Désormais fermement installé dans l’enceinte, idéale pour ce type de festivités, du Max Linder (qui fêtait, ô coïncidence, ses 30 ans cette semaine-là, avec une programmation de classiques absolument démente), le Paris International Fantastic Film Festival a bouclé en décembre dernier une 7e édition plus éclectique et populaire que jamais. Tout comme l’Étrange Festival, le PIFFF est devenu en peu de temps un point de ralliement incontournable pour découvrir sur grand écran, le plus souvent en séance unique, des films de genre destinés presque en intégralité à enrichir le marché de la vidéo. Des films parfois fragiles, parfois aussi difficiles à vendre pour un public français submergé par une offre multi-écrans pléthorique. Le PIFFF 2017 était là pour faire le tri, et il le fait très bien, à en juger par les nombreuses projections ayant affiché complet durant les six jours que durait le festival.

Au-delà du temps

Avant le frénétique Blade of the Immortal de Takashi Miike, qui a subséquemment atterri dans le giron de Netflix, c’est A Ghost Story qui a ouvert les hostilités, quelques jours avant sa sortie nationale. Et si la période de Noël s’est montrée commercialement moins clémente avec le nouvel opus de David Lowery (Les Amants du Texas), on ne peut pas dire qu’il soit passé inaperçu. Cette méditation sur la fabrique même du temps, déconstruit de manière ultra-minimaliste à travers l’errance d’un fantôme (celui de Casey Affleck, qui laisse derrière lui une Rooney Mara désorientée et affamée), se déploie à un rythme hypnotique, toujours à la frontière de l’expérimental agaçant et de la profondeur transcendantale. Lowery filme le tout en format carré, soutenu par une BO spatiale et mélancolique jusqu’au déchirement, et provoque un tumulte d’émotions contradictoires, même si en majorité, c’est la tristesse et le vertige face à l’impossible dénuement de notre existence (impression résumée de manière un peu trop scolaire par un personnage) qui domine. Pas la joie donc, mais bon sang, ce fantastique lo-fi, audacieux et sensible, fait du bien.

Entre système D et racolage

Chroniques du PIFFF 2017 : aux frontières du film de genreLe cinéma indépendant américain étant un grand pourvoyeur de films de genre, il ne fallait pas s’étonner à la base de découvrir des bandes comme 68 Kill, de Trent Haaga (que l’on connaît surtout pour être le scénariste de l’éprouvant Cheap Thrills). Dans une ambiance redneck très « camionneur en chaleur », 68 Kill raconte avec une verve qui se voudrait tarantinienne l’émancipation sanglante d’un type sympathique mais dépassé par les événements, Chip, raide dingue d’une véritable psychopathe nommée Liza. Celle-ci va l’entraîner dans un casse qui va vite dégénérer, et bientôt c’est la cavale pour Chip, qui va devoir s’affirmer face à une tripotée de femmes fatales. Avec sa vision trash de la guerre des sexes, 68 Kill n’a à l’évidence rien d’un tract féministe. Racoleur, sexiste et pas franchement original dans la construction de personnages très clichés, cette modeste série B ne laissera pas un souvenir périssable.

Chroniques du PIFFF 2017 : aux frontières du film de genreLe niveau remonte un peu avec le plus « poétique » Dave Made a Maze de Bill Watterson. Avec son drôle d’univers au croisement de l’horreur, de l’esthétique « do it yourself », d’un épisode de Community et des films de Michel Gondry, Dave made a maze présente de beaux atouts : l’histoire est celle d’un artiste en panne créative, qui se réfugie le temps d’un week-end dans un labyrinthe en carton qu’il a confectionné dans son appartement. Lorsque sa copine le découvre, Dave se dit enfermé dans sa création, pourtant pas énorme. Mais lorsque la petite amie et les proches de Dave entrent dans le labyrinthe avec leur caméra, ils découvrent qu’il disait bien la vérité : l’endroit est grand, dangereux et fréquenté, surprise, par un énorme Minotaure… Dave made a maze, avec son pitch impossible et pourtant d’une grande cohérence thématique, ouvre le champ à d’incroyables digressions artistiques, où les geysers de sang sont en papier mâché et où les personnages peuvent se transformer d’un seul coup en bonhommes en pâte à modeler. On hésite parfois entre la consternation et le rire franc, mais une chose est sûre, Dave made a maze conserve tout du long un je-ne-sais-quoi de très attachant.

