L’histoire véritablement étonnante de l’essor de la marine hollandaise au tournant du XVIe siècle, considéré comme le Siècle d’or de l’histoire des Pays-Bas, pourrait fournir la base à une bonne centaine de films d’aventure. Contrairement à la France ou à l’Italie, la Hollande a pourtant été peu productive en matière de films historiques traitant de cette période charnière, et rien que pour cela, Conquest 3D a un intérêt indéniable.

Le film de Reinout Oerlemans (qui est à l’origine… un acteur de soap opéra dans son pays) retrace en effet une histoire connue de tous les petits Néerlandais : celle de l’exploration de la « route Nord » vers la Chine, empruntée en 1596 par le célèbre navigateur Willem Barents (qui donna plus tard son nom à la mer située au nord de la Russie). Son dernier voyage l’amena à traverser le territoire de l’île de Nouvelle-Zemble, près du Pôle Nord. Pris dans la glace, l’équipage du navire qui comptait ainsi prouver qu’une alternative aux routes maritimes empruntées par les Espagnols et les Anglais existait, sera forcé de passer l’intégralité de l’hiver dans des conditions climatiques extrêmes. Peu en reviendront vivants, mais leurs découvertes amèneront le royaume à étendre encore sa domination sur les mers. Aujourd’hui encore, les vestiges de cette expédition sont exposés avec fierté au Rijksmuseum, à Amsterdam.

Piège de glace

Conquest : l’aventure en mode polaire

Le voyage vers Nova Zembla (titre original de Conquest) constitue un matériau idéal, non pour un récit épique comme le titre français le laisserait entendre, mais pour une histoire de survie au sens primitif du terme. Oerlemans a choisi une approche moins sensitive que (lourdement) didactique pour la mettre en images : le film est ainsi narré en voix off par le véritable personnage principal, Gerrit de Veer (Robert de Hoog, Cheval de guerre), écrivain en devenir qui a souhaité embarquer à bord du « De Windhond » pour en tirer un best-seller.

Une bleusaille, donc, chahutée par les marins du bord et traitée avec à peine plus d’égard par Barents (Derek de Lint, connu pour Black Book, Insensibles et surtout la série Poltergeist, les aventuriers du surnaturel) et le capitaine du vaisseau, Jacob van Heemskerck (Victor Reinier). Toutefois, les luttes de classes et les chamailleries cessent vite une fois que le piège de Nouvelle-Zemble se referme sur le navire, et que l’hiver polaire et sa nuit de six mois tombe comme une chape de plomb sur chacun d’entre eux.

Le territoire des ours

Conquest : l’aventure en mode polaire

[quote_left] »Le voyage vers Nova Zembla constitue un matériau idéal pour une histoire de survie au sens primitif du terme. » [/quote_left]Pour beaucoup de Néérlandais, Oerlemans s’est montré très approximatif avec les faits dans la recréation de ce périple. Il « omet » par exemple de souligner qu’un deuxième bateau faisait partie de l’expédition, et a été prépondérant dans le sauvetage des survivants, plus d’un an après leur départ. Pourtant, le réalisateur a choisi d’aligner son rythme sur les événements qui ont marqué le voyage, au risque de s’aliéner le spectateur : pendant ses trois premiers quarts d’heure, Conquest 3D est un film enivrant, dès lors que les amarres sont larguées et que le récit se concentre sur la vie à bord et ses péripéties (comme « le supplice de la coque » pour punir les voleurs), ainsi que sur la façon dont Gerrit, lettré propulsé hors de sa zone de confort, gagne le respect des marins qui lui sont hostiles. Plusieurs scènes permettent aussi de comprendre les raisons qui poussent le capitaine et Barents à emprunter des routes aussi hostiles, dans le simple but de commercer avec l’Asie – une sous-intrigue liée à de mystérieuses provisions reste par contre sous-exploitée. Pourtant, cette belle mécanique est mise à l’agonie dès lors que le récit s’emprisonne dans la glace, et dans un refuge de fortune que l’équipage bâtit avec l’épave du navire. Plutôt que de frissonner à l’unisson avec eux, le public a bientôt envie d’hiberner lui aussi dans son siège.

La séquence inaugurale de Conquest a beau induire la présence de redoutables ours polaires, ces derniers ne feront que de rares (mais remarquées) apparitions, dont une attaque montée comme dans slasher nordique. Les féroce mammifères sont de fait la seule « distraction » au cœur d’une seconde partie de récit qui s’enlise fermement et se replie sur elle-même : difficile dans ces moments de différencier des visages barbus devenus de simples silhouettes. Certains personnages disparaissent sans que l’on s’émeuve, plusieurs scènes « tendues » ne mènent nulle part, la faute à un montage hésitant. Alors que l’on assistait au départ à une sorte de Master & Commander hollandais, Conquest se transforme en avatar léthargique du Territoire des loups. C’est pourtant là que se niche le cœur du récit, mais c’est là que Oerlemans, dont le style académique pose de manière générale un vrai problème, se montre le moins inspiré. Un paradoxe presque fatal au film.

Une blonde en trois dimensions

Conquest : l’aventure en mode polaire

Indéniablement, Conquest pâtit de son ton scolaire, son rythme haché, sa musique plombante et ses choix de casting et de scénario douteux : l’inclusion de Catharina, blonde plantureuse « restée au port » qui revient sans cesse dans l’esprit Gerrit chéri en s’amusant sur sa balançoire ou en minaudant face caméra sur son lit, remporte sans problème la palme du personnage le plus inutile, idiot et racoleur de l’année (la top model Doutzen Kroes a visiblement été engagée pour rentabiliser le format 3D à coup de décolletés plongeants). Bien qu’il dure moins de deux heures, le film semble parfois s’étirer à l’infini pour rien, le dénouement de l’histoire étant traité de manière particulièrement plate.

Ces écueils, bien réels, n’entament toutefois que partiellement le capital sympathie du projet, qui tire le meilleur de son budget de 7 millions de dollars, en recréant avec soin l’atmosphère de l’Amsterdam moyenageuse et la désolation des terres polaires (séquences tournées, comme Game of Thrones, au nord de l’Islande). De même, l’utilisation d’une réplique russe du navire hollandais apporte une certaine crédibilité à un film peu avare en belles images, même si la photo paraît un peu terne en comparaison avec le scandinave Kon-Tiki – autre film d’aventures consacré à un pan d’histoire peu connu chez nous. Si vous souhaitez enrichir votre culture tout en profitant d’un voyage pas comme les autres, Conquest reste un bon choix. Ne vous attendez juste pas à un classique à la hauteur du film de Peter Weir…


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]

Troissurcinq
Conquest 3D (Nova Zembla 3D))
De Reinout Oerlemans
2011 / Pays-Bas / 108 minutes
Avec Robert de Hoog, Doutzen Kroes, Derek de Lint
Sortie le 12 mars 2014 chez Condor Entertainment
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