Le fait d’entendre de plus en plus souvent parler du cinéma flamand est une bonne nouvelle, si l’on considère le bouillonnement créatif dont ses jeunes représentants font preuve. Parmi les chocs récents, les plus singuliers figuraient Alabama Monroe et Bullhead. Et, preuve qu’il n’y a pas de hasard (et que la Belgique est aussi un petit pays, ça rapproche les talents), plusieurs responsables de ces deux réussites sont impliqués dans Les Ardennes, un premier long-métrage qui a permis à Robin Pront, 28 ans, de mettre le pied à l’étrier après plusieurs courts-métrages très remarqués.

Auteur de la pièce de théâtre sur laquelle le scénario de ce polar stylisé est basé, Jeroen Perceval, qui était déjà à l’affiche du Bullhead de Michael Roskam, est le héros malheureux des Ardennes, un bandit sur le retour nommé Dave, dont le destin est intimement lié à celui de son frère aîné, Kenneth. Un triangle amoureux forme le centre névralgique de l’histoire, et va devenir la source d’une rivalité de moins en moins facile à contenir entre ces deux faces d’une même pièce. Là où Bullhead, assez proche en terme d’atmosphère, se concentrait sur la peinture d’un personnage fascinant et insaisissable, Les Ardennes fait mine d’arpenter le terrain du réalisme social pour mieux se plier aux codes du polar languissant sur fond de tragédie familiale.

Les liens du sang

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Sans prévenir, le film débute sur les conséquences d’un cambriolage qui tourne mal. Dave parvient à s’enfuir, en panique, mais laisse son frère Kenneth (Kevin Janssens) derrière lui, et l’abandonne donc à un destin de taulard. Quatre ans plus tard, le grand frère, coupe semi-mulet et regard noir, sort de prison et retourne vivre chez leur mère, plus décidé que jamais à rattraper le temps perdu. Surtout, Kenneth veut renouer avec son ex-petite amie, Sylvie (Veerle Baetens, Alabama Monroe), sans savoir que celle-ci est depuis leur séparation tombée amoureuse de Dave, et qu’ils souhaitent tous les deux abandonner leur ancienne vie d’excès et de trafics. Rassemblé sous le toit familial, le petit cercle doit composer avec un secret qui peut exploser à tout moment, ainsi qu’avec le tempérament de Kenneth, qui pourrait avoir de lourdes conséquences…

[quote_center] »C’est toute la force des Ardennes que de parvenir à virer, lentement mais sûrement, du drame familial le plus simple qui soit au thriller sans concession. »[/quote_center]

Le premier constat qui s’impose en découvrant Les Ardennes vierge d’idées préconçues (à part les références encombrantes aux frères Coen et à Danny Boyle qui ornent l’affiche), c’est le talent manifeste du jeune Robin Pront pour composer de belles images. Tourné en format 2:35, le film utilise des décors dépouillés, grisâtres et urbains qu’on jurerait taillés pour un cinéma social plus froid et dépressif, pour les transformer en un univers clos et oppressant. Un bocal de misère et de frustrations dans lequel se débattent trois personnages dont les visages fermés annoncent déjà tous les drames et les erreurs à venir. Dave, l’archétype du repenti de film noir, dont la famille est la source principale de son malheur, Sylvie, l’ancienne toxico dont les rêves démesurés se résument paradoxalement à mener « une vie normale », et Kenneth, la proverbiale petite frappe en survêt’ aussi à cheval sur l’honneur que prompt à la brutalité, constituent des visages familiers du genre, mais n’en sont pas moins réalistes et attachants. C’est toute la force des Ardennes que de parvenir à virer, lentement mais sûrement, du drame familial le plus simple qui soit au thriller sans concession, en entremêlant les styles et les tonalités (caméra portée et scènes en plans uniques, travellings esthétisants, musique techno-flamande vrombissante, plans aériens insistants…).

Surréalisme criminel

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Le film opère un virage marqué et assez gonflé aux deux tiers du parcours, d’abord pour justifier son titre, mais aussi pour surprendre le spectateur. Lorsque les affaires criminelles du duo reprennent le dessus, l’action se déplace dans les forêts glaciales des Ardennes, et le surréalisme de la fiction criminelle se fait plus présent. Un couple de personnages bizarres (dont Jan Bijvoet, si marquant dans Borgman) installe un malaise durable, des personnages secondaires apparaissent subitement pour subir un sort prévisible, et des animaux inattendus viennent apporter un brin de folie (et de ridicule) à l’entreprise.

Les Ardennes s’égare quelque peu dans ces passages plus référencés, où la parenté tant évoquée avec Blue Ruin devient évidente. L’intensité de jeu du trio principal, très convaincant (Veerle Baetens en particulier compose une figure marquante malgré le côté cliché de son personnage), s’évapore derrière les conventions et la recherche d’atmosphère à tout prix. Même si le film reste solide dans sa mise en scène, tirant notamment le meilleur parti d’un twist tragique et malin, il perd en chemin cette singularité qui faisait tout le prix d’un Bullhead imprévisible. La fougue et l’assurance de Robin Pront nous assurent d’une chose : la suite de sa carrière, qui pourrait bien passer comme son confrère et ami Michael Roskam par les États-Unis, méritera qu’on s’y attarde. Parce qu’il repose, derrière ses particularismes, sur des mécanismes finalement basiques et convenus, Les Ardennes, au-delà de sa dimension de galop d’essai maîtrisé, ne restera sans doute pas autant dans les mémoires.


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Troissurcinq

Les Ardennes (D’Ardennen)
De Robin Pront
2015 / Belgique / 111 minutes
Avec Jeroen Perceval, Kevin Janssens, Veerle Baetens
Sortie le 13 avril 2016
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