Par une cruelle ironie du sort, la sortie de Die Hard : Belle journée pour mourir (qu’on va à partir de cette ligne appeler Die Hard 5 pour s’épargner plus de ridicule) intervient au même moment que l’incarcération, pour le moins abusive, de John McTiernan, le réalisateur de Piège de cristal et Une journée en enfer, sans qui cette saga n’aurait certainement pas le même prestige ni la même aura culte. Tandis que l’un des meilleurs réalisateurs américains, tous genre confondus, doit purger sa peine, c’est à un récidiviste du nanar pelliculé, John Moore (En territoire ennemi, Max Payne ou encore le remake de La Malédiction), que la 20th Century Fox confie les clés de la saga, qui marche désormais dans les traces du déjà pas folichon Die Hard 4.0.

Déjà privée de l’unité de lieu qui faisait toute la force de ses aventures dans le quatrième épisode, la saga McClane ne se déroule cette fois même plus en Amérique, mais en Russie. Cette fois, l’inspecteur new-yorkais, dont les collègues semblent avoir des connexions directes avec la police moscovite, part au pays de Poutine pour tenter de sauver (mais comment ? Lui-même ne semble pas le savoir) son fils, arrêté pour meurtre la veille, et qui doit être – c’est rapide – être jugé dès le lendemain. Sur place, McClane braille à qui veut l’entendre qu’il est en vacances, alors qu’il ne pense qu’à une chose : taper sur tous les types qui ne lui reviennent pas, surtout ceux qui sont armés. Comme John Jr se révèle être un agent de la CIA en mission (sous son vrai nom, sinon ça serait trop facile) au centre d’un complot, il va en avoir rapidement l’occasion.

97 minutes pour rire

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Die Hard 5
, scénarisé par un scribouillard (Skip Woods, l’homme derrière ces bijoux d’écriture que sont X-Men Origins : Wolverine, Hitman ou L’agence tous risques), a la décence d’abattre ses cartes dès les premières images : tremblotantes, passant d’une valeur de plan à l’autre sans aucune raison, elles rendent incompréhensibles un semblant d’intrigue pourtant simplissime ; un pénible prétexte de rivalité politico-militaire, qui va être étiré pendant 90 minutes à coups de twists aussi fumeux que stupides.

Le mot est lâché. Die Hard 5 n’est pas seulement un film d’action bas du front de plus, comme Len Wiseman avait pu le réaliser auparavant. La logique interne de ses différentes séquences est elle-même une insulte à l’intelligence du spectateur, qui devra gober qu’une voiture est aussi rapide qu’un hélicoptère pour parcourir 1 000 km (de nuit), que des opérations secrètes de la CIA « préparées depuis trois ans » reposent sur des enchaînements de coïncidences impossibles à prévoir, qu’une chute de 20 étages à travers dix planches d’échafaudage ne provoque que des courbatures, que Grenoble est en Suisse, que la radioactivité de Tchernobyl se neutralise avec du Bonodor, ou que le plan du grand méchant consiste à se faire volontairement tirer dessus et pourchasser, alors qu’il avait une armée de mercenaires à sa disposition depuis le début. Ouf. À ce niveau-là, même Skyfall paraît crédible.

Passe encore, en fait, que les producteurs aient seulement chercher à exploiter leur pitch de départ (McClane aux côtés de son fils devenu lui aussi un dur-à-tuer) en brodant sur trois grosses scènes d’action reliées entre elles par du vide. Des légions de sous-Die Hard ont emprunté le même chemin, avec plus ou moins d’argent. Le problème est qu’il existe, au cœur même de cette séquelle opportuniste (à part Jay Courtney qui s’imagine défendre un vrai rôle de composition, tout le monde est visiblement là pour palper, surtout Willis qui fait à peine l’effort de sortir correctement ses dialogues), une contradiction embarrassante entre la logistique impressionnante déployée pour les cascades physiques qui parsèment les trois grosses scènes d’action du film (en matière de destruction pure, Die Hard 5 décroche pour l’heure la timbale de 2013) et l’incapacité absolue du monteur et de son réalisateur à tirer du boulot des pilotes et des cascadeurs quelque chose ressemblant à du cinéma. Chaque raccord semble choisi à l’aveugle, chaque cascade déconnectée du plan précédent : c’est bien simple, dès que McClane s’embarque à bord de son petit camion pour aller démastiquer un véhicule blindé (sic), toutes les notions de topographie, de repères dans l’espace, ces choses qui font que le cinéma peut être synonyme de divertissement plutôt que de la torture optique, disparaissent.

John is dead

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Incompétence pure et simple ou montage bâclé pour respecter les délais de la production (comme semblent l’attester les multiples plans des trailers absents du cut vu en salles), peu importe. Quand la continuité n’est même pas respectée dans les scènes de dialogues – comme celle, fabuleuse de connerie, où le fiston à gros bras coupe ses liens alors que le garde derrière lui reste à ne rien faire -, c’est que le studio derrière ce gâchis est en train de nous brandir fièrement un énorme doigt d’honneur.

[quote_center] »Toutes les notions de topographie, de repères dans l’espace, ces choses qui font que le cinéma peut être synonyme de divertissement plutôt que de torture optique, disparaissent. »[/quote_center]

Bien sûr, des clins d’œil à ce qu’on peut maintenant appeler la trilogie originale sont parsemés tout au long du film : quelques notes de L’ode à la joie ou du Main theme de Michael Kamen, Frank Sinatra chanté par un chauffeur de taxi, New York qui revient dans les (rares) dialogues… Du fan service hypocrite, tant ce McClane-là semble loin, si loin, de ses racines. Die Hard 5, c’est un peu l’équivalent d’Indiana Jones IV : une suite qu’on ne désirait pas vraiment, mais qui réussit l’exploit de ternir l’aura d’un héros qu’on a tous voulu être un jour dans son adolescence. Ce genre de nostalgie pourrait nous faire passer pour de vieux cons. Au contraire : le vieux con, maintenant c’est McClane et ses répliques foireuses (« Je suis en vacances ! », punchline moyennement drôle – et incohérente, vu qu’il ne l’est pas – qui ne le devient plus du tout au bout de la cinquième fois), son comportement de bourrin réac et inculte, qui semble venir à Moscou uniquement pour tabasser des autochtones avec une joie non feinte et des seconds rôles aussi mauvais que dans un DTV de Steven Seagal. L’antihéros des années 80-90, devant surmonter de colossales et douloureuses montagnes d’emmerdes avec une grimace de dépit, est ici aux abonnés absents, survivant à l’intérieur du visage d’un acteur en service minimum. C’est à une version caricaturale, ivre de sa propre brutalité et vide de sens, déjà esquissée dans Die Hard 4.0, que Willis a donné naissance. Comme par hasard, ces deux épisodes-là se sont faits sans McTiernan aux commandes. Sans doute le seul à avoir saisi l’essence et l’intérêt de ce personnage sacrifié sur l’autel du marketing sauvage.

Note BTW


1Die Hard : Belle journée pour mourir (A good day to die hard)

De John Moore / 2013 / USA / 97 minutes

Avec Bruce Willis, Jay Courtney, Sebastian Koch

Sortie le 20 février