Dans Une vie meilleure, déjà, le réalisateur Cédric Kahn abordait le thème de la poursuite d’un idéal et ses désillusions. Pour Vie sauvage, il s’est inspiré d’un fait-divers fascinant. Philippe Fournier (dans la réalité Xavier Fortin), dit Paco, joué par un Mathieu Kassovitz habité par son personnage et presque animal, avec son épouse Nora (Céline Sallette) élève ses trois enfants en Normandie conformément à leurs idéaux : en pleine nature, à l’écart de la ville et de la société consumériste. « Le Père », comme ses enfants l’appellent, barbe noire et queue de cheval, tel un chef indien, est idolâtré par ces derniers. « La Mère », dreadlocks et guenilles, élèvent les trois mômes dans une caravane. Ils vivent principalement de l’élevage. Tout bascule lorsque Nora ne souhaite plus cette vie pour ses enfants et part, avec eux, vivre chez ses grands-parents dans le Var. Pour Xavier, la justice devrait entendre les garçons qui veulent habiter en pleine nature, avec lui et choisir la vie pour  « laquelle ils ont été conçus ». Mais lorsque la garde est officiellement remise à Nora, l’homme part chercher « pour des vacances », les deux derniers Okyesa et Tsali, de 6 et 7 ans. Ils ne reverront plus leur mère durant 11 ans.

Deux périodes, deux ruptures

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La première partie du récit s’attache à conter la cavale des Fortin durant les premières années. Cédric Kahn filme la nature (notamment dans l’Aude) telle qu’elle existe, sans artifice, caméra à l’épaule et accompagne le trio en fuite. Un cinéma réaliste inspiré de la Nouvelle Vague. La débrouille, les petits boulots, l’agriculture ou encore la vie de chantier occupent leur quotidien. Pour échapper à la police, la famille devra faire appel à la solidarité de compagnons d’infortune discrets, rencontrés au bord du chemin et aux connaissances en matière de géologies de Philippe qui rejette l’Éducation nationale pour prodiguer ses propres leçons. Les enfants suivent avec entrain et s’adaptent à la vie précaire et marginale de leur héros paternel. Par amour inconditionnel pour ses enfants, ce dernier construit des foyers précaires, élève des bêtes et entretient l’harmonie de la famille.

[quote_center] »Cédric Kahn filme la nature telle qu’elle existe, sans artifice, caméra à l’épaule et accompagne le trio en fuite. »[/quote_center]

La seconde partie entre abruptement dans une période moins idyllique de la cavale. Le temps passe et Okyesa et Tsali deviennent pratiquement adultes et la liberté offerte par la nature ne suffit plus désormais. Le « Père » devient un fardeau et son omniprésence, parfaitement acceptée autrefois, insupporte alors les deux ados las de de cette vie de clandestinité. L’échappée tourne court un jour de 2008, lorsque leur père est arrêté. Ils retrouvent alors leur mère mère absente, oubliée ou « morte », comme ils racontaient aux étrangers pour couper court aux questions. Dans cette scène d’une spectaculaire tension, Nora apparaît, amaigrie et fatiguée par des années privées de ses enfants. Impeccable, Céline Sallette parvient, dans cette courte scène dramatique, à retranscrire la vérité sur cette femme brisée qui ne pourra jamais recréer des liens maternels solides. Mais les deux garçons continuent à défendre leur père envers et contre tous. À leur demande, Nora retira sa plainte pour kidnapping et Philippe ressortit libre, après quelques mois de prison.

Pour aborder cette histoire à la fois philanthropique et dramatique, tout en respectant la complexité de ses personnages, Cédric Kahn refuse de prendre parti pour le témoignage du père, comme celui de la mère. Dans son sillage, il entraîne le spectateur dans un tour de montagnes russes orchestré par une lecture de l’histoire didactique, truffée de pics émotionnels forts, servi par un quatuor de comédiens parfaits. Il pose de vraies questions sur la justice, l’éducation et la société : ces valeurs doivent-elles être transmises par l’individu ou la communauté ? Ce traitement s’accroche tellement aux faits, quitte à paraître froid, qu’il aurait peut-être mérité un effort d’imagination pour laisser transparaître un sentiment d’aventure et de voyage. Le réalisateur s’est malheureusement interdit d’exploiter au maximum son matériel. Le film aurait peut-être pris plus d’ampleur et plus de corps en s’éloignant du réel, pour mieux tisser sa propre toile.


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Troisurcinq
Vie sauvage
De Cédric Kahn
2014 / France-Belgique / 106 minutes
Avec Mathieu Kassovitz, Céline Sallette, David Gastou
Sortie le 29 octobre 2014
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© Carole Bethuel