Inquiétante Amérique

Chroniques du PIFFF 2017 : aux frontières du film de genreMoins distingué, et résolument taillé pour les festivals ou une soirée popcorn entre amis, Tragedy Girls de Tyler MacIntyre sera lui bientôt visible en France… mais uniquement sur une application dédiée aux smartphones ! Un choix bizarre mais assez cohérent lorsqu’on découvre les deux héroïnes en titre, Sadie et Kayla (les attachantes Brianna Hildebrand et Alexandra Shipp, découvertes en mutantes dans Deadpool et X-Men Apocalypse), « mean girls » en chef d’un campus obsédées par leur réputation online et par les meurtres en série. Aussi égocentriques que cintrées, les deux amies kidnappent un serial-killer avant d’empiler les cadavres de tous ceux qui croisent leur chemin, de manière aussi maladroite que brutale. Le sang coule à flots, sans jamais perdre de vue le côté satirique, plutôt léger mais bien vu, du projet. À mi-chemin entre Scream et Detention, avec une bonne pointe de Lolita malgré moi, et des clins d’œil appuyés à Heathers et Carrie (à ce stade, c’est même un peu du pillage), Tragedy Girls célèbre l’amitié 2.0 plutôt que la justice, avec un gros sourire sardonique étalé sur le visage. Bonus point : un générique de fin à fond les ballons étonnamment soigné !

Chroniques du PIFFF 2017 : aux frontières du film de genreDe Detention, il en était aussi question au PIFFF puisque son réalisateur, le clippeur Joseph Kahn, faisait son retour à Paris pour Bodied. Un opus pas du tout fantastique, mais tout aussi frénétique et excitant que son prédécesseur, qui ne risque pas de repasser sitôt de ce côté de l’Atlantique. Sorte de fausse séquelle de 8 Mile (le film est de fait produit par Eminem), Bodied nous replonge de plein pied dans le monde haut en couleur des rap battles, combats de rimes infestés de jeux de mots et d’injures lyriques, si intraduisibles qu’on avait parfois envie d’applaudir les pauvres sous-titreurs qui devaient trouver des équivalents à chacune des bombes lâchées par les personnages ! Le héros, Adam, est un blanc-bec fils de bourgeois littéraires passionné par ce monde sulfureux, qui approche ses cadors sous couvert d’étude universitaire, avant de s’immiscer lui aussi dans ces battles avec une verve qui ne fait que grandir… Mais dans Bodied, les duels de mots n’ont aucune limite, et Kahn s’applique intelligemment à faire comprendre que notre époque est plus impitoyable que jamais avec tout ce qui s’éloigne des normes. Le cloisonnement social, le politiquement correct, la liberté d’expression, la gentifrication des cultures populaires… Bodied, sous ses allures de récit initiatique particulièrement amer et rentre-dedans, s’avère incroyablement dense, sans jamais oublier d’être hautement divertissant (tous les personnages, incarnés pour certains par de véritables pros de la discipline, sont soignés et inoubliables) et fréquemment hilarant !

Increvables mutants et tigres sans peur

En marge des deux films de Takashi Miike sélectionnés et de Shin Godzilla présenté en clôture du festival, le PIFFF mettait aussi le Japon à l’honneur avec une adaptation de manga, une de plus, et malheureusement pas la meilleure. Ajin Demi Human est une version bien énervée de X-Men, où les mutants sont cette fois détenteurs d’un pouvoir de « vies illimitées ». Les « Ajins » peuvent notamment utiliser un avatar pour se battre entre eux, ce qui complique leurs affrontements qui prennent une tournure dantesque puisque le but premier des gentils mutants est d’empêcher les méchants… de se tuer – ce qui les fait revenir immédiatement en pleine forme. Ça sonne très jeu vidéo, et c’est exactement ce à quoi ressemble ce film technoïde, survitaminé mais quelconque visuellement et fréquenté par un casting d’huîtres. Point de malus enfin pour l’utilisation, sans aucun recul, de l’imagerie du 11 septembre au cœur d’une séquence d’action qui n’a rien à faire dans un film moderne.

Plus réussi, et également bien plus apprécié par le public, qui l’a plébiscité pour le Grand Prix, Tigers are not afraid est une belle surprise venue du Mexique. Dans ce film de la scénariste Issa Lopez, qui avait fait le déplacement pour l’occasion, les victimes de la guerre contre les cartels de la drogue reviennent, littéralement, hanter ceux qui sont restés derrière, seuls et sans repères : des jeunes enfants d’une dizaine d’années à peine, qui se réfugient dans les histoires et les contes qu’ils s’échangent, où les « tigres sans peur » règnent en maître. Lopez utilise le prisme fantastique pour aborder ce sujet douloureux dont on parle peu, et faire naître l’émotion entre deux bouffées d’angoisse. C’est un mélange irrésistible à l’écran et particulièrement poignant, qui rappelle forcément des titres comme L’échine du diable de Del Toro, qui ô surprise, a classé Tigers are not afraid parmi ses 10 films préférés de 2017. La question se pose dans ce cas, comme pour beaucoup d’autres titres de cette édition : à quand une distribution chez nous ?