggan adapte la pièce What we talk about when we talk about love, de Raymond Carver avec l’espoir de séduire la critique et de faire venir le public en masse. Mais une succession d’événements malencontreux l’oblige à reconsidérer ses plans fébrilement, juste avant la première. Après la sortie plus ou moins volontaire d’un acteur pour blessure, le metteur en scène engage un comédien, Mike (Edward Norton) plus jeune et plus populaire que lui, qui présente un risque potentiel de lui voler la vedette. Antithèse de Riggan et aussi obsédé par ce qu’il a toujours souhaité devenir, Mike souffre d’une autre forme de folie. Pour échapper, lui aussi à la réalité, il se construit une image de jeune loup excentrique, dont les exactions hilarantes le rendent aussi génial qu’horripilant.

Entre fiction et réalité

Birdman : l'oiseau qui voulait encore voler

Il doit aussi faire face à l’agressivité de sa fille (Emma Stone), fraîchement sortie d’une cure de désintoxication et qu’il promeut assistante. Ressort émotionnel important dans le film, le parcours de la jeune femme évolue au fur et à mesure qu’elle apprend à connaître son père. Au final, il devient évident que malgré ses envies de célébrité, seul le regard de sa fille a d’importance aux yeux de Riggan. Ce dernier comprend que faire la une des tabloïds ne le rendra jamais immortel. Pari osé, mais pari réussi, la présence notable de Zach Galifianakis promène sa bouille débonnaire, à contre-emploi, en tant qu’agent de Riggan.

Au terme de cette démonstration cinématographique, Iñárritu s’autorise une envolée lyrique grandiose qui obscurcit la frontière entre le rêve et la réalité, thème finalement au coeur d’un film qui échappe à toute classification facile. Seul regret, cette énergie sollicite peut-être un trop le spectateur, et Birdman n’évite pas un certain sentiment de répétition, et se conclut sur une note moins convaincante, marque d’un essoufflement dommageable.


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Quatresurcinq
Birdman
De Alejandro González Iñárritu
2015 / États-Unis / 119 minutes
Avec Michael Keaton, Zach Galifianakis, Edward Norton
Sortie le 25 février 2015
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Crédits photos : © 2014 Twentieth Century Fox