Les années 2000 ont vu éclore, à notre grand regret, une nouvelle mode filmique. Cette mode, c’était bien sûr le found footage, exploité depuis Paranormal Activity dans des centaines de films d’angoisse à petit budget, mais aussi dans d’autres genres, comme la comédie, la science-fiction, le polar, le film d’action… L’aspect caméra à l’épaule, action en temps réel, image heurtée et supposément « réaliste », a donc donné autant d’idées aux scénaristes qu’aux metteurs en scène, avec des résultats qu’on qualifiera poliment de pathétiques dans la plupart des cas.

Quelle pouvait être la prochaine étape dans cette course à l’immersion ? Facile : il suffisait de regarder du côté des jeux vidéo, qui prennent depuis longtemps une partie de leur inspiration dans le médium cinématographique. Importance de la mise en scène, implications du joueur dans les choix de narration… et bien sûr immersion du joueur, qui évolue manette à la main sur un écran imitant le regard humain. Les FPS du style Call of Duty, en particulier, jouent sur cette volonté de parachuter le joueur/spectateur au cœur de l’action, de lui donner le sentiment de voir celle-ci se développer en direct. Cette esthétique-là, le cinéma ne s’en était jamais vraiment emparé, excepté lors d’une séquence de l’adaptation du jeu Doom, où le public était projeté dans la peau de Karl Urban et dans la majorité des scènes du remake de Maniac.

Un virus très subjectif

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C’est finalement du côté du cinéma indépendant qu’est venue la volonté d’expérimenter sur grand écran l’idée d’un film/jeu entièrement à la première personne. Cette semaine a vu débouler sur Internet la bande-annonce particulièrement remuante de Pandemic, film américain produit par New Artist Alliance et XLRator Media, que l’on doit au réalisateur John Suits (le DTV The Scribbler). Son titre générique est déjà tout un programme, comme pour les jeux vidéo : vous (oui, vous, comme le proclame l’affiche) êtes plongé dans la peau d’un militaire accompagnant une équipe de scientifiques dans une ville infectée par un virus, avec pour seule protection des combinaisons équipées de caméras. Y a-t-il des survivants dans cet enfer urbain ?

Vous allez vite le savoir, promet le trailer de ce film où l’on croise entre autres Rachel Nichols (2e sous-sol), Alfie Allen (Game of Thrones) et Mekhi Phifer (L’armée des morts). Les références au jeu vidéo, citées le plus simplement du monde dans les dialogues, indiquent que ce Pandemic, qui prétend moins raconter une histoire originale que faire vivre une expérience inédite, sait très bien à qui il s’adresse en priorité. Le principe établi est que le héros du film involontaire, c’est vous, en train de revivre au cinéma l’ambiance angoissante de hits vidéoludiques comme Left 4 Dead, Resident Evil ou Dying Light.

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Frénétique Russie

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La sortie de Pandemic n’aura malheureusement pas lieu en salles chez nous, mais en vidéo : le film est annoncé le 25 mai en Blu-Ray et DVD, sous la houlette de Marco Polo. Hasard des calendriers, c’est en salles, le 13 avril, que nous pourrons découvrir l’autre « FPS » qui attise la curiosité des observateurs. L’objet en question vient de Russie (même s’il s’agit d’une co-production américaine, tournée en anglais), et s’appelle Hardcore. Produit par ce grand formaliste de l’absurde qu’est Timur Bekmambetov (Wanted, Nightwatch), il s’agit du premier long-métrage de l’ambitieux Ilya Naishuller, dont la renommée est jusque-là assimilée à YouTube. Hardcore est en effet pensé comme un prolongement, sur 90 minutes, de ses précédents travaux en vue subjective, dont le court-métrage Bad Motherfucker, qui a atteint les 35 millions de vues. Cette course-poursuite ultra-violente et à perdre haleine n’était, à en croire son réalisateur, qu’un échauffement avant le passage à la vitesse supérieure. « Plus de 80 % du tournage consistait en des cascades, la plupart très dangereuses », résume Ilya Naishuller en bon vendeur.

Intégrant une foule d’effets spéciaux à un récit logiquement constitué de longs plans-séquences (l’ellipse est difficile à justifier lorsque vous devez vivre ce qui vit le héros), Hardcore suit le périple d’Henry, un amnésique revenu d’entre les morts et devenu un cyborg au bras d’acier. Il est en Russie, sa femme (Haley Benett) a été kidnappée, tout le monde le veut mort, et seul un Britannique (Sharlto Copley !) peut l’aider. Le jeu peut commencer. Si Pandemic promet de la même manière un déluge d’action et de plans à couper le souffle, renouvelant l’approche d’un genre par le changement de perspective, Hardcore se distingue lui par le côté enragé et presque incorrect de ses situations. Là où Pandemic pioche dans les clichés du film de zombies et de contamination, Hardcore semble lui rechercher l’excitation primale des jeux anarchistes à la GTA ou des Hyper Tension avec Jason Statham. La caméra est ici littéralement attachée au visage de notre « référent », mais n’a plus besoin de justification. Vous êtes Henry, tout simplement, et vous n’allez rien rater de son aventure.

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MAJ : Bande-annonce 2

Alors que la sortie de Hardcore, désormais rebaptisé Hardcore Henry, s’approche à grands pas, un nouveau trailer international vient d’être mis en ligne. Et le montage semble cette fois définitif, puisque de nouvelles séquences font leur apparition, dont l’une où apparaît face à notre héros, ni plus ni moins que Tim Roth ! Le film, lui, semble toujours aussi cinglé et brut de décoffrage : la bande-annonce vend carrément le projet comme une « expérience inédite à l’écran ».


Bouffée d’inspiration ou nouveau filon ?

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Quel que soit le destin de ce qu’il faut bien considérer comme des films d’action expérimentaux, il sera intéressant de savoir si Pandemic et Hardcore resteront à l’état de curiosité ou préfigureront une nouvelle façon de filmer l’action – ou le drame, ou même la comédie. Le problème de la vue subjective intégrale au cinéma, en plus d’être par nature frustrante (contrairement aux casques de réalité virtuelle comme l’Oculus Rift, vous ne contrôlez rien) et potentiellement gerbant – rappelez-vous la première fois que vous avez vu Le projet Blair Witch sur grand écran -, c’est qu’elle n’autorise qu’un seul type d’approche stylistique, qu’une seule façon de découper la scène. Tout comme le found footage, cela peut devenir un cache-misère pour pallier le manque d’imagination de producteurs à l’affût de concepts vendeurs – et le concept l’est, en tout cas pour l’audience des geeks de 12-30 ans auxquels ces titres sont destinés en priorité. Toutefois, le degré d’imagination à l’œuvre dans ces premiers trailers, ainsi que la réputation déjà grandissante de Hardcore en particulier depuis sa présentation au Festival de Toronto, laissent penser que cette double expérience vaudra la peine d’être jou… pardon, vue au cinéma !

Court-métrage « Bad Motherfucker » (NSFW)