Headhunters : la chasse est ouverte

par | 8 septembre 2012 | À LA UNE, BLURAY/DVD, Critiques, NETFLIX, VOD/SVOD

Headhunters : la chasse est ouverte

Headhunters a ouvert l’Etrange Festival en beauté : un Thomas Crown norvégien cruel et de haute volée, à la sauce David Mamet.

Tout commence à cause d’un complexe d’infériorité non résolu : Roger Brown (on dirait un pseudo) s’est hissé au sommet de la hiérarchie sociale norvégienne, « malgré » sa taille (1,68 m). Il est devenu le chasseur de têtes le plus en vue d’Oslo, s’est marié à une top model tenancière de galerie d’art, a une maîtresse… et vit bien au-dessus de ses moyens. Car pour subvenir à ses besoins dévorants, Roger (incarné par Aksel Hennie, vu dans Max Manus) est cambrioleur d’œuvres d’art, qu’il subtilise chez ses clients avec l’aide d’un agent de sécurité véreux. Tout va donc pour le mieux pour ce fielleux voleur, jusqu’au jour où il croise le chemin de Clas Greve (Nikolaj Coster-Waldau, de Game of thrones et Mama), un playboy spécialiste des technologies GPS, qui s’intéresse un peu trop à sa femme, mais possède, lui dit-on, un Rubens original. Le son de la caisse enregistreuse retentit dans la tête de Roger, qui va bien entendu échafauder un plan pour voler le précieux sésame… et déclencher une avalanche d’ennuis du genre éprouvante.

Un David Mamet venu du froid

Headhunters : la chasse est ouverte

Nous souhaitons véritablement bonne chance à Sacha Gervasi (Anvil : the story of Anvil) qui se chargera de réaliser l’inévitable remake américain de cette adaptation du romancier Jo Nesbo. L’écrivain, nouvelle sensation scandinave dans la lignée du suédois Stieg Larsson, est un spécialiste du thriller hard-boiled et incorrect, et à bien des égards, Headhunters est un parfait exemple de ce qui a pu faire sa réputation. À la fois amoral, suave, pathétique et détestable, Roger Brown est notre point d’ancrage dans cette machination à suspense qui se déploie tel un rouleau compresseur au fil des minutes. Roger a grimpé l’échelle menant au succès en dépouillant les riches de leurs tableaux hors de prix, et mène une double vie basée sur la valeur reine de « réputation ». Dès le prologue, l’improbable héros nous donne une leçon de cambriolage à la Thomas Crown, nous avertissant que « tôt ou tard, tous les voleurs se font prendre… ou empochent le gros lot ». Avec un cynisme qui confine, au fil des épreuves qui se succèdent, au pur sadisme, Nesbo et les scénaristes qui ont adapté son œuvre s’emploient à démontrer que ce mode de vie sans repères moraux a un prix. Il se mérite. Et Roger va devoir encaisser les coups et toucher, littéralement, le fond pour pouvoir s’en sortir. Une sorte de martyre du crime.

« À la fois amoral, suave, pathétique et détestable, Roger Brown est notre point d’ancrage dans cette machination à suspense qui se déploie tel un rouleau compresseur au fil des minutes.. »

Huilé comme un complot à l’espagnole imaginé par un David Mamet venu du froid, Headhunters fait donc partie de ces films à suspense dont on ne peut jamais deviner le prochain virage, la prochaine embardée sanglante. En introduisant le personnage de Clas Greve, qui n’est pas seulement un rival en amour combinant tous les atouts physiques que Roger rêverait d’avoir, mais un psychopathe ne reculant devant rien pour lui nuire, le film renverse avec férocité les valeurs patiemment mises en place durant le premier acte, faisant d’un criminel le protagoniste que l’on veut voir survivre et triompher. Ainsi, Headhunters se révèle moins manichéen qu’il en a l’air, orchestrant un jeu du chat et de la souris où chacun a son rôle à jouer (même mort). La profession de chasseur de têtes, où il s’agit d’évaluer le potentiel, les faiblesses comme les ressources de chaque individu, sert de parfaite métaphore à une intrigue bourrée de doubles jeux, d’apparences trompeuses et même de complots industriels.

Les cadavres ne portent pas de costard

Headhunters : la chasse est ouverte

Le réalisateur Morten Tyldum, déjà coutumier des adaptations de romans policiers puisqu’il avait signé l’un des épisodes de la saga Varg Veum (un détective privé solitaire et tenace), se surpasse derrière la caméra en donnant au film une apparence froidement stylisée, et en gérant avec panache les passages les plus outranciers de l’histoire, qui empile les cadavres avec une régularité qui rappelle l’absurdité macabre quasi existentialiste de Fargo. Il est toujours possible de chercher la petite bête, l’incohérence qui fait tache, après-coup : il est vrai que les motivations qui poussent Clas à s’acharner sur Roger se révèlent assez floues, pour ne pas dire disproportionnées.

Mais sitôt le complot enclenché, Headhunters avance à un tel rythme qu’il est impossible de s’y arrêter plus de trente secondes. Le rush est intense, déclencheur de rire maniaques ou d’applaudissements incontrôlés (un fait qui se révèle implacablement en salles). Il n’y a pas de secret : c’est moins parce que les scènes d’action ou de fusillades sont réussies, que parce que les personnages sont brillamment brossés et agissent logiquement en toutes circonstances. Nous en viendrions presque à regretter l’arrivée du dénouement, malin et accompagné, en guise de plan final, d’un sourire narquois. Du genre de ceux que certains truands ne peuvent se retenir de dévoiler, après avoir réussi à vous détrousser de votre portefeuille.