Au dernier festival de Sundance, la grand-messe du cinéma (plus tellement) indépendant où se pressent toutes les propositions alternatives du cinéma américain – avec pour certains la possibilité de se frayer un chemin vers le grand public et les Oscars, comme Whiplash et Les bêtes du Sud sauvage dernièrement -, le film This is not a love story a marqué non seulement les esprits, mais aussi l’histoire de la manifestation. En acquérant les droits de distribution du long-métrage pour 12 millions de dollars, le studio Fox Searchlight a battu un record, et permis à ce dernier, reparti avec le Grand Prix et le prix du public, d’être au centre d’une sortie estivale à grande échelle. Un destin impressionnant pour un film qui n’aspire pourtant pas à un tel déferlement de gros chiffres.

La jeune fille et la mort

This is not a love story : amitié, humour et films suédés

This is not a love story, ou plutôt Me & Earl and the dying girl dans son titre original, est comme son retitrage l’indique une œuvre qui veut contourner les clichés récurrents de la romance adolescente, celle le venant le plus immédiatement à l’esprit étant le carton Nos étoiles contraires. Faire pleurer dans les chaumières avec une resucée teenage du bien-nommé Love Story, très peu pour Greg. Le héros de cette histoire, qui endosse dès les premières secondes le rôle du narrateur en voix-off (procédé qui trahit bien vite les origines littéraires du film), est un teenager comme il en existe tant dans le cinéma américain. Sympathique avec tout le monde, mais vaguement asocial, maladroit avec les filles, sarcastique jusqu’au détachement blasé, cultivé, mais sans but clair dans la vie, Greg veut juste en finir avec le lycée. Et ses parents gâchent tout en le contraignant à se rendre au chevet d’une fille de sa classe, Rachel, qui a appris qu’elle était atteinte d’une leucémie. La jeune fille est rétive et cassante, pas autant que Greg, mais derrière le malaise initial, une belle histoire commence à naître… Et non, ça n’est pas une histoire d’amour.

Si elle infuse logiquement tout le film, au vu de son sujet particulièrement déprimant qu’est l’adolescence insouciante menacée de mort, la tentation du mélo est maintenue avec ferveur à l’écart dans This is not a love story. Parce qu’il se concentre avant tout sur son personnage principal, égotiste et brillant (ce qui fait à la fois sa force et sa faiblesse), le scénario prend des tangentes singulières, pas si éloignées dans leurs tons de succès comme Juno. Greg traîne ainsi régulièrement avec un beau-père gastronome et philosophe surréaliste (Nick Offerman, brillant), un prof tatoué aux méthodes inspirationnistes (Jon Bernthal, The Walking Dead) et surtout son meilleur ami, ou « collègue », Earl, avec qui il réalise à la chaîne des films « suédés » parodiant des grands succès. Et leur cinéphilie est bien plus pointue que celle du duo de Soyez sympas, rembobinez puisqu’elle convoque à la fois Werner Herzog, La jetée et La bataille d’Alger. Une exigence peu étonnante, puisque cette dimension inspirée ajoutée au roman de Jesse Andrews provient en fait de son surprenant réalisateur, Alfonso Gomez-Rejon.

Ma vie est un film en devenir

This is not a love story : amitié, humour et films suédés

Le réalisateur américain n’est pas exactement un novice derrière la caméra, puisqu’il a fait ses classes en tant qu’assistant de Martin Scorsese, notamment sur Casino, avant de passer réalisateur de seconde équipe, puis réalisateur tout court d’un premier long remarqué : The Town that dreaded sundown. Un slasher plastiquement impressionnant et thématiquement audacieux, que le cinéaste renie partiellement, et qui se situe surtout à mille lieues de l’ambiance et de l’univers de This is not a love story. La patte de Rejon est toutefois tout aussi visible dans ce deuxième essai, avec ces cadrages tarabiscotés, cette attention portée à la photographie, aux effets de montage et aux mouvements d’appareil circulaires. Visuellement, le film conjugue l’inventivité un peu branque et précieuse de Gondry et Wes Anderson (Rejon lui a même piqué deux de ses « animateurs » pour réaliser les courts-métrages de Greg et Earl), avec le formalisme viscéral de Scorsese, et le résultat produit son effet, par son originalité de ton et le tact avec lequel le film dose ses effets.

Car s’il ne conte pas une histoire d’amour, mais celle d’un ado forcé d’abandonner ses poses supérieures et son cynisme pour comprendre le véritable sens de l’amitié, This is not a love story n’est pas un film pompeux, plombé par ses afféteries de film indé – bien présentes, et en nombre. Au contraire, l’énergie pop de l’œuvre se révèle contagieuse. Le cinéma y est manié comme une arme de distraction essentielle, un vecteur de liberté qui rapproche les contraires et désamorce le drame. Et au fur et à mesure que celui-ci se rapproche, que le film délaisse ses effets de style et son humour distingué, le réalisateur parvient à laisser plus de place aux performances d’acteurs (Thomas Mann, « révélé » par Projet X, et Olivia Cooke, vue dans Bates Motel et The Signal, sont particulièrement bons dans une scène en plan-séquence déchirante), et ménage une morale bouleversante qui nous prend par surprise. Une touche finale qui donne définitivement à cette fausse love story une dimension particulière, et particulièrement mémorable.


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Quatre sur cinq
This is not a love story (Me & Earl & the dying girl)
D’Alfonso Gomez-Rejon
2015 / USA / 105 minutes
Avec Thomas Mann, Olivia Cooke, RJ Cyle
Sortie le 18 novembre 2015
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